Démocratie et travail social ( 7,8,9 Etats Généraux du travail social)

vendredi 30 juin 2006.
 

ci-joint le compte-rendu d’une conférence de Cristina de Carolis mis en ligne dans le cadre des travaux de l’association 7, 8, 9 Etats Généraux du Travail social.

Je traiterai de ce sujet sous l’angle du savoir faire des travailleurs sociaux, c’est-à-dire leur méthodologie et les bases éthiques qui la sous-tendent. J’organiserai mon propos autour de trois questions :

1) En quoi la démocratie est-elle une préoccupation constante des professions sociales ? comment ont-elles défini leurs valeurs et principes en référence à la démocratie ?

2) Comment cette préoccupation démocratique est-elle incorporée dans nos méthodologies d’intervention ?

3) Quelle est la place du sujet, de la personne, dans l’évolution des méthodes ?

La démocratie : une préoccupation constante

Au cours de son histoire, les professions sociales, et notamment celle d’assistant deservice social, ont eu un engagement sur des valeurs démocratiques à l’origine de leur création et de leur développement.

La démocratie est le pouvoir du peuple, une forme de gouvernement où le pouvoir est exercé par le peuple. Elle reconnaît le pouvoir non pas d’une seule personne, ni de quelques uns, mais de tous et égalitairement.

Mais nous savons bien combien peu participent réellement de ce pouvoir exercé par le peuple, combien sont-ils, du fait de leurs difficultés et leur peu de moyens, mis à l’écart des décisions qui comptent pour leur vie. Le souci démocratique est présent dans les valeurs humanistes qui donnent sens à notre pratique :

- la considération et le respect portés à la personne, à sa dignité

- la conviction que chacun possède des capacités et des potentialités le rendant apte à développer son autonomie et à atteindre un plus grand épanouissement

- l’obligation pour toute société d’assurer à ses membres le maximum depossibilités et de bien-être

- le lien réciproque entre la personne et la société où le développement de l’un nécessite celui de l’autre

Ces valeurs humanistes, consignées dans nos codes de déontologie, nous font une engagement de justice sociale, c’est-à-dire, le partage et la redistribution des richesses entre tous les membres de la société, le refus de laisser certains au bord du chemin parce que malades, handicapés, exclus ou âgés... Cette tension vers une « égalité en fait », plutôt que seulement« l’égalité en droit » de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, se construit dans les politiques sociales qui instaurent des protections spécifiques à certains groupes sociaux ou unediscrimination positive de certaines catégories de personnes ou d’aires géographiques (Politique de la ville)

L’engagement pour une société où chacun trouve sa place utile et à part entière met en valeur la nécessité de lutter contre les causes des exclusions et discriminations multiples dont sont victimes un certain nombre de personnes. Robert CASTEL nous a dit à quel point aussi ces causes économiques nous dépassent. Mais faut-il encore, favoriser la mise en place de structures participatives où exercer son influence citoyenne dans la vie de la cité. Dans cette perception de la démocratie en travail social deux concepts clefs me semblent essentiels : la participation et la citoyenneté.

La participation, être partie prenante, faire partie de, est un aspect essentiel de la vie des personnes. Cette participation des usagers s’accompagne de leur droit d’autodétermination, c’est-à-dire de faire les choix et de prendre les décisions qui concernent leur vie. La participation des personnes à l’aide qui leur est proposée est essentielle. Déjà Mary RICHMOND, première théoricienne du service social, disait en 1917 : « Les êtres humains sont mal adaptés à un rôle passif ; quel que soit leur genre d’existence ils dégénèrent par un pareil régime.

Le succès de tout traitement social a comme pierre de touche la part active prise par chacun des intéressés dans la mesure de ses capacités, à l’accomplissement du résultat désiré. » Et elle poursuit s’adressant à nous : « Il est dangereusement facile pour les travailleurs sociaux d’assumer un rôle en somme égoïste et autocratique, et de se mettre à l’avant plan par des actions qui, désintéressées en apparence, forcent leurs clients à se cantonner dans le rôle passif d’obligés ».

Ceci traduit notre volonté constante de « faire avec » et de « faire faire » dans une relation d’aide à la fois proche, chaleureuse et confiante dans les capacités des personnes. Nous sommes aujourd’hui soutenus par la législation sociale qui fait une place de plus en plus importante aux personnes bénéficiaires. Ainsi, la loi de lutte contre l’exclusion et plus récemment la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, exige du secteur un nouvel investissement dans des pratiques soucieuses des droits des usagers. Il doit être assuré :

- le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité ;

- le libre choix des prestations adaptées qui lui sont offertes...

- une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualitéfavorisant son autonomie et son insertion.

- Respect de son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché

- La confidentialité des informations la concernant

- L’accès à toute information ou document concernant sa prise en charge

- La participation directe à la conception et à la mise en œuvre du projet d’accompagnement qui le concerne.

