A l’occasion des élections départementales, les Français ont encore exprimé clairement leur rejet d’un système de représentation à bout de souffle. Au-delà de la déroute électorale du Parti Socialiste qui sanctionne une politique gouvernementale tournant le dos à l’aspiration au changement qui avait permis la défaite de N. Sarkozy en 2012, quelque chose de plus profond s’enracine : une abstention qui reste massive et de plus en plus assumée ainsi qu’une vague écrasante de la droite accompagnée d’une contagion du discours FN. Face à cela, les candidatures de l’autre gauche, en particulier les candidatures citoyennes avec le Front de Gauche et souvent EELV ont fait bonne figure, réunissant environ 10% nationalement. Même si ce résultat a été effacé des radars médiatiques, il n’en reste pas moins que des leçons doivent être tirées de cette séquence et des dynamiques collectives qui ont permis ici ou là, d’agir à contre courant du désengagement civique, de planter des graines d’espoir et de dessiner les contours d’une façon de militer et de proposer permettant le retour du citoyen comme acteur à part entière.
Dans le département de l’Aveyron, la démarche « Aveyron Majorité Citoyenne » a été initiée en janvier dernier par quelques dizaines de personnes, membres ou non d’associations, de syndicats et de mouvements politiques. Notre intuition initiale était d’une part que le peuple est aujourd’hui largement blasé par un système politique prétendument représentatif qui le nie, le trompe et l’exclut de plus en plus, d’autre part qu’une couche significative de citoyens est disposée à une démarche de réappropriation collective de la politique. Le peuple n’a pas spontanément envie de « plus de gauche » mais il est prêt à s’engager si tant est que se mettent en mouvement des outils permettant cette implication. Cette démarche a suscité une dynamique et une implication citoyenne au-delà des espérances initiales des premiers animateurs. Elle a également reçu une validation électorale encourageante qui doit nous interroger.
Dans ce département traditionnellement assez conservateur, plusieurs signes témoignent de ce succès. Tout d’abord, « Aveyron Majorité Citoyenne » (AMC) est parvenu à présenter des candidats dans 19 des 23 cantons, soit plus de candidats que le Front National. Sur l’ensemble de ces 19 cantons, les candidats AMC réunissent 15 177 suffrages, soit 15,22% des exprimés. Une fois les étiquettes des autres forces politiques décontaminées des trucages du Ministère de l’Intérieur et correctement affectées, voici les résultats respectifs sur le total de ces 19 cantons : FN : 12,40%. ; UMP-UDI-Divers droite : 42,25% ; Aveyron Majorité Citoyenne : 15,22% ; PS : 12,40% ; PRG : 6,60% ; DVG : 6,20% ; PS-PRG : 2,40%.
Afin de pouvoir évaluer des résultats électoraux et estimer le résultat d’AMC, la seule méthode est celle des comparaisons avec des scrutins précédents. Au moins trois conclusions peuvent être retenues :
Premièrement, la campagne « Aveyron Majorité Citoyenne » a permis de contenir le résultat du FN. Contrairement au niveau national où le FN progresse en pourcentage par rapport aux élections présidentielles, le FN est ici en recul, de 14,10% en 2012 à 12,40% en en 2014. Il est intéressant de noter à contrario que les 4 cantons dans lesquels AMC était absent sont également les 4 cantons dans lesquels le FN progresse le plus par rapport aux scrutins précédents.
Deuxièmement, le résultat très positif d’AMC peut être évalué en comparaison des chiffres nationaux. En effet, le score d’AMC inclus dans un « total gauche » aboutit à un résultat pour « la gauche » de 44% en Aveyron contre 36% au niveau national.
Troisièmement, le résultat d’AMC peut être estimé en comparaison des résultats habituels de « l’autre gauche » en Aveyron. La seule élection qui ai vu l’autre gauche dépasser les 10% en Aveyron est l’élection présidentielle de 2012 avec en particulier le score de 12,26% recueilli par Jean-Luc Mélenchon. Il semble donc être un bon étalon de référence. Sur les 19 cantons, AMC dépasse donc de 3 points le résultat du candidat Front de Gauche en 2012 qui avait su entrainer une dynamique populaire certaine. Plus précisément, en prenant les résultats « Mélenchon » dans chaque canton en 2012, on peut noter que les candidats AMC dépassent ou maintiennent le résultat de 2012 dans 15 cantons. Dans 4 autres cantons, les résultats se tassent mais sans jamais descendre en dessous de 7%, ce qui est inédit pour « l’autre gauche » dans des élections cantonales en Aveyron.
