Projet socialiste 2007 : Ne copions surtout pas Tony Blair

lundi 3 juillet 2006.
 

Quelques rappels sur le modèle britannique que certain(e)s adorent...

Une provocation pour les uns, une bévue pour les autres, l’hommage rendu par Ségolène Royal à la politique de la figure européenne la plus contestée à gauche dans le Financial Times du 2 février, sur les services publics et le traitement du chômage des jeunes, entre flexibilité et sécurité, avait pris les socialistes de court au moment où, précisément, ils affrontaient le gouvernement sur le sujet. (Source : Le Monde / Internet - Vendredi 3 février 2006).

Le système socioéconomique britannique tient une place particulière en Europe. Tête de file des politiques ultralibérales depuis l’ère Thatcher, il est l’objet de culte des zélateurs du patronat, qui ne reculent devant aucun mensonge pour le citer en exemple, comme modèle de développement réussi.

Mais l’Angleterre n’est pas le paradis que la presse « aux ordres » veut bien nous décrire, et la fin de « l’ère de prospérité » fondée sur la manne pétrolière, laisse entrevoir les misères de cette société, qui sont déjà bien insupportables.

Qu’en est-il, dès aujourd’hui, au-delà du mince aperçu que l’on nous laisse apercevoir ?

Une prospérité en trompe l’oeil

Depuis 2000, en pourcentage du PIB correspondant, la consommation des ménages français représente aux alentours de 55%, celle des ménages anglais autour de 63%. Une différence de 8 points, qui est considérable et en dit long sur le rôle de la consommation privée dans le modèle anglais, contrairement à ce que crient sur tous les toits, les néolibéraux. Ainsi, comme son homologue américain, le modèle anglais penche du côté de la demande plutôt qu’en direction de l’offre.

Alors, comment est financé un tel différentiel de croissance ?

En réalité, il n’est acquis qu’au prix de contreparties qui hypothèquent sensiblement l’avenir économique du pays.

Premier exemple, l’endettement des ménages. Il est de 1.130 milliards de livres à fin 2005, soient 1.646 milliards d’euros, pour un PIB de 1.626 milliards d’euros en 2005, loin devant les niveaux enregistrés en France. Les ménages sont donc endettés à hauteur de plus d’un an, du produit intérieur de leur pays, et il faudra bien, un jour ou l’autre que cet écart soit ramené à des proportions plus raisonnables. C’est sans doute ce qui servira de prétexte à une cure d’austérité dont on verra plus bas, qu’elle sera difficilement supportable pour cette société, tant sont violentes les disparités qu’elle renferme.

Second exemple, les fonds de pension. Ceux-ci constituent une véritable bombe à retardement pour l’économie britannique. Revenons un peu sur l’histoire des 20 dernières années.

Depuis plus de 20 ans, le gouvernement Thatcher (Conservateur) d’abord, puis l’ensemble des gouvernements successifs, John Major (conservateur) et ceux de Tony Blair (Travailliste), ont fortement réduit les pensions des retraites publiques, au profit des dispositifs privés. Il en résulte que, la part des retraites financée par le système étatisé, est très faible. Pour toucher sa retraite publique à taux plein, qui représente 35% du salaire moyen perçu sur l’ensemble de la vie professionnelle, il fallait, jusqu’en 2003, avoir 65 ans et 44 ans de cotisations pour un homme, ou 60 ans et 39 ans de cotisations pour une femme. Mais malgré ces conditions draconiennes, l’équilibre des fonds de retraite était menacé par les scandales et les faillites boursières.

Au début des années 1990, le scandale Maxwell, du nom de cet homme d’affaires qui avait puisé dans les fonds de retraites de ses salariés pour compenser les déficits de son entreprise, et les escroqueries de certains fonds de pension individuels qui facturent des frais de gestion exorbitants à leurs clients, ont considérablement affaibli le système des retraites, sans jamais entraîner de modification des politiques gouvernementales. Or du fait de spéculations boursières hasardeuses et de détournements de fonds massifs, beaucoup de ces fonds ne parviennent plus à financer les retraites. Plus du tiers des entreprises du secteur privé ont dores et déjà imposé à leurs salariés, un système où la pension reversée dépend de la rentabilité des fonds de pension.

Malgré cela, appliquant les « recettes » néolibérales avec une extrême brutalité, en 2003, le gouvernement dit Socialiste de Tony Blair, a imposé de nouvelles mesures encore plus dures, qui prévoient des départs en retraite à 70 ans et plus, avec un âge minimum de 65 ans uniforme pour tous, hommes et femmes, quel que soit leur secteur d’activité. Le ministre de l’emploi et des retraites, Andrew Smith, estimait alors que près de 13 millions de travailleurs britanniques n’épargnaient pas assez pour financer leur retraite. Pour avoir une retraite décente ils devaient, disait-il, économiser 320 € par mois, dès l’âge de 30 ans ... La plupart ne le pouvaient pas et le peuvent encore moins aujourd’hui.

