A lire Les Classes sociales dans la mondialisation, par Anne-Catherine Wagner. Éditions La Découverte, 2007, 120 pages, 8,50 euros.

lundi 11 février 2008.
 

La domination de classe à l’heure du cosmopolitisme

Au-delà des relations économiques, Anne-Catherine Wagner décrypte la dimension culturelle et symbolique de l’internationalisation des échanges.

Comme le démontre Anne Catherine Wagner, on ne peut plus penser à part classes et mondialisation. Cette dernière n’a rien de spontané. Elle est le fruit d’une stratégie mise en oeuvre à partir des années 1970 par une « internationale du pouvoir » où dominent les classes dirigeantes des principaux pays industrialisés. Capitalisme sans capitalistes, flux financiers électroniquement autogérés ? L’examen sociographique des structures actionnariales et des conseils d’administration des entreprises (comme des institutions et lobbys transnationaux) fait justice de ces visions désincarnées. Si le poids des représentants de la finance et des managers internationaux s’accroît, les vieilles familles d’affaires, fortes de leurs positions nationales, ont su conserver leur prépondérance. Mise en compétition planétaire des salariés, des emprunteurs, des entreprises, des États ; délocalisations ou menaces de délocalisations qui contraignent salariés et syndicats à « négocier » le pistolet sur la tempe : autant de facettes d’un basculement des rapports de forces au profit des détenteurs du capital, inséparable des transformations dans la localisation et la structure des emplois.

À partir des années 1980 et surtout 1990, les inégalités se creusent, non entre pays du Nord et du Sud, mais, dans tous les pays, entre « ceux d’en haut » et « ceux d’en bas ». Elles n’ont pas seulement une dimension économique et juridique. Elles tiennent aussi à des dispositions sociales et culturelles acquises au cours d’apprentissages très sélectifs (multilinguisme précoce, écoles internationales, passage par des institutions prestigieuses comme la Harvard Business School, etc.). Performances linguistiques, formation aux réalités mondiales, aisance au sein du micromonde des dirigeants cosmopolites, ubiquité résidentielle : autant d’avantages « distinctifs » qui favorisent la reproduction des positions dominantes et renforcent l’inégale capacité des groupes sociaux à avoir prise sur la mondialisation. Les handicaps économiques et culturels des catégories populaires et ouvrières s’aggravent d’autant. Ils pèsent négativement sur les efforts entrepris depuis les années 1990 pour structurer des « internationales critiques ». Les syndicats se heurtent à la diversité des cultures syndicales nationales et à la division systématiquement entretenue des salariés.

Du côté des militants, l’atout décisif que constitue leur ancrage local perd de son efficacité à mesure que s’érode celle des appuis juridiques et des soutiens politiques mobilisables à l’échelle de l’État-nation. La jonction est encore plus difficile avec des mouvements altermondialistes portés par des membres des catégories moyennes, enclins à investir leur fort capital culturel dans l’international, voire dans l’humanitaire. Il existe pourtant des ressources internationales propres aux catégories populaires (convictions internationalistes, notamment dans les familles de tradition communiste, liens des populations immigrées avec les pays d’origine). Mais cette sensibilité à l’international ne revêt encore que rarement une dimension politique ou publique. Elle peut aussi susciter des projets d’expatriation et l’espoir d’une ascension sociale que ne permet pas la société nationale. Le lecteur pourra discuter telle ou telle appréciation (sur l’altermondialisme, par exemple). Mais il trouvera, dans cette mise en perspective très novatrice, une somme impressionnante de données et de références pour nourrir sa réflexion.

Michel Simon, sociologue


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