24 décembre 1951 Le Père Noël pendu en holocauste par l’Eglise comme usurpateur et hérétique

jeudi 28 décembre 2023.
 

- A) La pendaison
- B) Communiqué de la paroisse de Dijon (archevêché)
- C) Résurrection immédiate du Père Noël
- D) Après les sorcières, le père Noël sur le bûcher

Noël : de la fête du Soleil renaissant à la naissance de Jésus

A) La pendaison

Durant l’année 1951, plusieurs prélats importants comme autorités ecclésiastiques, expriment leur désapprobation de l’importance croissante accordée par les familles et les commerçants au personnage du Père Noël. Ils dénoncent une « paganisation » inquiétante de la fête de la Nativité, détournant l’esprit public du sens proprement chrétien de cette commémoration, au profit d’un mythe sans valeur religieuse. A la veille de Noël, ces attaques redoublent.

Le 24 décembre 1951, le Père Noël se voit pendu en effigie sur le parvis de la cathédrale de Dijon en présence de centaines d’enfants des patronages catholiques de la ville.

Cette affaire prend une dimension nationale en raison du sujet mais aussi de la personnalité politique catholique la plus connue à l’époque : le chanoine Kir, député maire de Dijon.

Voici un extrait du compte rendu publié par France Soir :

Le Père Noël a été pendu hier après-midi aux grilles de la cathédrale de Dijon et brûlé publiquement sur le parvis. Cette exécution spectaculaire s’est déroulée en présence de plusieurs centaines d’enfants des patronages. Elle avait été décidée avec l’accord du clergé qui avait condamné le Père Noël comme usurpateur et hérétique. Il avait été accusé de paganiser la fête de Noël et de s’y être installé comme un coucou en prenant une place de plus en plus grande...

Dimanche à trois heures de l’après-midi, le malheureux bonhomme à barbe blanche a payé comme beaucoup d’innocents une faute dont s’étaient rendus coupables ceux qui applaudiront à son exécution. Le feu a embrasé sa barbe et il s’est évanoui dans la fumée...

À l’issue de l’exécution, un communiqué a été publié dont voici l’essentiel :

B) Communiqué de la paroisse de Dijon (archevêché)

Représentant tous les foyers chrétiens de la paroisse désireux de lutter contre le mensonge, 250 enfants, groupés devant la porte principale de la cathédrale de Dijon, ont brûlé le Père Noël.

Il ne s’agissait pas d’une attraction, mais d’un geste symbolique. Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. À la vérité, le mensonge ne peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation. Que d’autres disent et écrivent ce qu’ils veulent et fassent du Père Noël le contrepoids du Père Fouettard.

Pour nous, chrétiens, la fête de Noël doit rester la fête anniversaire de la naissance du Sauveur.

C) Résurrection immédiate du Père Noël

France Soir poursuit à l’époque son article par cette information intéressante : L’offensive cléricale n’entraîne pas l’annulation de l’initiative officielle (sous l’égide de la mairie) prévue pour les enfants en présence d’un Père Noël le 25 décembre à 18 heures. Le chanoine Kir, député maire de la ville, fait savoir qu’il n’a pas pris position dans cette affaire.

L’exécution du Père Noël sur le parvis de la cathédrale a été diversement appréciée par la population et a provoqué de vifs commentaires même chez les catholiques.

D’ailleurs, cette manifestation intempestive risque d’avoir des suites imprévues par ses organisateurs.

L’affaire partage la ville en deux camps.

Dijon attend la résurrection du Père Noël, assassiné hier sur le parvis de la cathédrale. Il ressuscitera ce soir, à dix-huit heures, à l’Hôtel de Ville. Un communiqué officiel a annoncé, en effet, qu’il convoquait, comme chaque année, les enfants de Dijon place de la Libération et qu’il leur parlerait du haut des toits de l’Hôtel de Ville où il circulera sous les feux des projecteurs.

D) Après les sorcières, le père Noël sur le bûcher

par Jérôme Lamy, historien des sciences

Le Père Noël supplicié, de Claude Lévi-Strauss, éditions du Seuil, coll. «  la Librairie du XXIe siècle  », 80 pages, 12 euros.

C’est un fait divers de décembre 1951 qui donne à Claude Lévi-Strauss l’occasion d’explorer les structures mythiques sous-tendant la popularisation progressive du père Noël. Le clergé de Dijon, heurté par la montée en puissance de ce personnage païen, décide de brûler son effigie en public.

L’affaire a fait grand bruit, la presse s’étant empressée de relayer un événement difficilement saisissable. S’agit-il d’une américanisation des fêtes de Noël ?

La diffusion d’un cérémonial des cadeaux, de décorations spécifiques et d’un arbre fédérateur, semble soutenir cette thèse. Mais Claude Lévi-Strauss souligne qu’il s’agit là des simples apparences d’un phénomène beaucoup plus profond, tant du point de vue historique que du point de vue anthropologique. Il fait, très justement, remarquer qu’une coutume se diffuse parce que le système social qui l’accueille disposait d’un espace latent prêt à la recevoir. Toutefois, la fête de Noël, en ses formes qu’on lui connaît au lendemain du second conflit mondial, est bien un rite moderne, produit de convergences nombreuses.

Les cadeaux sont une transaction entre les générations

Il semble qu’au XIIIe siècle les «  réjouissances de Noël (…) paraissent ne le céder en rien aux nôtres  ». De même, à l’époque médiévale, les décorations de végétaux verdoyants sont mentionnées. Il existe donc des éléments divers qui se réorganisent à l’époque moderne sous la forme d’un rite relativement stabilisé. Le père Noël – qui suscite l’ire du clergé bourguignon en 1951 – symbolise l’écart générationnel entre les adultes et les enfants. Il prend donc place dans la longue tradition des passages initiatiques.

Claude Lévi-Strauss souligne la forte ressemblance «  entre le père Noël et les katchina des Indiens du sud-ouest des États-Unis  ». Des personnages masqués, représentant les ancêtres, viennent visiter les enfants du village, à intervalle régulier. Les cadeaux sont donc une transaction entre les générations. N’appartenant pas aux cercles des initiés, les enfants symbolisent les morts.

Historiquement, le mythe du père Noël se constitue sur un double mouvement de solidarité et d’opposition. Point culminant d’une célébration des morts, dont l’étalement a disparu, Noël est l’occasion de signaler la reconnaissance d’une altérité profonde, celle qui sépare les vivants des disparus. Si, à l’origine, ce passage se traduisait par un renversement, provisoire, de l’ordre établi, l’adoucissement des mœurs a conduit à ne conserver que la générosité d’un instant de fête.

Finalement, les offrandes nombreuses apparaissent comme la possibilité de croire en une prodigalité désintéressée. Ce qui est donné aux morts permet de repousser la déchéance finale et de savourer le fait d’être en vie. C’est donc moins la mort que Noël conjure que les morts. La différence n’est pas anecdotique, puisqu’elle sépare – si l’on en croit Salomon Reinach – les religions antiques et modernes. Le clergé de Dijon, en dénonçant une célébration païenne, ne faisait, finalement, que montrer sa perpétuation sous une forme moderne.


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