Mais le plus grave n’est pas là. Cette politique continue de s’appliquer dans un contexte où, partout dans le monde, les faillites de fonds de pension se multiplient, obligeant les Etats à venir à leur secours, sous peine de provoquer des crises sociales qui menaceraient rapidement les équilibres sociaux et politiques de l’ensemble des grandes puissances occidentales. Or, les fonds complémentaires de capitalisation britanniques gèrent, en 2004 1.120 Md €, soit 75% du PIB d’une année. L’extension de leurs difficultés provoquerait un effondrement total de certaines économies, et dans le contexte actuel, aucun Etat n’aurait les moyens de freiner le mouvement.

Enfin, dans l’immédiat et pour en revenir au « modèle britannique », l’intervention étatique ne pourra se faire qu’au prix de nouvelles collectes fiscales, accentuant par là même les déséquilibres qui s’accroissent quotidiennement et l’écart entre la majorité qui s’appauvrit et une minorité qui s’enrichit sans limite. Ainsi, malgré la manne pétrolière dont elle a bénéficié depuis plus de 30 ans, la Grande Bretagne est un bon exemple de la crise qui nous menace tous. 2005 révèle les premiers signes : Ralentissement du PIB (1,8% en 2005), hausse du chômage (5% à fin 2005), endettement des ménages à plus d’un an de PIB, hausse de la fiscalité pour 2006, ne sont que les hors d’œuvre d’un repas qui déjà est pour le moins indigeste.

Une crise sociale très profonde

Quelques exemples illustrent la crise sociale de la société britannique.

Misère des retraités : Commençons par la situation catastrophique des retraités britanniques : En 2002, le retraité britannique perçoit 123 € par semaine pour une personne seule, ou 196 € pour un couple, et un retraité sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté.

La duperie du taux de chômage : Rappelons que le taux de 5% de chômeurs en Grande Bretagne, à fin 2005, est une vaste fumisterie. En effet, le problème majeur du Royaume-Uni est devenu la proportion des personnes bénéficiaires des pensions de longue maladie ou invalidité. Au cours des années 1980-1990, les travailleurs sociaux ont encouragé le transfert des candidats à l’allocation chômage, vers les prestations pour adultes handicapés, notamment dans les régions désindustrialisées du pays. Ceux-ci représentaient 2,7 millions de personnes en 2004, soit 7,5 % de la population active en âge de travailler, soit nettement plus que le 1,4 million de chômeurs comptabilisés selon les normes du Bureau international du travail. Ce nombre n’a pas baissé sous les mandats de Tony Blair !

Croissance de l’emploi ? Il faut savoir que sur les 2 millions d’emplois créés au Royaume-Uni de 1997 à fin 2004, un million l’a été sous forme d’emplois publics ! La « croissance de l’emploi », tant vantée par tous les zélateurs du néolibéralisme, n’est donc que le fruit d’une répartition de la manne pétrolière que l’Etat utilise, mais sans possibilité d’avenir. Ces chiffres permettent de comprendre avec quel cynisme les commentateurs économiques serviles de la finance mondialisée diffusent l’information, eux qui ne jurent que par la croissance du secteur privé, dont la Grande Bretagne serait l’archétype en Europe.

Londres ville de misère : Une enquête remise au maire de Londres le 19 novembre 2002, à la veille de la journée des droits de l’enfant, révélait que 53% des enfants de la capitale britannique, vivaient sous le seuil de pauvreté. Cette étude portait sur la ville de Londres (Inner London), sans son agglomération, c’est-à-dire 3 millions d’habitants, qui constituent dans leur globalité, la capitale la plus riche et la plus dispendieuse d’Europe.

Chômage et emploi forcé des jeunes : Au Royaume-Uni, le gouvernement travailliste de Tony Blair a adopté une législation, plagiat du workfare américain, sous la forme des programmes Nouvelle Donne (New Deal), en direction des jeunes de 18-24 ans, des handicapés, des mères célibataires, des chômeurs de plus de 55 ans. Le New Deal for Young People (NDYP, Nouvelle Donne pour les jeunes) en représente le programme phare. Mis en œuvre dès 1997, il oblige les 18-24 ans bénéficiaires de l’allocation chômage depuis plus de six mois à occuper un emploi. Ce dispositif mêle contrainte et incitation.

