Die Linke, de succès électoral en succès électoral, jeune parti incontournable à gauche

mercredi 27 février 2008.
 

La CDU d’Angela Merkel a perdu 4,6 points dimanche et la majorité absolue aux élections régionales de Hambourg. Le SPD, malgré sa remontée, n’est pas non plus en mesure de former le gouvernement régional. Seul le parti d’extrême gauche die Linke profite du scrutin en entrant au Parlement régional comme déjà dans 9 autres Länder.

2) L’Allemagne, La Gauche et ses paradoxes

Anne-Marie Le Gloannec, directrice de recherches, CERI-Sciences Po, Paris, explique que « l’Allemagne compte désormais cinq partis politiques bien installés. Alors que trente années durant, trois partis avaient gouverné en alternance ».

À Hambourg, ce week-end, La Gauche Die Linke , ce petit parti issu de la fusion des anciens communistes est-allemands et de dissidents venus de la social-démocratie ouest-allemande, réussit une nouvelle percée : elle entre au Parlement de la ville, après Brême, l’an dernier, Wiesbaden et Hambourg, en janvier de cette année. Certes, depuis quelques années, La Gauche est au pouvoir dans certains Länder de l’Est, à Berlin notamment, mais son irruption à l’Ouest est récente et paradoxale : il aura fallu attendre la chute du communisme pour qu’un parti, qui en est issu, s’établisse à l’Ouest ! Il est vrai que La Gauche aura profité de la dégradation du pouvoir d’achat et de l’affaire de fraude fiscale qui secoue la classe dirigeante... Son implantation risque d’être durable. Elle vient brouiller le jeu des coalitions et les allégeances idéologiques.

L’Allemagne compte désormais cinq partis politiques bien installés. Alors que trente années durant, trois partis avaient gouverné en alternance, le plus petit d’entre eux, le FDP libéral s’alliant à l’un ou l’autre des grands partis dits populaires la CDU-CSU des chrétiens démocrates et sociaux ou le SPD, social-démocrate , le paysage s’est complexifié : les Verts firent irruption dans les années 1980, et La Gauche après la réunification. Les deux grands partis populaires voient donc leur marge entamée. Alors que SPD comme CDU-CSU pouvaient naguère prétendre recueillir l’un ou l’autre plus de 40 % des voix, au gré des élections, ils doivent maintenant se contenter au mieux de 35 % : le nombre d’adhérents a diminué d’un million à quelque 600 000 (des chiffres certes qui pourraient faire pâlir d’envie les Français !).

Ceci a une double conséquence : avec la multiplication des partis s’ouvre une multiplicité d’alliances. Au niveau régional comme au niveau national, toutes les combinaisons sont théoriquement possibles : rouge et noir, en d’autres termes la grande coalition qui gouverne l’Allemagne ; rouge et rouge SPD et La Gauche comme à Berlin ; peut-être noir et vert, à Hambourg, où se trame la nouvelle formation gouvernementale après l’élection de dimanche sans oublier les coalitions tripartites : vert-jaune-rouge, avec les écologistes, les libéraux et les sociaux-démocrates ; vert-jaune-noir, c’est-à-dire écologistes, libéraux et conservateurs dont on parle beaucoup sans l’avoir vraiment tentée...

Et surtout, au niveau national, à moins d’une grande coalition, le bipartisme est mort : chacun des deux grands partis doit désormais s’allier à deux petites formations, ce qui avantage le SPD par rapport à la CDU-CSU : en effet, Verts et gauche s’allieront plus facilement aux sociaux-démocrates qu’aux conservateurs même si à Hambourg Verts et conservateurs se rapprochent et si le SPD, jouant les vierges effarouchées, prétend ne pas vouloir s’allier à La Gauche, bien qu’il le fasse à l’est de l’Allemagne. Aussi, bien que ce jeu ouvert annonce des négociations difficiles, des gouvernements fragiles, des compromis parfois douteux, voire des renversements d’alliances... Il donne une prime au court terme, aux calculs électoraux au détriment des principes. Il donne aussi une prime aux petits partis : puisqu’ils mordent sur l’électorat des grands partis populaires, ceux-ci déviennent, non par choix, mais par glissement, vers des positions extrêmes.

