La présidence de la république dans les institutions françaises

dimanche 20 avril 2008.
 

Tout enseignant (j’en ai longtemps été un) peut le constater : la plupart des élèves, ignorants de ce que furent la Première, la Troisième et la Quatrième, croient que la République a toujours été dirigée par un Président, élu directement par le Peuple. Autant dire que la République demeurera présidentielle pour l’éternité, le seul problème étant de choisir un bon Président.

À l’évidence, même s’ils (tous ?) connaissent l’Histoire, cette perspective est aussi celle de la plupart des dirigeants socialistes, futurs leaders autoproclamés du grand « parti démocrate », qu’à l’exemple de l’Italie et de l’Espagne ils appellent de leurs vœux : la bipolarisation, sans risques, de la vie politique évacuera les « extrêmes » du champ électoral et tiendra à distance le « mouvement social ».

Réalisme résigné ou assumé, ces dirigeants ont depuis longtemps intériorisé l’esprit du présidentialisme de la Cinquième République, à l’instar du maître à penser initial : Mitterand, opposant résolu au prétendant d’avant 1958 comme au Président d’après 1958, Mitterand auteur du dénonciateur Coup d’État permanent (1964), endossa sans barguigner en 1981 la fonction présidentielle, et la dérive de pouvoir personnel qu’elle portait.

À ce propos, anecdote : suite à un article mien sur le régime présidentiel (1), un parmi d’autres (2), j’avais en 2004 été invité à participer, en tant qu’historien, à une journée nationale de la C6R consacrée à ce même Coup d’État permanent, dans la tout indiquée ville de Jarnac. Trois ans plus tard, j’avais la surprise ( ?) de retrouver en conseillers de Mme Royal bonne partie des pourfendeuses et pourfendeurs du système présidentiel aux côtés desquels j’étais à la tribune. Il n’échappait pourtant à personne que, pour Mme Royal, la rencontre d’un Peuple et d’une Femme, investie par la Providence de la charge suprême, transcendait l’engagement politique et s’inscrivait de façon presque caricaturale dans la tradition présidentialiste.

Si besoin était, ces engagements inattendus n’ont pu que me confirmer la prégnance du réalisme opportuniste chez des politiques désireux d’assumer leur part du pouvoir.

Faut-il aussi rappeler l’arroseur arrosé Lionel Jospin, dont, afin d’assurer sa victoire et d’écarter le risque d’une cohabitation, le gouvernement inversa l’ordre des élections législatives et présidentielles. Avec l’heureux résultat que l’on sait en 2002. Ce qui n’a pas empêché les dirigeants socialistes de persévérer dans l’assomption présidentielle : en 2007, la voie leur semblait triomphale (même si d’aucuns ne la concevaient pas royale), tant les résultats des régionales marquaient l’ancrage à gauche du pays, tant les antécédents et la personnalité du candidat UMP pouvait apparaître comme un repoussoir.

Après la défaite, en l’absence de vraie autocritique, les partisans de la candidate se sont bornés à se déculpabiliser, en se défaussant. Premier acte : on stigmatise implicitement cette partie du Peuple qui a gobé les refrains populistes et démagogiques du candidat. Peuple ignorant, télé-endoctriné, prompt à croire aux garanties sécuritaires et aux promesses de mieux vivre. Ce Peuple (sociologique) n’est pas bon. Il l’avait déjà prouvé en permettant la présence de Le Pen au second tour, et en faisant gagner le NON.

Il est facile de condamner ainsi l’aliénation populaire, si on se garde de mettre en cause la façon dont « le Peuple » est sommé, sans l’avoir demandé, de se choisir un chef. Dans une récente réponse très stimulante à un article du Monde Diplomatique, Jean-Paul Damaggio pointait un fait essentiel : en 1848 lors de l’institution de la fonction de Président et de l’élection présidentielle au suffrage présidentiel (masculin), comme au retour à cette institution en 1962, « le peuple » n’a pas été demandeur, mais mis devant un choix venu d’en haut (3). Second acte : le Président n’est pas bon. Pas tellement à cause du programme qu’il applique, que par sa manière de gouverner, dans la pure tradition consulaire et bonapartiste : hyper-présidence sur laquelle de Belles Âmes se polarisent, avec à la clé un appel à défendre la République contre un pouvoir personnel confinant à la monarchie élective. Dans cette entreprise, l’éternelle Candidate fut d’ailleurs rejointe par des politiques dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’avaient jamais brillé par la dénonciation du pouvoir présidentiel...

