Lutte Ouvrière : A propos de l’altermondialisme

samedi 20 août 2005.
 

Le texte publié ci-dessous a été adopté par le 33ème congrès de Lutte Ouvrière, les 6-7 décembre 2003. La totalité des textes discutés lors de ce congrès a été publié dans le numéro 77 de notre revue Lutte de Classe que vous pouvez consulter en ligne sur le site de l’Union Communiste Internationaliste.

Le courant "altermondialiste", aux frontières mal définies, au langage contestataire mais dans le cadre de l’ordre établi, aux objectifs utopiques bien que dérisoires car destinés à convaincre les autorités politiques, occupe aujourd’hui de plus en plus de place dans l’actualité politique, moins en raison de sa propre audience qu’en raison de la perte de crédit des partis de gauche, s’ajoutant à la perte, bien plus ancienne, de références au marxisme.

Ce courant hétérogène affirme incarner la contestation à l’égard d’un phénomène désigné dans le jargon de certains économistes par le terme "mondialisation " ou, parfois, "globalisation", expressions reprises par les hommes politiques, répandues par les médias. Présenté au début comme "antimondialiste", il préfère se dire aujourd’hui "altermondialiste". Il est vrai que le mot "antimondialisme" signifie combattre la mondialisation, ce qui serait aussi clairement utopique que réactionnaire.

En France, c’est l’organisation Attac qui se pose en principal représentant du courant altermondialiste. Mais bien d’autres organisations du mouvement dit social, comme la Confédération paysanne de José Bové, se revendiquent de ce courant.

Pour les altermondialistes, la "mondialisation", au sens où ils l’entendent et qu’ils mettent en cause, serait un phénomène relativement récent qui se serait imposé, disons, à partir du milieu des années soixante-dix et dont le "néo-libéralisme" de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher était l’expression politique.

Au-delà de la critique de la politique des "altermondialistes", il faut donc s’interroger sur la validité de l’analyse de l’évolution de l’économie sur laquelle elle prétend se fonder et sur la nature des changements intervenus dans le fonctionnement de l’économie mondiale au dernier quart du XXe siècle.

La mondialisation, au sens de l’émergence d’une économie mondiale, l’internationalisation de la production, sont inséparables du développement capitaliste. En 1848, il y a plus d’un siècle et demi déjà, le Manifeste du parti communiste la décrivait comme une des caractéristiques du capitalisme : "La nécessité de trouver des débouchés toujours nouveaux pour ses produits pousse la bourgeoisie à envahir le monde entier. Il lui faut s’implanter partout, coloniser partout, avoir des connections partout (...). À la place de l’ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, nous avons le commerce qui se développe dans toutes les directions et une interdépendance universelle des nations".

Et Marx a été le premier à analyser cette conséquence à grande échelle de la mondialisation capitaliste en citant comme exemple la ruine de la production textile artisanale en Inde par le développement de l’industrie textile capitaliste en Angleterre.

Les "altermondialistes" chargent également le mot "mondialisation" d’un autre sens : celui de la domination des "multinationales" qui dictent leurs lois, y compris aux gouvernements ; la victoire du capital financier sur le capital industriel ; les pays "du Sud" - désignés ainsi dans le vocabulaire altermondialiste pour ne pas dire pays "sous-développés" ou "pauvres", expressions considérées comme péjoratives - étouffés par la finance des pays impérialistes ; la domination de l’économie d’un petit nombre de grandes puissances, pour l’essentiel celle des États-Unis, sur le reste du monde.

Sous cet angle-là, le phénomène n’est pas non plus vraiment nouveau. En 1916, Lénine définissait ainsi l’impérialisme :

"L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financier ; où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan ; où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes", en ajoutant : "Monopoles, oligarchie, tendances à la domination au lieu de tendances à la liberté, exploitation d’un nombre croissant de nations petites et faibles par une poignée de nations riches ou puissantes - tout cela a donné naissance aux traits distinctifs de l’impérialisme qui le font caractériser comme un capitalisme parasitaire ou pourrissant. Toujours plus en relief apparaît la tendance de l’impérialisme à créer l’"État-rentier", l’ État-usurier, dont la bourgeoisie vit de plus en plus des capitaux exportés et de la"tonte des coupons" ".