Bien sûr, tout n’est pas parfait et la démarche citoyenne entreprise n’est pas à mythifier. En particulier, ce récapitulatif serait écrit avec plus de passion si 150 voix ne nous séparaient pas des candidats de l’UMP au second tour sur le canton de Rodez-Onet. Dans ce canton, nos ami(e)s Sylvie Foulquier et Jean-Louis Roussel (camarade et ami du Parti de Gauche) ont réuni 24% des voix au premier tour, le binôme PS « officiel » obtenant 11,48%, un binôme PS « dissident » 11,77% et un binôme divers gauche 9,17%. Vous savez comment le Parti Socialiste est prompt à siffler les composantes de l’autre gauche pour appeler au rassemblement autour des candidats PS au second tour, fragilisés qu’ils sont par le rejet que provoque la politique de droite qu’ils soutiennent nationalement. Ici, qui plus est dans un département dirigé par la droite depuis la Libération, ni le binôme PS officiel, ni le binôme PS dissident n’ont trouvé utile d’appeler à voter pour nos candidats au second tour. Nous ne les avons d’ailleurs pas suppliés et espérions bien franchir la ligne les premiers sans eux. Nous avons quand même doublé nos voix par rapport au premier tour. Mais avec une campagne calomnieuse des candidats de droite au second tour et quelques manœuvres indignes et puantes de dernière minute, nous avons perdu de 150 voix. 150 voix indigestes.
Malgré ce goût d’inachevé, il parait important de donner un écho aux aspects de la campagne d’Aveyron Majorité Citoyenne qui ont permis d’entrainer une dynamique d’implication citoyenne et une percée électorale. Clairement, nous avons choisi de rompre avec certains codes hérités et d’ouvrir la voie à une démarche innovante pour vérifier certaines de nos intuitions. Pour nous, ces intuitions sont maintenant devenues des appuis pour l’avenir.
Dans un contexte de rejet massif du système politique, aucun parti politique ou militant engagé derrière son drapeau n’est épargné par une sorte de méfiance. Même avec le meilleur programme ou les candidats les plus vertueux, malgré les intérêts immédiats du peuple en matière de pouvoir d’achat ou malgré la nécessité de changer de politique pour sauver l’environnement, le citoyen croit de moins en moins aux promesses électorales ou à la capacité du système politique tel qu’il fonctionne à changer réellement les choses.
Ce constat de l’incapacité du politique intériorisé explique en grande partie l’abstention, plus que l’idée d’un manque de civisme. Comment faire la leçon aux abstentionnistes ? La dernière grande mobilisation électorale en 2005 à propos du Traité Constitutionnel Européen a conduit en majorité les députés PS, centristes et UMP, à bafouer la décision du peuple souverain. Le candidat Hollande a été élu pour battre Sarkozy et faire la guerre à la finance pour mieux partager les richesses ; il mène une politique inverse à celle pour laquelle les Français avaient voté. Il avait promis de ne pas augmenter la TVA et de ne pas reculer l’âge de départ à la retraite ; il fait l’inverse. Il avait promis d’être le président du pouvoir d’achat ; les seules marges de manœuvres budgétaires sont utilisées pour des cadeaux de 40 milliards d’euros aux plus riches. Les gens ne font plus confiance à priori au fonctionnement de la démocratie et aux différentes « offres » politiques, c’est compréhensible.
Bref, le cœur du problème se situe dans la confiscation de la souveraineté du peuple par des élus qui n’agissent en rien conformément à la volonté générale exprimée au moment de l’élection. La solution à cette crise de la démocratie d’un point de vue théorique et pour l’avenir est la perspective d’une 6ème République démocratique, laïque et sociale pour refonder nos institutions et replacer le peuple en souverain. Mais le cœur de la solution d’un point de vue pratique et opérationnel est de replacer le citoyen comme décideur et acteur démocratique partout où c’est possible, en particulier à l’échelon local et quotidien, pour démontrer qu’il est possible de rompre avec les habitudes que les gens rejettent et construire des relations de confiance.