Or, il existe une profonde asymétrie entre la gauche de la gauche et l’extrême droite. Du fait de l’histoire, celle-ci est politiquement plus ou moins hors jeu...

Le populisme de droite ne fait guère recette. Roland Koch, le président sortant de Hesse, vient d’en faire la douloureuse expérience pour avoir voulu pêcher en eaux troubles en attisant le spectre de la criminalité des jeunes immigrants. La nouvelle gauche, en revanche, relève la tête malgré le passé communiste ou anticommuniste. 80 % des Allemands s’estiment laissés pour compte par une embellie économique qui les ignore : un nouveau « prolétariat » s’est constitué, objet de douloureux débats ces dernières années. De tous les partis, c’est, pour 36 % des Allemands, La Gauche qui défend le mieux l’idée d’égalité sociale.

Par conséquent, des deux grands partis, c’est la social-démocratie qui est le plus menacée dans sa substance : inexorablement grignotée par La Gauche, elle se déporte vers elle pour tenter de récupérer son électorat. Alors que Gerhard Schröder avait su imposer à son parti des réformes dont celui-ci ne voulait guère, son successeur, le populiste mais non populaire Kurt Beck, ne cherche rien moins qu’à les détricoter. Les modérés s’y comptent sur les doigts d’une main : Peer Steinbrück, ministre des Finances de la grande coalition, ou Wolfgang Clement, ancien ministre de l’Économie de Gerhard Schröder, qui menace de quitter le parti.

Les premières failles apparurent avec la montée des Verts, au début des années 1980, lorsque le parti se déchira entre tenants d’une vieille gauche syndicale et avocats d’un parti pris écologiste. Depuis lors, trop de dirigeants, parfois éphémères, se sont succédé à la tête du parti, perdant peu à peu le fil de la gauche syndicale. Celle-ci d’ailleurs est en proie à l’émiettement, avec la création, comme en France, de nouveaux syndicats indépendants qui troublent le jeu des négociations salariales. De sorte qu’on aboutit à un second paradoxe : en province ou dans la capitale, la social-démocratie paraît plus assurée que les conservateurs d’arriver au pouvoir puisqu’elle a plus de partenaires « naturels » de coalition, mais en même temps ceux-ci entament durablement sa base idéologique et électorale.

Si la social-démocratie glisse vers la gauche, la démocratie chrétienne occupe le terrain que lui cède sa rivale : le centre. La CDU se présente désormais en « parti du milieu », à défendre non des réformes libérales ou néolibérales, mais un conservatisme tempéré par la justice sociale. Alors qu’elle critiquait naguère, la notion de salaire minimum, elle s’y rallie dans certaines branches, emmenée par Angela Merkel.

Débarrassée de concurrents gênants, comme Roland Koch à sa droite, la chancelière remise les réformes dans l’attente des prochaines élections nationales. Elle fustige le capitalisme prédateur et n’a pas attendu la percée de La Gauche à Hambourg pour dénoncer la fraude fiscale : c’est, après tout, le BND (Bundesnachrichtendienst) qui a débusqué l’affaire. De sorte qu’on aboutit à un troisième paradoxe.

L’Allemagne se fragmente, se fissure, sous la double pression de la réunification et de la globalisation qui apportèrent leur lot de laissés-pour-compte ; une gauche de la gauche prend pied, ce qu’on n’avait pas vu depuis bien longtemps ; le consensus s’effrite, comme l’ont montré les grèves des chemins de fer à l’automne et l’hiver. Mais jamais le centre n’a autant été invoqué. Et si l’Allemagne devient ingouvernable, aucun chancelier n’a affiché une telle popularité avant Merkel.

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1) Die Linke, de succès électoral en succès électoral, jeune parti incontournable à gauche

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Pourquoi die Linke embarrasse-t-il la classe politique allemande ?