Le terme "mondialisation", tel que l’utilisent les altermondialistes, recouvre en fait un certain nombre de changements, réels, qui ont accentué certains traits du capitalisme au stade impérialiste sans toutefois le changer fondamentalement. Pour l’essentiel, il s’agit d’un accroissement des échanges internationaux bien plus fort que celui de la production ; la levée progressive des protectionnismes imposés par les États devant le déplacement et les placements de capitaux ; la prédominance plus importante que jamais du capital financier sur le capital productif, aggravant le parasitisme du grand capital ; la "déréglementation" et le "décloisonnement" levant les obstacles juridiques qui interdisaient, par exemple, à une banque de se livrer à des activités d’assurances, et réciproquement, et, enfin, l’ampleur des concentrations de capitaux et le renforcement de la puissance des trusts multinationaux sur l’économie mondiale. Ces variations de grandeur n’ont pas modifié les caractères fondamentaux de l’impérialisme que décrivait Lénine.

La discussion autour de l’utilisation du terme "mondialisation" n’est pas une simple question de vocabulaire. Le terme est suffisamment vague pour que l’on puisse y mettre tout et son contraire, et il dissimule surtout le fait que même les traits de l’économie capitaliste mondiale qui se sont modifiés depuis une trentaine d’années résultent du développement organique du capitalisme lui-même. Il est destiné à servir de point d’appui à l’idée politique suggérée, quand elle n’est pas affirmée ouvertement, par le courant altermondialiste que, pour faire face à la situation catastrophique actuelle, il suffirait de revenir au fonctionnement passé de l’économie impérialiste.

La tendance actuelle à l’abaissement des barrières protectionnistes n’est nouvelle que par rapport au protectionnisme exacerbé d’entre les deux guerres qui s’est prolongé pendant et après la Deuxième Guerre mondiale. Dans les premières décennies de l’ère impérialiste, disons de 1870 à 1914, l’économie a connu une première période de grande mobilité des capitaux par-delà les frontières et de très fort essor du commerce international. Les grands groupes industriels et financiers qui étouffaient - déjà ! - dans les frontières nationales s’appuyaient sur la puissance militaire et diplomatique de leur État national pour "mondialiser" - déjà ! - leur production et leur marché. La guerre de 1914 a sonné le glas de cette période de "mondialisation" et a marqué le début du repliement sur les protectionnismes, sur les monnaies nationales et le contrôle des changes.

Mais, à aucune de ces deux périodes, l’impérialisme n’a été le règne de la libre concurrence et des pures lois du marché. Le partage du monde par une demi-douzaine de grandes puissances impérialistes à la fin du XIXe siècle a été l’expression tout à la fois du caractère mondial de l’économie sous l’impérialisme et du caractère protectionniste de la domination impérialiste de cette époque. La mainmise directe, politique aussi bien qu’économique, des grandes puissances sur telle ou telle partie du monde, ne visait pas seulement à mieux préserver leur domination économique sur les peuples concernés, mais, plus encore, à défendre leur sphère d’influence contre la pénétration des puissances impérialistes concurrentes. La forme coloniale de la domination impérialiste était essentiellement protectionniste. Les États-Unis étaient occupés à cette époque par la conquête de l’Ouest américain qui se révéla un élément déterminant de l’extension de leur énorme marché intérieur. Pour le reste, les États Unis n’ont pas éprouvé le besoin de protéger leur sphère d’influence par une domination coloniale, à quelques exceptions près (Philippines, Porto-Rico, Amérique centrale à certaines époques). Ils avaient d’autres moyens bien plus efficaces : leur puissance économique et, au besoin, leur puissance militaire.

