Municipales et gestion de l’eau (5) : comment préparer le retour en régie ? (par Marc Laimé)

jeudi 21 juillet 2016.
 

Plus d’une cinquantaine de retours en gestion directe de l’eau et/ou de l’assainissement ont été enregistrés en France ces dernières années et tout laisse à croire que ce mouvement va s’intensifier. L’expérience témoigne qu’un certain nombre de conditions doivent être remplies afin que la volonté, souvent minoritaire, de promouvoir le retour en régie finisse par susciter une forte adhésion. Au premier rang de ces conditions, la maîtrise du temps. Il faut s’y prendre de 3 à 5 ans à l’avance pour mettre le maximum de chances de son côté.

Etablir un argumentaire qui décrit le contexte.

Une situation de monopole.

Le service public de l’eau et de l’assainissement qui était assuré en France jusque dans les années 1950 à hauteur de 70% par des régies publiques communales a peu à peu été "confisqué" par trois grandes entreprises, Vivendi, Suez et Saur. Elles détiennent aujourd’hui 80% du "marché" de l’eau potable et plus de 55% de celui de l’assainissement. Et sont devenues les leaders mondiaux du secteur.

De graves dérives.

Cette appropriation d’un service public essentiel a donné lieu à d’innombrables dérives, qui pénalisent gravement l’usager et le citoyen. Quand un service d’eau ou d’assainissement est confié par une collectivité à une entreprise privée, celle-ci facture par exemple en moyenne ses services 30% plus cher qu’une régie publique.

Des menaces environnementales et sanitaires.

Aujourd’hui les ressources en eau sont aussi de plus en plus polluées. [L’eau potable va donc coûter de plus en plus cher]. On prévoit ainsi qu’une centaine de milliards d’euros vont devoir être investis dans les 10 prochaines années pour lutter contre les conséquences des pollutions d’origine agricole et industrielle, sans pour autant s’attaquer à leur source. Des sommes considérables qui seront essentiellement payées par l’usager et le contribuable.

Mais cette situation n’est pas irréversible : on peut déplacer les lieux de captage, et surtout les protéger, comme l’exige la loi. L’eau ainsi produite sera moins chère que si l’on se borne à traiter les conséquences de la pollution.

Un inquiétant déficit démocratique.

Opacité, faillite des politiques publiques, abus financiers, pollution croissante, risques sanitaires : le service public de l’eau est de plus en plus menacé. Dans les formes actuelles de la délégation d’un service public à des entreprises privées, des pans entiers de la gestion comptable échappent ainsi au contrôle des usagers, comme le souligne régulièrement la Cour et les Chambres régionales des comptes.

Mobilisation citoyenne.

Partout en France des citoyens, des usagers et des collectivités se mobilisent pour défendre et se réapproprier le service public de l’eau. La question de la gestion publique de l’eau est désormais un véritable phénomène de société.

Analyser les effets de la délégation de service public

La durée des contrats de délégation du service public de l’eau à des entreprises privées favorise les abus de position dominante de ces entreprises. Cette situation est aggravée par l’impossibilité de mise en concurrence directe réelle des postulants car il n’existe très souvent que trois candidats possibles (Vivendi, Suez, Saur). Exactement 3,4 candidats et 2,1 offres, selon une étude datant de l’année 2000 et portant sur 220 renégociations de contrats. On constate aussi qu’existent des ententes sous la forme de filiales communes à ces groupes, qui limitent encore le champ de la concurrence.

Un grand nombre des contrats actuellement en cours ont été établis pour 20, 25 ou 30 ans, et parfois davantage encore. Chaque nouvelle équipe d’élus "hérite" donc du contrat en cours, sans pouvoir ou vouloir le remettre en cause. Il est extrêmement rare qu’une équipe municipale décide d’y mettre fin avant son terme, ce qu’elle pourrait pourtant faire lorsque des abus flagrants sont constatés.

Ce qui s’avère très fréquent puisque le prix négocié au début de mandat "explose" littéralement après deux mandats en moyenne, par le biais d’une formule de réévaluation des tarifs pour le moins absconse. De même pour les rachats de dettes, emprunts déguisés, dont le TEG explose au delà de la visibilité moyenne de l’élu (5 à 10 ans).

Or il est possible de rompre unilatéralement un contrat léonin. Les pénalités dues à l’entreprise privée étant évaluées sur la base des profits qu’elle prévoyait de réaliser, du jour de son annulation jusqu’à son terme prévu, le calcul de ces indemnités mettra d’ailleurs à jour les profits abusifs de l’entreprise. Ce qui peut la conduire à abandonner certaines de ses prétentions.

Exiger une étude exhaustive des dysfonctionnements qui mettent en lumière les éventuels abus de l’entreprise privée contraint donc les élus co-signataires du contrat incriminé à le réviser ou à le rompre, sous peine de se faire les complices d’abus perpétrés au détriment de l’usager.

Il faut aussi savoir que, lors d’un renouvellement de contrat, même si la loi "Sapin" impose de lancer un appel d’offres pour ensuite désigner l’entreprise qui poursuivra l’exploitation du contrat - alors qu’on aura auparavant écarté la régie directe en catimini, sans débat ni consultation des administrés -, la réglementation des marchés publics ne s’applique pas aux contrats de délégation d’eau et d’assainissement. Ce qui signifie que le gagnant ne sera pas forcément celui qui a fait la meilleure offre, mais celui qui inspire le plus de confiance ou qui plaît le mieux à la commission. C’est le principe de "l’intuiti personae".