Die Linke (« la gauche ») est le fruit politique tardif de la réunification : ce parti est né en juin 2007 de la fusion entre la WASG (les déçus de la social-démocratie organisés autour d’Oskar Lafontaine) et les néocommunistes est-allemands du PDS (dont l’avocat Gregor Gysi est la figure de proue). Tant que le PDS se contentait de marquer des points en ex-RDA, où il est représenté aux parlements régionaux des cinq Länder de l’Est, il ne dérangeait pas trop le jeu bien huilé des alliances traditionnelles de gauche (SPD et Verts) et de droite (CDU avec les libéraux du FDP). Mais depuis un an, die Linke passe systématiquement le cap éliminatoire des 5 % partout où le parti se présente. Y compris dans l’ouest du pays. Sur la défensive, le SPD a jusqu’à présent toujours refusé d’envisager à l’Ouest une coalition de gauche avec les Verts et die Linke, se privant par là même bien souvent du pouvoir, comme en 2005 au niveau fédéral : Gerhard Schröder avait dû céder la place à Angela Merkel pour avoir refusé une majorité de gauche, pourtant arithmétiquement possible avec le soutien des Verts et des néocommunistes.

Comment s’explique le succès de die Linke ?

En ex-RDA, die Linke a presque des allures de parti « régional » défendant les intérêts des Allemands de l’Est, absorbés par l’Allemagne réunifiée. Dans cette partie du pays, die Linke a su s’implanter sur la structure laissée par le régime communiste et marque des points en étant proche des gens. Dans certains Länder comme la Saxe et le Brandebourg, die Linke est le parti le plus fort en termes de membres. La Thuringe pourrait bientôt élire le premier ministre-président d’un Land venant de die Linke. Selon un sondage de l’institut Allensbach, 30 % des Allemands de l’Est voteraient aujourd’hui pour die Linke, contre 26 % pour la CDU et 23 % pour le SPD.

Mais le vrai succès de ce jeune parti est d’avoir su dépasser le clivage Est-Ouest, pour mordre dans l’électorat de l’ouest du pays. L’électorat jeune, urbain et contestataire de Berlin-Ouest, tout d’abord. Les chômeurs et syndicalistes de la région de Francfort ou de Hanovre, ensuite. Le glissement vers la droite du SPD, du temps du gouvernement Schröder, et la suppression des indemnités pour les chômeurs de longue durée ont en effet détourné de la social-démocratie une part importante de son électorat traditionnel. « La force de die Linke est d’être parvenu à ne pas entrer dans une lutte d’influence Gysi contre Lafontaine, Est contre Ouest, mais de se battre ensemble contre tous les autres, qui tentent de les présenter comme des parias et de les exclure », constate le quotidien Der Tagesspiegel.

Cette jeune formation peut-elle être intégrée au jeu des partis politiques traditionnels ?

« Le SPD devra évoluer s’il ne veut pas se priver du pouvoir, insiste le ministre de l’Economie du Land de Berlin, Harald Wolf (die Linke). A Berlin, le SPD a mis dix ans à nous "observer" avant de former une première coalition avec nous. Cela avait été la même chose aux débuts des Verts. » Jusqu’à présent, le SPD n’a envisagé le modèle d’une coalition de gauche (entre le SPD, les Verts et die Linke) que dans les Länder de l’Est et à Berlin, en raison du poids de ce parti dans la partie est de la capitale allemande. Mais le tabou pourrait être prochainement brisé en Hesse (région de Francfort), où aucune majorité n’a été trouvée depuis les élections régionales du 27 janvier. « Nous avons maintenant un cinquième parti solide, die Linke, constate le politologue Richard Stöss. Il est désormais nécessaire de quitter le terrain de l’idéologie pour négocier à l’avenir la formation des coalitions. Sinon, nous n’aurons plus que des gouvernements de "grande coalition" entre chrétiens et sociaux-démocrates, ce qui serait nocif pour la culture politique et pour la démocratie. »

De notre correspondante à Berlin NATHALIE VERSIEUX


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