La grande crise capitaliste mondiale de l’année 1929 a poussé le protectionnisme envers l’extérieur et l’étatisme à l’intérieur - dernières armes de l’économie impérialiste face à la crise - à un degré sans précédent : l’économie allemande sous le nazisme en a été le modèle poussé à l’extrême. Pendant la guerre cependant, toutes les puissances impérialistes se sont engagées sur la même voie.

Le protectionnisme et l’étatisme mis au service du grand capital ont été surtout des moyens pour développer une économie tournée vers la guerre. Ils y ont conduit tout naturellement et ils ont continué pendant et dans l’immédiat après-guerre.

Lors de la période de reconstruction économique encore, où le rôle des États nationaux a été décisif, ces derniers opposèrent les droits de douane, les contingentements, les obstacles tarifaires et techniques, et le contrôle des changes aux libres déplacements des marchandises et des capitaux.

Dans les années qui suivirent la guerre, le mouvement de décolonisation mit fin, plus ou moins rapidement suivant le colonisateur, aux chasses gardées que représentaient les colonies pour les puissances impérialistes de second rang.

Fait politique imposé par la révolte des peuples coloniaux, la révolution coloniale est devenue elle-même, sur le plan économique, un des facteurs de l’évolution de l’économie impérialiste en ouvrant plus ou moins les anciennes chasses gardées à la concurrence internationale.

Si quelques États issus de luttes d’émancipation coloniale, la Chine en particulier, ont tenté de moderniser leur économie nationale par des moyens étatistes et à l’abri de barrières protectionnistes, la plupart des pays devenus indépendants se sont simplement retrouvés dans la même situation que ceux de l’Amérique latine à l’égard des États-Unis. Leur nouvelle indépendance juridique dissimulait non seulement leur dépendance économique totale à l’égard de l’impérialisme, mais aussi le caractère limité de leur indépendance politique.

De la même manière que les États-Unis ont pesé sur l’Amérique latine en intervenant directement et militairement (Guatemala, Saint-Domingue ou Grenade) ou en fomentant des putschs militaires (Chili, Argentine et bien d’autres), les puissances impérialistes secondaires ont dû modifier leur façon de peser sur leurs anciennes colonies.

Dans les relations inter-impérialistes, les États-Unis étaient, dès la fin de la guerre, en situation de peser dans le sens de l’abaissement du protectionnisme... surtout du protectionnisme des autres puissances impérialistes à leur égard. Les institutions internationales alors mises en place, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), l’Accord général sur les tarifs et le commerce (GATT), ancêtre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), étaient destinées à servir de cadres aux multiples négociations visant à lever le plus d’obstacles possibles au commerce international. Mais ce qui avantageait les uns défavorisait les autres, et ces accords, toujours limités, ont avancé lentement. Les accords de Bretton-Woods créant un système monétaire basé sur le dollar, lui-même convertible en principe en or, étaient également prévus pour faciliter le troc et des accords bilatéraux ou trilatéraux, qui ont été longtemps la seule forme de commerce international, et tenter de mettre de l’huile dans ces circuits d’échanges. Mais si le dollar, devenu instrument de paiement universel, facilitait le commerce international, il servait en même temps les intérêts des États-Unis, seule puissance ayant la possibilité de financer ses importations et surtout ses prêts énormes aux autres pays par une monnaie de sa fabrication.

La mise en place du Marché commun entre un certain nombre de pays européens, les longues négociations entre États pour parvenir à un abaissement des barrières douanières, le cheminement vers la monnaie unique ont été la concrétisation sur ce continent de l’évolution globale de l’économie impérialiste.

La crise monétaire de 1971-1973, expression d’une véritable crise économique qui a ouvert une longue période de stagnation ou de faible croissance productive, a accéléré le mouvement pour arriver à une situation où les grands trusts ont cherché à consacrer par le droit ce qu’ils faisaient déjà dans les faits, c’est-à-dire investir librement là où ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent.

