Sarkozy veut refaire le coup de la fracture sociale

jeudi 6 juillet 2006.
 

Sans doute très occupée par la Coupe du monde de football, la presse a peu commenté le discours de Nicolas Sarkozy, prononcé à Agen, le 22 juin dernier. Pourtant, il s’agit d’un virage à cent quatre vingt degrés (dans les mots) entre les propos habituellement tenus par le ministre de l’Intérieur, qui ne cache pas sa fascination pour le modèle anglo-saxon, et ses envolées d’un soir.

Rien d’étonnant, pourtant, c’est la même équipe, maintenant, qui rédige ses discours sur le social que celle qui a officié autour de Chirac en 1995. A cette époque, le maire de Paris avait compris qu’il fallait gagner sur la gauche, pour battre Balladur, soutenu par l’UDF et les putschistes du RPR, emmenés par Sarkozy. Il avait composé un attelage hybride, avec l’ultra-libéral Madelin, Juppé, et le prétendu gaulliste social Seguin.

C’est la plume de Seguin, Henri Guaino, qui écrivait les discours sur la fracture sociale.

On connaît la suite, Chirac, grâce à ce discours, surmonta une situation désespérée, et fut miraculeusement élu en 1995, profitant de l’absence d’audace de Lionel Jospin, qui avoua plus tard n’avoir jamais cru en la victoire. Bien évidemment, il fallut moins de six mois pour que Chirac annonce qu’il ferait tout le contraire de ce qu’il avait annoncé durant sa campagne, et cela donna les événements de décembre 1995, et la dissolution ratée de 1997.

Onze ans plus tard, Henri Guaino écrit les discours de Sarkozy. Et cela vaut son pesant d’or.

D’abord, un passage : « J’avais du respect pour le socialisme de Jaurès et de Blum, car eux ils connaissaient le monde du travail, et le respectait. Alors que le socialisme d’aujourd’hui, celui de Jospin, de Hollande ou de Royal en est totalement coupé, et le méprise profondément ! ». De la part du maire du Neuilly, ami avec les plus grands patrons de l’Hexagone, c’est fort ! La suite est au diapason. « L’ouvrier qui n’en peut plus des parachutes en or et des retraites chapeau y perd l’envie de se dévouer à son entreprise », « Les rémunérations outrancières sont une insulte à ceux qui travaillent pour gagner péniblement leur vie, et qui s’enrichissent grâce à l’échec de leur gestion ». « Sur fonds de chômage de masse, de mondialisation, d’efforts acharnés de productivité et de prélèvements sur le travail sans cesse accrus pour régler la facture toujours plus lourde de la fracture sociale, depuis vingt-cinq ans la vérité est qu’on demande à cette France qui travaille, dont on ne parle que pour la culpabiliser, toujours plus de sacrifices. En vingt-cinq ans, le pouvoir d’achat des salariés n’a en moyenne presque pas augmenté alors que le niveau de qualification n’a cessé de s’élever. Et tout le monde sait bien que la réalité est pire, et qu’en vingt-cinq ans, la France qui vit de son travail a subi une chute de son niveau de vie, qu’elle a plus de mal à joindre les deux bouts, plus de mal à se loger. Que la rémunération du travail s’effondre, pendant que la rémunération de la propriété explose.

Pour habiter un logement de la même surface, dans le même quartier, les jeunes générations doivent travailler, aujourd’hui, deux fois pour longtemps que leurs parents pour le louer et trois fois plus pour l’acheter. Il y an France des millions de salariés payée en-dessous du Smic et plus de travailleurs pauvres que de Rmistes ». Sans oublier le bouquet final, « Les patrons qui délocalisent leur entreprise en un week-end, eux aussi je les appelle racailles ».

Ces propos enflammés rappellent ces mots de Bernard Thibault, leader de la CGT, commentant une entrevue avec Chirac. « Plusieurs fois, quand je l’écoutais, j’avais presque envie de l’applaudir, tellement ce qu’il disait me convenait. Il n’y a qu’un problème : il a toujours fait le contraire. » Il conviendra de garder cette réflexion du secrétaire de la CGT à l’esprit dans les prochains mois, car, au nom du principe que « seule la victoire est belle », on peut s’attendre à entendre, dans la bouche du libéral communautariste ministre de l’Intérieur de superbes tirades (que ne font plus la plupart des leaders socialistes depuis longtemps) sur la France des travailleurs, la République sociale et même la laïcité, qu’il n’hésitera pas à appeler de ses vœux pour séduire les électeurs.

Mais il faut surtout analyser que Nicolas Sarkozy, comme Jacques Chirac en 1995, a compris qu’il ne pouvait pas gagner en annonçant la réalité du programme libéral qu’il veut mener. En France, Madelin (qui vient de protester contre les propos démagogiques de Sarkozy), cela ne fait que 3 %.

Pour avoir une chance de gagner, le candidat Sarkozy doit donc dire tout le contraire de ce que fera le président Sarkozy, si par malheur il gagnait en 2007.

C’est bien la preuve que la France du non au TCE est antilibéral, et, envers et contre tous, tient à son modèle social.

Pierre Cassen


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