Le troisième acte se joue sur un autre registre, dans la dénonciation d’un comportement présidentiel indigne de la gravité de la fonction. Convenons qu’il n’est pas question de négliger cet aspect personnel, encore moins le passer aux pertes et profits. Mais il est certes plus facile de stigmatiser le comportement du Président, ou de spéculer sur ses possibilités de rebondir dans les sondages, que de traiter de la politique mise en œuvre tant par le bouillonnant Président que par son « mesuré » Premier Ministre. Certes, nombre de députés et sénateurs de gauche la combattent, dans l’indifférence médiatique, mais on attend encore un vrai programme de l’opposition...

Mais voici que, sondages et résultats des Municipales aidant, tout repart dans la logique de 2002 et de 2007. Un seul objectif : la victoire à l’élection présidentielle de 2012. Malgré une abstention record, les Municipales ont redessiné de façon rassurante l’équilibre traditionnel de deux espaces antagonistes fidèlement politisés. Reste à gagner le Centre. Raison de plus pour accepter que le mouvement social qui mûrit fasse fructifier le nombre des électeurs de l’opposition, comme en 1995, mais pas question qu’il aille trop loin en effrayant ces indécis décisifs.

Sortant une fois de plus de sa retraite, Lionel Jospin adjure le parti de se doter d’un chef de file qui mette chacun au travail, dans l’élaboration d’un programme. Louable intention. Mais en fait, chacun le sait, dans ce système présidentiel, le programme ne vaut que par ce que le Président jugera bon d’en faire. On peut être élu sur un projet politique, et, au nom des dures lois de l’économie et de l’intégration européenne, se garder de le mettre en œuvre. L’expérience des mitterandiennes années 80 en témoignait avant celle des années Jospin. Quant au risque de l’hyper personnalisation, il faudrait ne jamais avoir mis les pieds dans les allées des pouvoirs, grands et petits (municipaux par exemple), pour ignorer quelles dérives guettent les mieux intentionnés. En fait, dans le cadre de ce système, seule la qualité humaine de l’Élu, son éthique, peuvent être des garde-fous efficaces. Pari risqué.

De toute façon, ce serait mettre imprudemment la charrue avant les bœufs que d’imaginer ce que pourrait être dans ces conditions une présidence de gauche. Car rien ne dit qu’une fois de plus, « le peuple » sociologique étant ce qu’il est, n’écoutera pas les sirènes du démagogue, quitte, une fois de plus ses chaînes forgées, à être déçu aussi vite qu’il s’était emballé...

Sans les partager, je comprends tout à fait les réactions d’accablement devant ce possible aveuglement populaire. Sans les partager, car l’histoire récente ou lointaine nous donne des exemples de conscientisation majeure d’un peuple initialement trompé. Certes, comparaison n’est pas raison, mais peut-être peut-on tirer de ces exemples leçon pour aujourd’hui. Histoire lointaine.