Il s’agit donc de replacer le citoyen aussi au cœur de nos pratiques militantes et politiques. Cela conduit évidemment à réfléchir au type de parti nécessaire aujourd’hui. Nous devons rompre avec la pratique d’un parti d’avant-garde professant ce qui est bon pour tous en espérant créer mécaniquement une adhésion à son discours. Le parti conserve une fonction d’intellectuel collectif, de formation, d’action, de mise en cohérence… Mais dans son travail de masse, il doit construire avec tous ceux qui le veulent ce qui est bon pour tous et sortir d’une logique uniquement représentative, en construisant de nouveaux outils d’implication citoyenne et de contrôle des élus. L’idée est de construire dans le réel les contre-exemples aux politiques incontrôlés qui trahissent leurs engagements ou aux politiques qui dégoûtent par leur comportement, types Balkany, Thevenoud ou Cahuzac.
Avec cette façon de procéder, chacun s’instruit, s’épanouit, prend confiance, c’est un puissant anticorps face à l’intoxication médiatique du quotidien. Enfin, permettre au peuple de reprendre ses affaires en main est le chemin rationnel pour qu’il prenne conscience de son intérêt général et pour construire le rapport de force nécessaire à la solution des questions sociales, de partage des richesses et d’écologie. C’est donc dès aujourd’hui qu’il nous faut favoriser partout des cadres d’implication citoyenne pour préparer la suite.
Le rassemblement en cartel de partis politiques a une limite, il ne rassemble et ne met en mouvement que les convaincus et permet peu de force propulsive. De la même manière, on ne peut impliquer de nouvelles personnes dans l’action si le préalable est l’adhésion à un parti ou à un programme avec une liste de points longue comme le bras.
Aveyron Majorité Citoyenne s’est donc fondé non autour d’un programme ou d’étiquettes mais autour d’un appel de personnes diverses dont le contenu était clair mais concis pour permettre des signatures larges et un rassemblement au-delà des logiques de partis. Un contenu court permettait aussi de donner une large place ensuite au travail collectif d’élaboration. Le texte de l’appel s’est donc limité à quelques bornes claires : tourner la page des pratiques politiques de la 5ème République, opposition à la réforme territoriale qui éloigne encore les citoyens des lieux de décisions, rejet du Grand Marché Transatlantique, indépendance par rapport au gouvernement, donner la priorité aux droits humains, à la sauvegarde de l’écosystème et permettre aux citoyen-ne-s d’exercer enfin leur souveraineté. L’appel (http://www.majorite-citoyenne-12.fr/) se conclue ainsi : « Nous ne proposons pas un programme tout ficelé mais de redonner le pouvoir d’action et de décision aux citoyen-ne-s : co-élaborons les projets de notre vie quotidienne, organisons des consultations populaires à chaque fois que nécessaire, refusons le cumul des mandats, sortons les discussions des couloirs du Conseil Général. Dès maintenant, mettons-les en débat dans des assemblées citoyennes pour élaborer le projet et participer au choix des candidats pour une majorité citoyenne en Aveyron. »
Cette méthode a apporté de nombreuses signatures et une implication très large. Elle a également permis que des lignes bougent par rapport aux lignes préétablies sur les seules démarcations partisanes. Ainsi, au-delà de citoyens non encartés, de nombreux syndicalistes, de personnalités locales ou de militants pour l’agriculture biologique, une dizaine d’adhérents du PS en rupture ont participé à la démarche.
Attention, les partis politiques de « l’autre gauche ont toute leur place, ils sont plus que jamais nécessaires mais doivent connaitre leurs limites. Il s’agit d’articuler l’unité des partis de l’autre gauche et implication citoyenne. Si la démarche Aveyron Majorité Citoyenne a pris de l’ampleur, c’est parce que d’une part des partis politiques, en l’occurrence ceux du Front de Gauche, ont laissé la place à cette démarche, mais qu’ils ont également su se mettre à son service tout au long du processus. Sans militants politiques, la démarche serait morte née. La plupart des citoyens non encartés qui étaient un peu méfiants vis-à-vis des partis au début de l’aventure ont terminé la campagne en remerciant les partis et les militants de ce qu’ils avaient apporté. Il a fallu sur certains cantons que les partis discutent entre eux de certaines questions comme les candidatures pour créer les conditions permettant à la démarche de prendre place. Au final, le Front de Gauche s’est mis à disposition des Assemblées citoyennes tout comme EELV dans 3 cantons.