La citoyenneté, terme un peu galvaudé dernièrement, garde toutefois toute sa portée dans notre perception des personnes. Le citoyen est celui qui vit dans la cité, selon cette définition le citoyen fait partie de la société parce qu’il vit sur le territoire, quelle que soit sa situation ou sa nationalité. De ce fait, il est titulaire de droits et de devoirs. Les droits sociaux consignés dans le préambule de la Constitution de la République Française de 1946 sont devenus un drapeau, une revendication face aux problèmes sociaux actuels :

- Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi...

- La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement

- La Nation garantit à tous la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs

- La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture.Toutefois, l’accès réel à ces droits n’est pas automatique, loin de là. Ils constituent des idéaux vers lesquels tendre mais non des réalisations assurées.

Le concept de citoyen va au-delà du droit constitutionnel. Le citoyen est aussi celui qui participe activement à la vie de la cité, celui qui contribue par son action et son investissement à créer et à contrôler les pouvoirs qu’il s’est volontairement donné.

La citoyenneté pose ainsi sa dualité : l’accès aux droits et la participation à la vie de la cité qu’on contribue à forger par son investissement et son action. Outre Atlantique, le concept d’empowerment à la fois se rapproche et est complémentaire de celui de citoyenneté. L’empowerment, littéralement acquérir du pouvoir, se traduit par l’appropriation sociale et personnelle d’un pouvoir sur sa vie. Il a été traduit par« puissance sociale », mais il reste difficile de lui donner une connotation juste. Deux significations se partagent ce concept dans la littérature professionnelle québécoise : acquérir une plus grande maîtrise sur les choses importantes pour soi, devenir capable de décision et de participation, et une mobilisation collective qui augmente la possibilité d’accéder aux ressources pour ceux qui en sont exclus. Pour éviter la dérive psychologisante il faut voir la personne dans son milieu, et concevoir l’appropriation de pouvoir comme un processus de transaction entre les individus et l’environnement.

Ces principes et concepts montrent l’engagement démocratique de notre profession. Il se traduit aussi dans notre pratique et dans nos méthodes. Permettez moi de citer encore Mary RICHMOND qui nous dit : « La méthode par laquelle on arrive à la compréhension d’un client et à l’élaboration, en conférence avec lui, d’un programme auquel il participe, est par essence une méthode démocratique »

Comment cette préoccupation démocratique est-elle incorporée dans nos méthodologies d’intervention ? Si la méthode est par essence démocratique, au sens humaniste dont le conçoit cette pionnière, c’est parce que la personne y a une place prépondérante, qu’elle est considérée en tant que sujet et non en tant que objet. C’est bien une personne et non un numéro ou un dossier avec qui on travaille. Notre méthodologie laisse toute sa place au sujet de la prise de contact à la clôture de l’intervention. En effet, nous savons combien il est important d’accueillir la personne, de la mettre en confiance, de diminuer son stress afin qu’elle puisse s’exprimer sans crainte et avec l’assurance d’être écoutée de manière respectueuse. Nous savons aussi que pour comprendre la situation et effectuer une évaluation correcte il nous est nécessaire une grande attention à ce qui est dit mais aussi à la manière dont c’est dit, aux sentiments sous-jacents ; il nous faut encore recueillir des éléments significatifs qui nous permettent une vision globale de la personne, de son histoire personnelle, de ses compétences, de ses capacités et celles de son milieu.

C’est à cette condition que nous pourrons « faire ensemble », « travailler avec », pour trouver les solutions possibles les mieux adaptées. Pour cela, la reconnaissance, la considération réciproque, la définition des objectifs communs et l’entente sur les moyens et démarches à effectuer nous permettra ensemble de définir un contrat et de mener à bien un projet commun. Ce projet sera personnalisé, adapté à chaque personne et à chaque situation car chacune est unique et même avec des problèmes semblables ils seront vécus et perçus de manière différente et donc lessolutions sont à chercher en commun accord au cas par cas, car spécifiques à chacun.

Toutefois, ce processus de travail doit se limiter dans le temps, il sera aussi long que nécessaire mais ne doitpas se prolonger lorsque les objectifs ont été atteints. Cette méthodologie amène le travailleur social à construire son intervention : a accueillir, développer la confiance, chercher la coopération et la participation, clôturer la rencontre. Il établit avec la personne une collaboration où elle reste sujet et partenaire. Comme le dit si bien Saül KARSZ il est question de passer de la « prise en charge » à la « prise en compte ».