Après la proclamation de la Seconde République en février-mars 1848, après la répression sanglante du mouvement ouvrier en juin 1848, la coalition au pouvoir des républicains bourgeois et des conservateurs vota une constitution instituant, grande première mal inspirée de l’exemple américain, un Président élu au suffrage universel masculin, tout puissant chef de l’exécutif. La fonction était taillée sur mesure pour le Général Cavaignac, le « bourreau de Juin », garant de l’ordre social. Mais en décembre 1848 le candidat du pouvoir, tout comme ceux de la gauche modérée et de l’extrême gauche, furent balayés par l’aventurier politique Louis Napoléon Bonaparte (74,40% des suffrages), dont la démagogie populiste et l’aura du nom rallièrent la masse populaire, alors majoritairement rurale. Après ce coup de massue, la gauche républicaine et l’extrême gauche auraient pu s’enfermer dans la dénonciation boudeuse d’un peuple forgeur de ses propres chaînes. Blanqui et ses amis ne s’étaient-il pas opposés, aux débuts de la République, à l’instauration du suffrage universel masculin, prévoyant que, tant que le peuple ne serait pas éclairé, ce suffrage ne profiterait qu’à la réaction... Et à chaud, Marx ne voyait-il pas dans ce résultat que la revanche obtuse de la masse paysanne... Or, dès le printemps 1849, on voit le bloc démocrate socialiste, les Rouges, s’organiser et patiemment gagner électoralement nombre de départements où le petit peuple avait porté Louis Napoléon. Cette conquête électorale se fondait sur un programme très réaliste de mesures concrètes à appliquer immédiatement et sur l’espérance quasi messianique de « la Bonne », la « Sainte », la République démocratique et sociale. Elle s’accompagnait de la structuration d’un réseau horizontal d’organisations de base, comme on dirait aujourd’hui, qui jouèrent un rôle déterminant dans la puissante insurrection républicaine contre le coup d’État du Président, en décembre 1851. Cofondateur et longtemps animateur de l’Association 1851 pour la mémoire de cette insurrection républicaine, je peux témoigner de la profonde indifférence de la plupart des médias et du gouvernement de l’époque lors du cent cinquantième anniversaire de l’insurrection. Tout occupé de l’inversion du scrutin et de la prochaine élection présidentielle, le pouvoir ne se souciait guère alors de la République démocratique et sociale, et de ceux qui, par ce glacial décembre 1851, s’étaient levés pour elle : Comme le souligne Jean-Paul Damaggio dans son article (3), le Second Empire stérilisa (à jamais ?) cette énergie des insurgés de 1851, qui unissait intimement le politique et le social : pas de démocratie sans justice sociale, pas de justice sociale sans démocratie... Il laissera à la Troisième République, après l’écrasement de la Commune, le soin de les séparer.

Histoire contemporaine...

Je porte encore le sentiment d’isolement absolu et de désarroi, ressentis au lendemain du référendum de septembre 1958 qui entérinait la constitution de la Cinquième République. C’était mon premier vote. Avaient appelé au NON le puissant parti communiste ainsi que de petites formations de gauche (UFD, UGS, PSA, UDSR). Tous les autres partis, y compris la SFIO et les radicaux, avaient appelé à voter OUI. Mais alors qu’aux législatives de 1956 (forte participation, seulement 17,2% d’abstentions), le parti communiste avait obtenu 25,36% des exprimés, le OUI l’emporta avec 81,69 % des votants métropolitains (19,37 % d’abstentions).

Je me souviens aussi de la déception d’octobre 1962, quand De Gaulle demanda au peuple français d’approuver par référendum l’élection du Président au suffrage universel. Le OUI recueillit 62,25 % des exprimés. Le NON (auquel appelaient tous les partis, sauf le parti gaulliste) ne recueillait que 37,75%.

Il y avait de quoi baisser les bras. Et pourtant...

Bien des commentateurs focalisent sur la seule suite politique de ce référendum, De Gaulle ne parvenant pas à être élu au premier tour de la présidentielle de 1965, et ne l’emportant au second tour qu’avec 55,20% des suffrages contre Mitterand (44,80%). Histoire politique insistant sur la recomposition d’une gauche que l’on avait crue abattue. Mais histoire seulement politique, qui s’inscrit d’ailleurs, paradoxalement, dans un contexte de dépolitisation apparente, particulièrement dans la jeunesse yé-yé, quand L’Avant-Garde communiste devenait le mièvre Nous les Garçons et les filles, et que Le Monde estimait que la France s’ennuyait... Tout au plus pointe-t-on, à l’occasion, le bouillonnement des comités lycéens contre la guerre du Viet Nam. Qui évoque encore la grève des mineurs de 1963, soutenue par une immense solidarité populaire, brisant la réquisition gaulliste, ou encore les multiples conflits du travail où la jeunesse était au premier rang, comme à Caen en 1967... Maturation occultée du versant ouvrier de Mai 68, lui aussi occulté dans les mémoires au profit du seul mouvement étudiant. L’aspiration populaire à la justice sociale n’a pas rencontré alors un mouvement politique capable d’assumer véritablement les perspectives d’une République démocratique et sociale, mais seulement les ambitions d’un personnel politique « de gauche » qui croyait son heure venue (comme une fois encore, on s’en souvient, aux lendemains de 1995). Les conclusions s’imposent d’elles-même...

René Merle


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