Sans rentrer dans le détail, il est clair que les cantons dans lesquels la campagne s’est déroulée en s’appuyant et en mettant en avant la démarche citoyenne sont aussi ceux où les résultats sont les meilleurs. Les quelques cantons dans lesquels les candidatures et la campagne ont été portées plus par un cartel de partis que par la démarche citoyenne n’ont pas connu la même dynamique. Ce qui est plaisant au sortir de l’élection, c’est que les militants politiques qui étaient les plus dubitatifs au lancement de la démarche sont souvent les plus convaincus et transformés par cette expérience !
De A à Z, les Assemblées citoyennes ont été le cadre d’implication, d’élaboration mais également de décision de la campagne électorale. Dit autrement, elles n’existaient pas pour faire « genre » alors que les décisions importantes se prenaient ailleurs.
Le premier rôle des Assemblées citoyennes a été d’élaborer un projet départemental alternatif à celui de la majorité départementale de droite en place. Ce projet a été rédigé au fil des jours, à partir d’un forum citoyen départemental puis par le travail de chacune des Assemblées citoyennes convoquées sur la base de l’appel départemental à l’échelle des cantons. Suite à un travail de synthèse des travaux, une version finalisée à été soumise au vote des 300 signataires de l’appel. Celle-ci a été votée à l’unanimité moins deux abstentions. Il faut noter que du coup, nous étions la seule alternative cohérente à la droite, les socialistes faisant des campagnes sans projet départemental, chacun replié dans une logique purement cantonale voire même souvent municipale, considérant le Département comme une sorte de guichet.
De la même façon, les Assemblées citoyennes ont participé à la désignation des candidats dans les cantons. Dans certains cantons, des Assemblées citoyennes ont été convoquées sans militants de partis politiques présents sur les territoires concernés. Elles ont permis par l’échange sur l’objectif de la démarche de susciter les candidatures de personnes inconnues initialement des militants politiques. Habituellement, les partis auraient présenté des candidats dans ces cantons, quitte à « parachuter » des militants habitant dans d’autres cantons. Bien sûr, les militants politiques ont eu toute leur place pour porter la campagne dans de nombreux cantons. Le Parti de Gauche comptait ainsi 10 candidats titulaires, mais ils étaient les candidats de la démarche et du contenu élaboré collectivement. Les partis du Front de Gauche ou EELV dans les cantons concernés apparaissaient dans le matériel de campagne en soutien des candidats et de la démarche.
Les Assemblées citoyennes ont également rédigé une charte d’engagements et d’éthique des candidats Aveyron Majorité Citoyenne. Cette charte engageait les futurs élus à maintenir l’Assemblée citoyenne cantonale pour associer les citoyens à l’action des élus et garantir un contrôle de l’action publique. Les autres engagements de la charte comme l’organisation de référendums locaux sur les décisions majeures ou le non cumul des mandats ont été portés en pierre angulaire du programme dans la campagne électorale. Les discussions avec les électeurs ont souvent naturellement tourné autour des nouveaux outils à mettre en place pour en finir avec le clientélisme et renforcer le pouvoir citoyen. Tout ce travail collectif d’élaboration avec tous ceux qui le voulaient bien a constitué un ouvrage utile en soi mais également un argument électoral puissant qui tranche avec les propositions élaborées dans le bureau capitonné d’un président de Conseil général ou dans un local politique.
Enfin, les Assemblées citoyennes ont été souveraines jusqu’au bout, y compris au lendemain du premier tour. Là où les positionnements habituels d’entre deux tours des partis ou des candidats suscitent souvent l’incompréhension, ces questions ont ici été débattues et tranchées dans les Assemblées citoyennes qui engageaient les candidats. Généralement, la décision a été de considérer que nous n’étions pas propriétaires des bulletins de votes et que voulant redonner le pouvoir d’agir aux citoyens, nous leur faisions confiance concernant leur vote du second tour. Je pense que ce positionnement a été apprécié et compris, sauf par un ou deux candidats qui ont compris ce soir là ce que la logique de l’Assemblée citoyenne impliquait. Cela ne doit pas empêcher l’expression libre de chaque parti.
Les discussions en Assemblées citoyennes ont orienté la campagne et le discours d’une façon à éviter deux écueils importants à relever parmi ceux qui cherchent à construire une issue progressiste au désastre politique qui avance.