Contrairement aux stupidités véhiculées par le courant altermondialiste, les trusts ne sont pas parvenus à cette fin en brisant la souveraineté des États. La politique de réduction des obstacles protectionnistes entre États, complétée par la "déréglementation", n’était pas menée contre les États et leur "souveraineté", mais par les États eux-mêmes, chacun cherchant à faire prévaloir les intérêts de ses propres groupes industriels et financiers. En effet, aucun de ces grands groupes ne peut se contenter du marché national.

L’OMC n’est pas une entité tombée du ciel pour imposer ses quatre volontés en foulant aux pieds la "souveraineté" des États. Elle résulte de la volonté partagée des États impérialistes de mettre en place un cadre où peuvent se négocier des accords globaux conciliant, autant que faire se peut, les intérêts contradictoires de leurs trusts. Et, contrairement à la mythologie "altermondialiste", ce sont moins les États-Unis, assez puissants pour régner sur la jungle du marché mondial, qui ont besoin d’un organisme d’arbitrage que les puissances impérialistes de seconde zone.

De même, les institutions européennes ne constituent pas un État supra-national imposant aux États nationaux des politiques favorables au grand capital. Elles résultent d’accords longuement marchandés entre États nationaux, chacun ayant pour objectif d’assurer une meilleure position pour sa propre bourgeoisie sur le marché européen.

On voit d’ailleurs que les États européens les plus forts, dont le déficit budgétaire dépasse largement le plafond des 3 % théoriquement tolérés, s’assoient sans gêne sur cette règle, sans doute réservée aux plus faibles.

Non seulement la "mondialisation" n’a pas diminué le rôle des États nationaux, mais elle leur a fourni ces arènes supplémentaires d’interventions pour défendre les intérêts de leur bourgeoisie que sont les organisations internationales - OMC, FMI, Banque mondiale - sans oublier le rôle sans cesse accru des États pour aider leurs capitalistes sur leurs marchés intérieurs (subventions, aides, multiples formes de protectionnisme ouvert ou déguisé, politiques d’armement, etc.). Cela vaut, aussi, pour des regroupements politico-économiques comme l’Union européenne. Les États de l’Union européenne - et encore, pas tous - ont accepté d’abandonner cet aspect de leur pouvoir régalien qu’est le droit de faire marcher la planche à billets. Cesser de pénaliser le commerce intra-européen par des fluctuations entre monnaies différentes est devenu vital pour les trusts français, allemands, hollandais, italiens ou belges. D’où la décision de créer l’euro. Mais les États continuent à se surveiller les uns les autres pour que cet "abandon de souveraineté" intéressé ne soit pas nuisible à leur bourgeoisie, en s’asseyant au besoin sur les "règles communautaires" qu’ils ont eux-mêmes édictées. Dans ces bras de fer permanents entre États, ce sont moins ces règles que le rapport des forces qui décident, c’est-à-dire les puissances respectives des économies mais, aussi, des États.

Les échanges commerciaux mondiaux, dont l’accroissement est évoqué par les partisans de la globalisation comme l’expression de liens supplémentaires entre les hommes de la planète, concernent, pour un tiers d’entre eux, des échanges à l’intérieur d’un même trust multinational et, pour un autre tiers, entre grands trusts mondiaux.

Ainsi, ce qu’on présente comme "l’ouverture totale du marché mondial" n’est ni vraiment mondial ni même vraiment un marché. Les liens financiers et commerciaux tissés à l’échelle de la planète laissent de côté des pays entiers en Asie ou en Amérique latine, voire des continents entiers comme l’Afrique. Et, à l’intérieur même des grands pays intégrés dans les circuits de l’économie capitaliste mondiale, le développement est inégal : des régions de concentration industrielle et financière constituent des îlots dans des pays laissés par ailleurs sur le bord du chemin. Cette évolution creuse encore plus l’écart entre les pays et les régions développés et les pays et les régions où la misère s’accroît.

Dans les années soixante-dix, la nécessité de "recycler" les dollars accumulés en raison de l’explosion des prix du pétrole et que la production, stagnante, était incapable d’absorber en générant du profit, a conduit les grands groupes financiers à prêter largement à nombre d’États du tiers monde. Du coup, certains d’entre eux ont eu un pouvoir d’achat qui les intégrait dans le commerce international avec un taux de progression de leurs exportations et surtout de leurs importations souvent plus rapide qu’entre pays développés.