Quelle est la place du sujet dans l’évolution des méthodes ? On parle beaucoup aujourd’hui des familles ou personnes comme partenaires du travailleur social et c’est une bonne chose : « le partenariat devient une revendication despersonnes directement concernées par l’action sociale... Leur demande est d’être entendus et d’être reconnus dans leurs compétences et leurs expériences, de pouvoir partager leursobservations, de prendre avec les professionnels les décisions qui concernent la prise en charge,les programmes ou les projets d’intervention »

Ce partenariat avec les personnes est encore plus fort lors du passage d’une interventiond’aide à la personne à une intervention d’intérêt collectif. Le travail avec des groupes et avec un lieu de vie sociale (quartier, résidence) mobilise d’autres aspects que l’accompagnementindividuel. En travail collectif :

- le problème se pose autrement : ce n’est plus une difficulté personnelle mais un problème partagé par plusieurs, mutualisé il renvoie moins aux carencesindividuelles, il est donc moins stigmatisant ;

- L’espace public est utilisé aux fins de la vie du groupe (salles, lieux derencontre, équipements divers sportifs ou de loisirs)

- L’organisation du temps nécessite une programmation et une planification préalable ;

- La visibilité de l’action est plus importante et a des répercussions immédiates ;

- les relations qui se tissent au sein des groupes sont des relations entre pairs, entre égaux qui poursuivent un objectif commun.

- Les relations entre les membres favorisent l’entraide, le partage du rôled’aide dont le Travailleur social n’est plus le seul dépositaire. Les personnes rentrent dans un cycle de réciprocité valorisant et créateur de solidarités nouvelles. L’intervention collective nous fait voir la complexité du processus et l’impactdémocratique de cette intervention.

Pour vous donner un exemple je vous parlerai de l’Association Femme dans la Cité qui s’est constituée dans un quartier sensible, comme on dit aujourd’hui, de la Seyne Sur Mer où j’habite. Au démarrage, l’assistante sociale de secteur réunit un groupe de femmes isolées, immigrées pour la plupart, des cultures très différentes(Maghreb, Afrique noire, gitans sédentarisés) afin de les aider à établir des relations, créer dulien, se connaître et s’entre aider. Ce groupe a organisé une fête de quartier avec au menu desspécialités des différents pays d’origine. Peu à peu d’autres centres d’intérêt surgissent etl’Assistante sociale aide les femmes à s’organiser, à multiplier les activités, à se constituer enassociation, à prendre leur place dans la cité en partenariat avec d’autres, à affirmer leur existence. Le plaisir de préparer et de partager les mets gastronomiques de leurs pays d’origine apeu à peu permis une activité plus structurée, elles ont été sollicitées pour fournir des appéritifset des buffets, lors d’inauguration d’expositions, de festivités locales, etc.

Aujourd’hui cette association se donne comme objectifs :

- « La promotion de la femme

- L’échange interculturel

- Le respect des différences

- La participation à la vie de la cité

- Le développement d’une économie solidaire »

L’association a un local, elle déploie une variété d’actions vers les femmes et les enfants du quartier : ateliers d’écriture et lutte contre l’illettrisme, alphabétisation, suivi scolaire desenfants, aide aux devoirs, écrivain public, accueil de premier rejoignant femmes ou enfants, gymnastique etc. Toutes ces actions sont organisées avec des bénévoles. Mais, l’association a aussi été à l’origine de la création d’un restaurant d’insertion « le Petit Prince » où une quinzaine de femmes travaillent et se préparent à une insertion professionnelle. On y mange des mets exquis des différents pays et leur livre de recettes se vend comme des petits pains. Rien de tout cela n’aurait été possible sans à l’origine la mise en place de ce groupe par l’assistante sociale de secteur. Elle a su travailler sur les capacités et les compétences des personnes, les a aidés à passer d’une position de victimes à une position d’acteur, elle a stimulé les propositions et accompagné les réalisations. Au début elle intervenait dans un rôle très actif,peu à peu elle a réduit son action au conseil technique avec une présence inversementproportionnelle à l’autonomisation acquise par le groupe.

Bien que les grands déterminismes socio-économiques nous échappent, des mirco-réalisations sont possibles, souhaitables et émancipatrices. La motivation des professionnels pour ce type d’intervention ne peut prendre sa source que dans l’utopie. Dans la conviction que les personnes ont des compétences, que les solidarités sont possibles, que la mobilisation des dynamismes entraîne des nouveaux possibles. Alain SAUVIN, formateur suisse, nous dit : « Pour sortir du dilemme, il faut rêver, réfléchir et inventer. Après quoi seulement il y a moyen de poser des actes simples et quotidiens sur lechemin du projet et de l’utopie. L’utopie, .. c’est aussi penser qu’il peut y avoir une société qui permette à chacun d’avoir une place, où chacun puisse avoir et être selon ses besoins, où il n’y ait plus richesse insultante et pauvreté fonctionnelle, où chacun soit acteur, sujet, où l’hommepuisse maîtriser les structures qui le déterminent. » Tout un programme de démocratie participative.

L’association 7 8 9 Etats Généraux du Travail Social se veut reprendre cette exigence, à la fois utopie et réalisations, cahiers de doléances et proposition d’action, constats et initiatives. Souvent nous n’osons pas prendre la parole. Nous sommes conditionnés par nos professions à donner un espace de parole aux personnes, et nous oublions souvent de nous exprimer nous-mêmes. D’autres le font à notre place... Les Etats Généraux du social nous donnent collectivement l’occasion de nous exprimer : de faire savoir l’inacceptable, de faire connaître nosexigences, de valoriser nos réalisations.


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