Le premier écueil est de construire une argumentation politique sur la seule base de l’opposition aux politiques gouvernementales d’austérité en pensant que mécaniquement les gens vont se tourner vers nous. Si un positionnement clair de refus de l’austérité et d’indépendance vis-à-vis des partis du gouvernement est nécessaire, il ne suscite à lui seul aucune dynamique et aucun espoir. Une grande partie du peuple est convaincue que l’austérité ne mène nulle part et même qu’une relance de l’investissement public est nécessaire dans certains secteurs pour soutenir l’activité par exemple dans la transition énergétique. Puisque les gens sont déjà contre l’austérité, se contenter de taper en permanence contre l’austérité ne crée aucun impact, comme des coups de poings donnés dans le vide. L’enjeu est de convaincre culturellement qu’une autre politique est possible.
Le deuxième écueil est de ne s’adresser qu’à la « gauche » ou pire encore à « la vraie gauche ». L’objectif n’est pas de réorienter la politique de « la gauche » mais de changer la politique menée pour répondre aux urgences sociales et écologiques. Pour cela la première tâche est de réhabiliter l’idée que le peuple doit se réapproprier ce qui le concerne, c’est-à-dire la chose publique. Ne s’adresser qu’à la gauche ou au « peuple de gauche » est inaudible pour une large frange de la population qui ne se reconnait plus dans ces concepts complètement galvaudés par le fait que pour beaucoup, c’est la gauche qui gouverne actuellement, et le fait qu’elle mène une politique de droite renforce l’incompréhension. Il ne s’agit pas non plus de laisser au Parti Socialiste le terme « gauche ». Philosophiquement et historiquement, ce concept se fonde d’abord sur la souveraineté populaire. Faisons donc vivre cette souveraineté, ouvrons la route au retour du peuple en politique, faisons vivre les Assemblées citoyennes, défendons la révocabilité des élus et les votations citoyennes. Tout cela réhabilitera largement plus le concept de « gauche » que le fait de l’utiliser à longueur de phrases.
De la même manière, tenter de convaincre autour de nous en nous proclamant de la « vraie gauche » opposée à la « fausse gauche » qui est la gauche gouvernementale nous place sur un terrain trop marginal et déconnecté des ressentis populaires. Si des millions de personnes se reconnaissaient dans une « vraie gauche », cela aurait été matérialisé dans les urnes depuis longtemps. Ce discours ne s’adresse qu’à environ 5% des Français.
A l’inverse, une démarche collective démocratique, propositionnelle et novatrice suscite dynamique et agglomère. En mettant simplement en avant les nécessites de dignité des personnes, d’égalité, d’intérêt général humain et écologique, elle mobilise face à la pente de l’individualisme et de la résignation, elle crée de la conscience dans l’exigence de la souveraineté populaire.
Pour espérer créer une adhésion majoritaire, le meilleur chemin est en rupture avec la morosité ambiante. Plutôt que les seuls positionnements d’opposition et les codes hérités du vieux monde politique de gauche en crise, donnons à voir de l’espoir et surtout appuyons nous sur la démarche novatrice des Assemblées citoyennes, peu importe leur nom. Proposer un revenu maximal autorisé, des mesures pour éradiquer la précarité ou proposer la planification écologique, c’est proposer d’agir à gauche mais c’est d’abord proposer un chemin de bon sens et rationnel pour régler les problèmes qui se posent à la société. Ce n’est donc pas un discours « vraiment de gauche », c’est simplement un discours de personnes responsables et réalistes, qui le sont bien plus que les soit disant réalistes qui emmènent le pays dans le mur et des millions de gens dans la détresse sociale. Assumons tranquillement qu’une autre politique est possible si tant est que les citoyens puissent retrouver leur rôle de décideurs face à un système politique dominant qui les méprise en décidant souvent contre eux et en permanence sans eux. Faisons vivre les Assemblées citoyennes, elles ouvrent le chemin de l’espoir et de la reconquête de la souveraineté populaire. Elles sont des outils pour tous ceux qui ne veulent pas se désespérer, qui veulent ouvrir une voie alternative au système politique verrouillé par la progression du FN encouragée par ceux qui veulent que rien ne change. Osons sortir des nos habitudes, osons le peuple, osons permettre aux citoyens de reprendre leurs vies en main.