Les commentateurs vantaient alors les progrès de pays "en voie de développement". Mais les "crises de la dette", la banqueroute du Mexique, les crises asiatiques, la ruine de plusieurs pays et de leur petite bourgeoisie et la retombée effroyable de leurs masses populaires dans la misère ont montré ce que cette "intégration économique" avait d’inégalitaire. Le développement du commerce international est, depuis plusieurs années, dû à l’interpénétration économique des grandes régions impérialistes : États-Unis, Canada, Europe occidentale et Japon.

L’économie fonctionne avec des endettements surréalistes. Les États impérialistes eux-mêmes, les États-Unis en tête, sont endettés jusqu’au cou. L’ensemble de la dette américaine atteint la somme inimaginable de 33 000 milliards de dollars, plus du triple de la production intérieure brute de ce pays, c’est-à-dire trois fois plus que l’ensemble des biens et des services produits en une année dans l’économie la plus puissante du monde ! La dette publique elle-même, c’est-à-dire l’endettement de l’État américain, est supérieure au produit intérieur brut. Ce qui signifie que le grand capital prélève sa dîme même sur la population des pays impérialistes qui doit payer par ses impôts ou par la dégradation des services publics et du cadre de vie les intérêts de la dette publique.

Mais l’aspect le plus révoltant de cette économie d’endettement généralisé est sans nul doute la dette des pays du tiers monde car, bien qu’elle soit très inférieure à celle des pays riches, le seul paiement des intérêts a conduit à des prélèvements usuriers colossaux qui étranglent ces pays et saignent leur paysannerie pauvre et leurs travailleurs.

Les déplacements quasi instantanés de capitaux, facilités par l’abandon généralisé des contrôles des changes, la déréglementation et le décloisonnement entre les différents secteurs de la finance ont conduit à des vagues de spéculations, à des crises financières répétées et surtout, à un immense gaspillage des forces productives, à la polarisation des richesses, à l’accroissement des inégalités entre classes sociales à l’intérieur d’un même pays et entre pays développés et pays pauvres.

Le capital financier pousse au démantèlement des services publics et, ce faisant, il démolit ce qui est utile à toute la population et transforme les secteurs les plus rentables en objets de spéculation. Le démantèlement des barrières protectionnistes a surtout été celui de celles des États sous-développés. Le rêve tant caressé par les dirigeants nationalistes d’un certain nombre de pays sous-développés d’assurer le développement d’une industrie nationale grâce à l’étatisme a été détruit.

La base même du mouvement altermondialiste est extrêmement hétérogène, allant de ceux qui protestent contre telle atteinte à l’environnement ou qui s’opposent à l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés, à des mouvements pacifistes ; elle mélange syndicalistes réformistes, étudiants révoltés par les injustices, paysans défendant leur existence.

Quant à la direction, on y trouve de prétendus apolitiques, comme José Bové, des staliniens non reconvertis, comme Jacques Nikonoff, des dirigeants réactionnaires de syndicats américains, des politiciens souverainistes, comme Chevènement, des sociaux-démocrates qui, après des années passées au gouvernement, cherchent à se refaire une virginité et aussi, il est vrai, quelques groupes qui se revendiquent du communisme révolutionnaire.

Cet ensemble ne peut se retrouver par la force des choses que sur quelques slogans, quelques revendications qui, même lorsqu’ils sont justes, ce qui n’est pas toujours le cas, proposent des objectifs qui sont en quelque sorte le plus petit dénominateur entre courants hétérogènes mais dont la quasi-totalité ne se pose pas le problème de renverser le capitalisme mais seulement de l’améliorer.