Côté contrainte, tout allocataire de 18-24 ans doit s’enrôler dans le nouveau dispositif sous peine de se voir supprimer tout ou partie de ses indemnités. A cette fin, les Services pour l’emploi, équivalents de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) en France, convoquent les jeunes chômeurs pour un premier entretien. S’ils ne répondent pas, il s’ensuit une série de lettres d’avertissement pouvant conduire à la suppression de tout ou partie de l’allocation au bout de quatre semaines. (Ça ne vous rappelle rien ?)

Côté incitation, le conseiller pour l’emploi offre, pendant quatre mois, une « aide intensive à la recherche » d’une « occupation » salariée, tels qu’un bilan de compétences personnalisé ou de la rédaction d’un projet professionnel. Si, au terme de cette période, le jeune n’a toujours rien, cinq possibilités s’offrent à lui.

Première option : il bénéficie d’un emploi aidé, sous forme de subventions versées à l’employeur pendant six mois maximum.

Deuxième option : il se voit proposer un travail de bureau bénévole (secrétariat, vente...)

Troisième possibilité - un emploi bénévole dans l’entretien des bâtiments publics, des chemins de fer ou des jardins publics.

La quatrième option consiste à proposer une formation d’un an maximum.

Cinquième et dernière possibilité : une aide à la création d’entreprise.

Le chômeur est tenu d’accepter au moins l’une de ces options sous peine de perdre tout ou partie de son allocation.

Tout ce dispositif, pour quel résultat ?

Selon un organisme de recherche indépendant, le National Audit Office (The New Deal for Young People, National Audit Office, Londres, février 2002), sur un total de 719.000 participants à la fin octobre 2001 (dernier chiffre connu), 40 % ont accédé à un emploi non subventionné pendant au mois treize semaines ; 11 % ont été transférés vers d’autres types de prestations, notamment l’allocation pour adulte handicapé ; 20 % ont recommencé à percevoir l’allocation chômage. Enfin, 29 % ont quitté le dispositif pour des motifs inconnus.

Selon le National Audit Office, seuls 30.000 à 40.000 jeunes auraient trouvé un emploi grâce à au dispositif NDYP (The New Deal..., op. cit). De plus, la plupart d’entre eux ne conservent pas leur emploi plus de treize semaines en moyenne.

Bilan ô combien peu glorieux... Ce système est avant tout, d’une part une machine à fournir des travailleurs corvéables à merci pour les entreprises et, d’autre part, une machine à sortir les chômeurs des statistiques officielles. On peine à imaginer ce que doit être le véritable chômage et la misère qu’il entraîne, en Grande bretagne.

Jeunes ou vieux de 22 ans : le dumping social

Enfin, un travail n’entraîne pas automatiquement une augmentation du niveau de vie. Un smic-jeunes a été mis en place : 4,10 livres l’heure (6euros) contre 4,85 pour les plus de 21 ans... Ce qui pousse les employeurs à licencier sans remords les « vieux » de 22 ans, dès qu’ils passent au tarif adulte. Ces jeunes peu qualifiés enchaînent les petits boulots sans avenir et n’ont aucune chance d’accéder à un logement décent.

Assurément, il faudrait conseiller le nouveau CPE de Villepin à Tony Blair, ce qui permettrait de repousser les échéances de 22 à 26 ans...

Salaires, sous-emploi et misère

Les salaires sont si maigres que le gouvernement a distribué (chiffres de 2003) à quelque 250.000 ménages pauvres un crédit d’impôt complétant les revenus, le Working Tax Credit. En clair, il subventionne les bas salaires en se gardant de faire pression sur les employeurs et entretient ainsi une réserve de main-d’œuvre mal payée, qui a le plus grand mal à boucler les fins de mois en dépit des transferts sociaux. Ainsi, 29 % des femmes travaillent à temps partiel, pour une durée moyenne de seize à trente heures par semaine. En 2002, 17 % (contre 21 % en 2000) de la population se situe au-dessous du seuil de pauvreté (Eurostat, « Poverty and Social Exclusion in the EU », in Statistics in Focus, Bruxelles, septembre 2004). Les parents isolés représentent 37 % des adultes vivant au-dessous du seuil de pauvreté (Department for Work and Pensions, Households Below Average Income, chap. V, Londres, 2003).

A l’heure où le modèle britannique entre dans sa phase de déclin, parce que l’artifice de la manne pétrolière se résorbe dans ce pays, il est frappant (le terme est juste, pour nous) de constater les similitudes entre ce système et les mesures mises en place en France par le gouvernement Villepin.


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