Guilhem Serieys
Le texte ci-dessus part de notre expérience aveyronnaise durant les élections départementales 2015. Il se veut seulement un retour d’expérience pour nous inspirer collectivement. Pour être utile, il se concentre sur une question et n’aborde pas d’autres points fondamentaux comme ceux du programme, de l’unité de l’autre gauche, du rapport au PS, du FN…
Notre engagement politique doit être en symbiose avec le peuple : il doit être la caisse de résonance de ses aspirations, le parti dans lequel les gens de peu y trouvent l’espoir et la force de se battre. Que dit le peuple ? Il dit « ça suffit », il dit « Dégage », il dit « Qu’ils s’en aillent tous » à cette classe politique qui depuis trop longtemps ne respecte plus sa volonté. Il dit « marre de la politique », il dit « ça suffit la soumission à Bruxelles ». L’abstention, le rejet du PS, les expériences de démarches citoyenne nous répètent une seule et même chose : « faites de la politique autrement, appliquez vos programmes sans vous en détourner, servez le peuple, et ne vous servez pas sur notre dos. »
Contrairement aux poncifs, le peuple français est très politisé : l’abstention est politique, l’engagement associatif est politique, les manifestations sont politiques. Las des élections et des dirigeants qui ne l’écoutent plus, le peuple s’engage autrement, fait entendre son ras-le-bol et son désir de changement du système. Les partis sont tous discrédités et assimilés à « une caste qui accapare même les rares vertueux. »
Trouver le peuple, les quatre injustices
Pour le peuple, par le peuple. Que faire alors ? Il faut d’abord connaître le peuple. Contrairement aux experts politologues pérorant et affirmant que le peuple est introuvable, je suis intimement convaincu que le peuple existe, qu’il est de plus en plus conscient de lui-même, et que bientôt, il reprendra ses droits. Quatre injustices frappent les Français. L’injustice sociale, l’injustice démocratique, l’injustice individuelle, l’injustice écologique.
L’injustice sociale, c’est l’explosion des inégalités sociales en France, en Europe et dans le monde, qui fait que les riches sont de plus en riches, et les pauvres de plus en plus pauvres. La répartition des richesses très inégalitaire due à un accaparement de celles-ci par les super-riches rend plus que pertinent les slogans des Indignés et des mouvements Occupy : « Nous sommes les 99% ». Le peuple c’est l’agrégation des 99% de la population qui subit l’accaparement des richesses par les 1% : casse des droits sociaux, privatisation des services publics, licenciements. Une guerre s’exerce entre la caste et le peuple. Nous devons la gagner.
L’injustice démocratique, c’est la perte totale de souveraineté populaire et nationale. Le pouvoir politique est confisqué par les élites politiques nationales et européennes, souvent non élues, qui ne respectent pas les électeurs, qui méprisent les référendums, qui n’agissent que pour satisfaire les marchés, que pour rembourser la dette des Etats aux banques privées et aux créanciers internationaux. Cette perte de pouvoir se traduit par l’abstention massive dans toutes les démocraties occidentales, tous les citoyens européens et nord-américains rejetant leurs dirigeants politiques, tous appelant à un sursaut démocratique, tous rejetant les délégations de souveraineté non consenties, tous voulant reprendre le contrôle de leur vie. C’est pourquoi le Mouvement pour la 6è République, qui veut dégager la caste, redonner le pouvoir au peuple en lui permettant d’écrire une Constitution qui lui offre droits politiques, sociaux et écologiques, et qui le protège des arbitraires du pouvoir, est indispensable. A ce jour, c’est le seul mouvement politique à recueillir en France aussi rapidement un nombre de participants aussi élevé. C’est aussi le seul mouvement politique avec une organisation totalement horizontale.
L’injustice individuelle, c’est les attaques contre toutes les libertés individuelles. Les attaques contre les libertés fondamentales de conscience, d’expression, de réunion et d’association inscrites dans les différentes déclarations des Droits de l’Homme. S’ajoutent les droits des femmes et des minorités sexuelles, constamment remis en cause, critiqués, attaqués de toutes parts. Enfin les guerres de religion, les persécutions multi-séculaires des Juifs, l’esclavage, la colonisation et la Shoah n’ont, semble-t-il, pas suffisamment réveillé les consciences de chacun. Les Juifs parce que juifs, les Musulmans parce que musulmans, les Noirs parce que noirs, les Rroms parce que rroms, mais aussi les homosexuels parce qu’homosexuels et les femmes parce que femmes subissent tous les jours des discriminations, stigmatisations, violences verbales et physiques, agressions, profanations, domination. Cela n’est pas acceptable en France, pays des Droits de l’Homme, pays de la Révolution française. Ces injustices individuelles attaquent en plein cœur la République. Le Peuple, c’est l’ensemble des Français qui s’y opposent, qui devant l’injustice relèvent la tête et disent non, qu’ils soient victimes ou non de l’injustice. Les manifestations du 11 janvier ont démontré notre intolérance à l’intolérance. Elles ont réaffirmé que la laïcité est le seul cadre pour vivre ensemble et libres.