Tout se joue donc dans la première phase : celle du choix entre l’exploitation du service en régie publique, ou la délégation à une entreprise privée. Des études préalables doivent donc permettre d’apprécier clairement les avantages et inconvénients des deux formules. Ces études sont obligatoires. Leur absence dans le dossier présenté aux élus participant au vote qui décidera de ce choix, comme dans celui présenté à la Commission consultative des services publics locaux (quand elle existe), entraînant l’annulation de la décision.

L’absence de transparence

Aussi bien dans le cas de "l’affermage" que dans celui de la "concession", les documents comptables présentés à la collectivité et aux usagers ne permettent pas de connaître la rémunération de l’entreprise privée. Ils ne permettent donc pas non plus de connaître le coût réel de l’eau. L’usager et les élus sont dès lors dans l’impossibilité de comparer le coût de la gestion déléguée de leur service des eaux, et donc le prix de l’eau, à ce qu’il serait en gestion directe (une gestion "publique" dans un cadre communal ou intercommunal). Une situation trop fréquente, qui ne devrait plus être acceptée.

Ce manque de transparence de la gestion apparaît souvent lorsqu’on essaie d’obtenir un minimum d’explications de la part du président de la collectivité (commune, syndicat ou groupement de communes) qui gère le service. Si l’on demande par exemple à consulter des documents administratifs (textes des contrats, compte rendu technique et financier du délégataire... ) il n’est pas rare de s’entendre répondre par la négative, au motif que "ce ne serait pas légal".

Or cela est faux. Tous les documents administratifs sont communicables au public. En cas de refus définitif les documents doivent être réclamés, sous forme d’une mise en demeure adressée à la collectivité par voie de lettre recommandée avec accusé de réception. Sans réponse dans un délai légal de 2 mois, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) pourra être saisie. Elle se chargera de se procurer, puis de transmettre les documents au demandeur.

Parmi les dysfonctionnements et abus de toutes sortes dont sont coutumières les entreprises privées, épinglés par les Chambres régionales des comptes et les Tribunaux administratifs et d’instance, on rencontre très souvent ceux relatifs aux coûts des renouvellements des installations et réseaux, fréquemment appelés "garantie de renouvellement", le coût exorbitant de l’exploitation des compteurs, celui des travaux exclusifs exécutés par l’entreprise sans mise en concurrence, les facturations de "frais de siège" sans justificatif..., et nombre d’autres abus liés à l’imagination sans limite des entreprises lorsqu’il s’agit d’augmenter abusivement les charges d’exploitation, et de diminuer d’autant le résultat du compte d’exploitation. Ni l’Etat ni les usagers n’y retrouvent leur compte.

Ajoutons un échelon important dans l’opacité : celui des cabinets d’audit, réputés "indépendants", auxquels font appel les collectivités qui souffrent d’un déficit d’expertise. Peu nombreux ils témoignent trop souvent, comme le soulignent de nombreux élus, d’une fâcheuse complaisance à l’égard des entreprises privées délégataires, qui ont depuis belle date imposé leurs normes à l’ensemble du secteur... Dans le même ordre d’idée, les services déconcentrés de l’Etat (les DDAF conseillent aujourd’hui près de 60% des collectivités délégantes) se montrent souvent peu critiques ou peu disponibles pour aider les municipalités à se faire leur propre opinion.

La "garantie de renouvellement" mérite spécialement que l’on s’y arrête. Ce poste permet en effet de facturer un montant de travaux calculé comme une prime d’assurance, et de ce fait bien supérieur au prix réel des travaux effectifs correspondants. Ce qui aurait du relever d’un compte de provisions pour travaux de renouvellement, et dont l’excédent éventuel aurait, de ce fait, été réintégré chaque année dans la comptabilité, est alors encaissé définitivement par les entreprises, sans contrepartie. Suivant la pratique des assureurs qui ne reversent jamais la différence entre les primes qu’il perçoivent et les remboursements de sinistres auxquels ils font face. Les sommes qui ont été ainsi prélevées sur les usagers sont considérables. Des centaines de millions d’euros chaque année à l’échelle nationale. Leur récupération devrait donc être une préoccupation constante pour les élus locaux et nationaux.

Il existe une bibliographie abondante de ces dysfonctionnements, disponible notamment auprès des Chambres régionales des comptes, et accessible par le biais de leur site Internet. On peut aussi consulter le rapport de la Cour des comptes publié en 1997, et se procurer pour un coût très modique auprès de la Documentation Française de nombreux rapports parlementaires consacrés à la gestion des services d’eau et d’assainissement.

La responsabilité des élus

De quelque côté que l’on prenne le problème, la faute originelle a souvent été commise par des élus qui ont signé des contrats léonins, et s’entêtent à ne pas vouloir se rendre à l’évidence : nombre de gestions déléguées à des entreprises privées pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires afin de récupérer de l’argent "évaporé" au détriment des usagers.

Mais, en application de la loi "Sapin" de 1993, environ 700 contrats d’eau et d’assainissement parviennent désormais à expiration chaque année. La période est donc propice à une mobilisation accrue des citoyens et usagers des services publics de l’eau et de l’assainissement. L’obtention de documents

Il est relativement aisé de connaître le mode de gestion d’un service d’eau et/ou d’assainissement. Ainsi que le "fermier", si le service est délégué à une entreprise privée, le mode de regroupement et sa constitution. Ces renseignements sont portés sur la facture d’eau. On peut aussi obtenir de plus amples précisions, pour toutes les communes de France, en consultant le site internet de l’agence de l’eau de la région. Chacune des 6 agences de l’eau dispose en effet d’un tableau départemental des services d’eau et d’assainissement.


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