C’est un courant qu’il n’est même pas exact de qualifier de "réformiste" au sens que ce mot avait à ses origines comme un ensemble d’idées et de revendications issues du mouvement ouvrier. D’abord parce que l’altermondialisme n’a aucun lien ni passé ni présent avec le mouvement ouvrier. Ensuite, précisément parce que les courants réformistes s’appuyaient, fût-ce pour la canaliser, sur la force du prolétariat organisé et pouvaient imposer un certain nombre de réformes réelles à la bourgeoisie - il est vrai, dans un autre contexte -, alors que le courant altermondialiste, qui n’a aucune influence dans le monde ouvrier, en est à geindre devant les représentants politiques du grand capital, à demander qu’ils veuillent bien tenir compte de ses aspirations, exploiter un peu moins, piller un peu moins les pays pauvres ou taxer, un peu, les mouvements internationaux du capital financier.

Le courant altermondialiste a beau être très récent, les fades idées qu’il véhicule sont parmi celles que le mouvement ouvrier révolutionnaire a toujours eu à combattre.

Critiquer, par exemple, la répartition et pas la production capitaliste est une vieille lune des économistes réformistes. Comme si on pouvait séparer l’une de l’autre alors que la production - le choix de ce qu’on produit, la quantité, etc. - est déterminée par le marché, c’est-à-dire en réalité par la répartition.

Appeler au secours les États pour s’opposer aux inégalités et aux injustices produites par l’économie impérialiste, c’est masquer le fait que les États sont au service du grand capital impérialiste.

Discourir sur "l’humanisation du marché" ou même manifester pour affirmer que "le monde n’est pas une marchandise" sans même mettre en cause la libre concurrence et la propriété privée, est, au mieux, avoir des illusions, au pire, les propager sciemment.

Critiquer, même avec un langage radical, "l’ultra-libéralisme" ne signifie pas critiquer le capitalisme et, encore moins, le combattre. C’est, au contraire, propager l’idée que quelques-uns des aspects les plus révoltants de l’économie actuelle ne sont pas les conséquences inéluctables du capitalisme, mais le fait d’une politique qu’il suffirait de changer.

Critiquer le "social-libéralisme" comme le fait Attac n’est pas critiquer les grands partis de gauche qui, lorsqu’ils sont au gouvernement, mènent la politique de la bourgeoisie, mais en jouant sur les termes et le vocabulaire leur permettre de tromper les classes laborieuses afin de tenter de revenir au pouvoir - et recommencer la même politique.

Malgré le caractère timoré de ses revendications, le courant altermondialiste ne cherche pas, volontairement, à se donner les moyens de les imposer. Il se contente de prétendre convaincre du bien-fondé de celles-ci les autorités nationales ou internationales. Il considère comme des hauts faits d’armes que des députés votent des résolutions non suivies d’effet allant dans le sens de ses slogans ou que des ministres participent occasionnellement à telle ou telle de ses manifestations.

Attac, la principale organisation qui incarne en France le courant altermondialiste, se prétend apolitique alors qu’elle est en réalité un parti politique, avec une direction inamovible et irresponsable devant sa propre base. Son apolitisme de façade cache la proximité de sa direction avec l’ex-gauche plurielle. Il véhicule, en outre, une autre idée néfaste du point de vue des intérêts politiques des travailleurs : celle que l’on peut se passer des partis politiques. C’est une tromperie majeure, alors que ce qui manque à la classe ouvrière, c’est un parti politique qui représente ses intérêts historiques, c’est-à-dire un parti dont l’objectif fondamental est la destruction de l’organisation capitaliste de l’économie et de la société.

Contrairement à ce qu’ils affirment, les militants révolutionnaires qui prétendent qu’en raison de l’attrait qu’Attac exerce dans certains milieux de jeunes, il faut y participer, sont, en son sein, réduits à l’impuissance. Non seulement les structures anti-démocratiques d’Attac permettent à sa direction d’écarter toute contestation n’ayant pas son agrément, mais en plus Attac ne constitue même pas un milieu militant. Pas de véritables contacts entre adhérents, si ce n’est par Internet, pas de rencontres en dehors de quelques réunions ponctuelles qui permettent tout au plus d’échanger quelques statistiques économiques, quelques informations utiles, mais au service d’une politique qui, au lieu d’élever les consciences à la compréhension de la nécessité de renverser l’ordre capitaliste mondial, les en éloigne.