L’injustice écologique enfin. C’est à la fois une inégalité entre les hommes et une destruction en règle de la planète, notre biosphère, la seule qui nous permet de vivre. Cette attaque envers la planète et la nature est injustice au sens où elle détruit les ressources grâce auxquelles des milliards d’êtres humains vivent. Elle condamne à terme des milliards de personnes. Seule l’oligarchie des 1% qui accapare et détruit les richesses naturelles pourra les sauvegarder pour elle-même et continuer à vivre. Les mouvements toujours plus populaires en faveur de l’écologie défendent un autre modèle de civilisation humaine pour réinventer l’inscription de l’homme dans la nature, de telle sorte que tous puisssent vivre sur terre. Cette conscience écologique, qui traverse les esprits et fait se mobiliser les citoyens ordinaires, dessine encore les contours du peuple : ceux qui se battent pour vivre décemment, en bonne santé, non seulement ici et maintenant, mais aussi dans des dizaines d’années.
Le peuple c’est l’agrégation des gens qui se retrouvent dans ces injustices. Le peuple est celui qui par ces injustices prend conscience de lui-même et de son pouvoir.
Un mouvement populaire
Notre rôle est de prendre à bras le corps ces exigences, d’articuler ces injustices, d’entreprendre la refondation démocratique et politique. Pour ce faire, il faut ouvrir les portes et les fenêtres ! Nous ne devons pas nous fermer sur nous-mêmes. Nous devons non plus encadrer les citoyens mais élaborer avec eux le monde de demain. A bas les identités partisanes exclusives et excluantes ! Il faut réinventer notre façon de faire de la politique.
Le Parti de Gauche doit s’adapter aux bouleversements de l’histoire, que sont l’accélération et la visibilité croissante de ces quatre injustices, amplifiées par l’explosion des échanges commerciaux et d’informations permis par les révolutions industrielles et la révolution numérique.
Pour ce faire, les expériences locales des démarches citoyennes et le Mouvement pour la 6 République au plan national sont de bons points d’appui. Les démarches citoyennes rassemblant citoyen-ne-s atterrés, révoltés, militants politiques, syndicaux, associatifs, citoyens dégoûtés ou non de la politique, autour de valeurs communes et de combats locaux partagés construiront les unités de base de la reconquête par le peuple. Le M6R au plan national, qui vient d’élire son assemblée de délégués, engage une construction démocratique inédite. La conjonction de ces deux mouvements assurera probablement l’entraînement des militants des partis du Front de Gauche, de EELV, de Nouvelle Donne, du NPA, et des socialistes ou créera une nouvelle force c’est le mouvement de l’histoire qui vient vers nous.
Les partis ne doivent plus accaparer la politique. Les Français n’ont jamais fait autant de politique. Mais fait nouveau, ils n’ont jamais fait autant de politique en dehors des partis politiques. Ne pas se couper du peuple, c’est le laisser prendre les initiatives.
C’est un pari sur l’avenir, c’est un pari pour le peuple, c’est un pari sur nous-mêmes. Mais l’histoire sourit aux audacieux.
Si je reprends la plume, c’est que j’exprime, dans l’article que je vous propose de lire quelque chose que je n’ai pas lu ailleurs, tournant autour de la conception de la citoyenneté et de l’engagement politique. Je vais même à l’encontre de ce que pensent certain(e)s de mes ami(e)s politiques. Je m’expose ainsi à vos critiques.
Je prends conscience que, par un curieux effet de mode, même dans les rangs les plus éclairés, certains succombent, peu ou prou, au poison du dénigrement des partis politiques. La félicité résiderait dans LE CITOYEN, inorganisé si possible. De lui seul peut sortir le vrai, le juste, le bon.
Le citoyen est à ce point bon consubstantiellement, que certains vont même jusqu’à récuser les partis politiques et leurs membres, et à considérer que le tirage au sort pourrait être le moyen de choisir, parmi les participants à une assemblée de citoyens, celui qui, comme candidat à une élection politique, portera la parole et les intérêts de ses congénères. Pourquoi ne pas faire de la candidature à l’élection un des lots à gagner d’une tombola, tant qu’on y est ? Ça rapporterait de l’argent aux organisateurs de la réunion en plus. Absurde.
Il s’agit là de la forme extrême de ce que j’appelle la religion du citoyen. La forme plus adoucie de cette religion me laisse tout aussi perplexe. Elle consiste en l’élection par l’assemblée de citoyens du candidat volontaire y participant. Autant que possible, voire condition sine qua non, il vaut mieux que le candidat en question ne soit pas adoubé par un parti, pour qu’il n’y ait aucun soupçon de récupération.
A ce petit jeu là, il ne faudrait pas qu’on en arrive à considérer que les membres d’un parti politique ne sont pas des citoyens comme les autres, devant faire l’objet de l’opprobre général. Pour ce qui me concerne, je n’ai pas honte d’être membre du Parti de gauche. Je m’y sens entouré de femmes et d’hommes à l’esprit ouvert, tolérant et démocratique, rompus à tous les pièges que tendent les adversaires politiques.
Qui ne voit que cette mode est en réalité orchestrée par ceux qui ne veulent surtout pas de la démocratie. Les syndicalistes vont me comprendre.
Dans nombre d’entreprises, en effet, les patrons font tout pour contourner les syndicats représentatifs. Ils préfèrent avoir affaire à des représentants du personnel maison, dont ils ont suscité la candidature. Ces élus complaisants sont évidemment plus facilement manipulables que ceux organisés dans des syndicats dignes de ce nom.
Le parallèle entre citoyens inorganisés et représentants du personnel sans étiquette syndicale me paraît devoir être fait pour illustrer l’impasse que constitue la religion du citoyen non engagé.
Quitte à passer pour un vieux con, cette manière de faire ne me paraît pas être un exemple de démocratie. La politique c’est beaucoup plus sérieux que cela. La gestion du bien public aussi.
La grande prêtresse de cette religion est Ségolène Royal. Malheureusement, nous la vraie gauche, je pense que nous y sacrifions trop. Certes à notre manière plus exigeante, mais en contribuant qu’on le veuille ou pas à la défiance envers les partis. Les débats autour de la préparation des élections départementales et régionales en sont l’illustration.
Faire de la politique ce n’est pas seulement participer épisodiquement ou occasionnellement à une réunion publique et y soulever une question qui vous tient à cœur, et de là, si la prestation a été réussie, apparaître comme un candidat possible.
Faire de la politique c’est s’engager au long cours dans une organisation politique, autour d’un projet global de vie en société. Le parti politique, tel que nous le concevons dans la vraie gauche, est un lieu d’éducation populaire, où s’acquièrent lentement, au contact des autres, des connaissances en matière d’histoire, de philosophie, d’économie, de gestion et d’organisation et évidemment d’expression orale et écrite. Mais l’engagement politique c’est aussi du militantisme de base : distribution de tracts, collage d’affiches, porte à porte. Pas seulement pendant les campagnes électorales. Bref, le candidat aux suffrages des électeurs n’est pas choisi sur un coup de cœur ou par je ne sais quelle improvisation.
Je suis évidemment favorable à l’organisation d’assemblées citoyennes, avec débats les plus larges et les plus libres possibles. Avant, on appelait ça : réunions publiques. C’est un des moyens pour beaucoup, d’entrer en politique et d’adhérer à l’organisation politique de leur choix. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Sauf circonstances exceptionnelles, situation révolutionnaire par exemple, les candidatures spontanées ne donnent aucun gage de sérieux.
Je soutiens aussi tout ce qui peut donner plus de pouvoirs aux citoyens. C’est même pour cela que j’ai signé l’appel pour le Mouvement en faveur d’une 6ème République.
Entre autres propositions pour avancer vers une vraie démocratie citoyenne, le recours au référendum populaire y sera facilité. Mais surtout, la possibilité sera donnée aux citoyens de pouvoir révoquer en cours de mandat leurs élus politiques. Évidemment, la mise en œuvre de ces pouvoirs devra faire l’objet d’un certain nombre de conditions.
Article original : http://robertmascarell.overblog.com...
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