Quant aux événements spectaculaires, les grandes manifestations dont se vante la direction d’Attac, ils sont ponctuels, c’est-à-dire ne permettent pas un travail régulier. Et ils sont généralement le fruit de l’apport d’organisations, notamment syndicales, qui soutiennent Attac mais qui ne se réduisent pas à cette organisation.

Que rejoindre Attac puisse être une étape dans une évolution individuelle, c’est possible - encore que cela ne soit vrai que pour une infime minorité. Mais militer au sein d’Attac est se donner l’illusion de faire quelque chose alors qu’au mieux, on n’y fait rien et, au pire, on en justifie la politique.

Si l’on distingue les dirigeants d’Attac, sa politique et ses activités, des milliers de jeunes ou de militants d’associations diverses ou de syndicalistes, le développement du courant altermondialiste n’a pas une signification entièrement négative. On peut même considérer, dans cette époque d’apolitisme profond et de rejet des ex-partis ouvriers complètement déconsidérés par leur rôle au sein de l’appareil d’État de la bourgeoisie, que le mouvement altermondialiste a au moins quelques aspects positifs. Que les infamies du capitalisme poussent à l’indignation ces jeunes, ces syndicalistes et ces associatifs de toute sorte et que cela s’exprime par de grandes manifestations, de Porto Alegre à Gênes ou à Saint-Denis, est en soi une publicité importante à la critique des méfaits de cette société. Le fait que ceux qui participent à ces manifestations rêvent d’un "autre monde" et le disent en est une autre.

Une autre encore est le sentiment de bon nombre de ses partisans d’être des citoyens du monde, sentiment cultivé par le caractère international comme par les thèmes des grandes manifestations altermondialistes. Cultivé aussi par la volonté affichée d’Attac d’appartenir et de développer une organisation internationale, même si ce caractère international ou le fait de s’en prendre aux organismes internationaux de la bourgeoisie ne font pas pour autant du mouvement une ébauche d’internationale, pas plus qu’une juxtaposition de "souverainistes" ne fait l’internationalisme.

Ces indignations devant les conséquences de l’évolution du monde capitaliste expliquent pourquoi bon nombre de jeunes ou de syndicalistes portent leurs espoirs dans le seul courant qui semble aujourd’hui les exprimer, d’autant plus pour les derniers qu’il ne s’agit ni de parti ni de révolution.

Les trotskystes ne peuvent donc ignorer que ces sentiments sont, pour une part au moins, à l’origine du succès d’estime rencontré par le courant altermondialiste. Pas plus qu’ils ne peuvent oublier qu’une autre des explications de ce succès est l’absence d’un courant communiste fort.

Ainsi nous sommes en compétition avec le courant altermondialiste comme nous le sommes avec tous les mouvements réformistes et en particulier le PCF. Cela nous amène avant tout à combattre politiquement les fondements de la plupart de ses idées, à montrer les limites qu’il impose tant à ses objectifs qu’à ses combats. Cela n’exclut pas d’être solidaires de certaines de ses initiatives et de nous retrouver ponctuellement dans certains de ses combats, voire de participer à certaines de ses manifestations, exactement comme nous pouvons participer ou être solidaires d’actions ou de manifestations du PCF, des syndicats ou d’associations humanitaires. Mais il n’est pas question de militer au sein de cet ensemble hétéroclite d’associations diverses et encore moins de vouloir y assumer des responsabilités.

L’altermondialisme n’est certainement pas l’expression d’un nouvel internationalisme, mais un de ses avatars réformistes caricaturaux, à une époque où la réalité d’une véritable Internationale ouvrière, comme d’ailleurs d’un véritable parti ouvrier révolutionnaire, apparaît éloignée dans le passé, alors qu’elle doit être l’objectif primordial.


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