Une politique de régression, par Patrick Braouezec et Michel Onfray

jeudi 24 janvier 2008.
 

La politique de civilisation que "Sarkozy président" entend imposer nous renvoie à l’avant-1789. Avant les Lumières. Avant la Déclaration des droits de l’homme et l’émergence du citoyen moderne (l’homme sujet de son avenir, et non sujet-objet de Sa Majesté) défini par cette Déclaration universelle des droits (sans lesquels il n’est pas de devoirs ni de contrat social face à la loi des dominants).

Les actes de Sarkozy président tiennent lieu de pensée (puisqu’il faut toujours agir plus vite que son ombre) et de stratégie : retirer toutes les protections collectives, l’en-commun qui permet à chacun d’être concepteur et acteur d’un avenir humain partagé, pour livrer les individus, marchandises parmi d’autres, au service d’une économie mondialisée conçue comme source de profits financiarisés bien davantage que comme moteur de progrès.

Parmi ces protections en cours de démantèlement : la durée hebdomadaire légale de travail, les 40 annuités nécessaires pour une retraite pleine, le droit d’asile et de régularisation, les droits des chômeurs avec l’introduction de sanctions, les droits des plus fragiles et précaires, le décret de 1945 sur la justice des mineurs, les services publics livrés à la concurrence.

Ce projet d’"a-civilisation" est d’une extrême brutalité et d’une extrême régression. Pour le faire passer, il faut l’enrober. En l’occurrence dans son contraire. Le problème de ceux qui détiennent le pouvoir économique et politique sur ceux qui ne disposent que de leur force de travail pour vivre est de mesurer jusqu’où aller très loin sans que ne casse la corde. Comment maximiser le profit sans susciter la révolte, mais aussi sans assécher les capacités humaines dont on a besoin pour faire marcher l’économie ? On a pris l’habitude, en politique, des promesses non tenues et des mots creux. Il s’agit bien sûr de cela (Sarkozy président du pouvoir d’achat ?), mais de beaucoup plus grave aussi.

Les mots livrent tout leurs sens en... les prenant au pied de la lettre : "une véritable rupture avec les habitudes de pensée, les comportements, les idées du passé...", "... la morale, l’autorité, l’identité...", "la religion", "... reconstruire les repères, les normes, les règles, les critères...". Autrement dit, nous voilà dans un absolutisme : c’est du chef de l’Etat que part l’oeuvre de civilisation, et un totalitarisme : la vie dans ce qu’elle a de personnel est régimentée. Ce sont les mots de la Restauration.

La pensée sarkozyenne ne mériterait guère le détour tant elle est superficielle et mensongère. Mais elle nous mène au chaos. Qu’il lui ait fallu récupérer un concept d’un philosophe de gauche est le signe de la nécessité de trouver une enveloppe humaine à une politique de civilisation visant en vérité à la déshumanisation.

Cet artifice a cependant le mérite de la clarté. Il révèle à la conscience que la politique pas plus que l’économie ne sauraient se résumer à la course au profit, au mépris des hommes et de la civilisation ; et que tout système économique et politique, pour avoir un avenir, se doit de porter un mouvement de l’humanité vers le progrès.

Cela met en lumière que le principe de solidarité (qui s’oppose à celui de concurrence) est extrêmement moderne, comme ceux d’égalité (sans laquelle la notion de respect de l’autre et de soi n’a pas de sens) et de liberté (indispensable à l’expression de la créativité humaine). Le refus de la marchandisation générale, y compris de l’homme, est non seulement le fondement d’un humanisme contemporain, mais est aussi indispensable au mouvement de la société si on considère que ses évolutions ont pour but d’améliorer toujours la condition humaine.

Chaque fois que l’organisation sociale a nié l’homme, la civilisation a reculé. A l’inverse, les avancées de civilisation émancipatrices sont toujours le résultat de conquêtes gagnées dans les luttes et les révoltes populaires. La liste sarkozyenne des références de civilisation (la Déclaration des droits de l’homme, l’école publique obligatoire gratuite, la laïcité, la Sécurité sociale, le droit du travail, les congés payés, le service public) est révélatrice de son cynisme, puisque ce sont précisément ces conquêtes que Sarkozy président démantèle méthodiquement.

Dans deux mois, les citoyens éliront leurs conseils municipaux. Ce qui se joue là est aussi une question de civilisation. La commune, c’est là où s’organise la vie quotidienne, dans ce qu’elle a de plus humain, de plus relationnel, de plus respectueux de la valeur de chacun(e). C’est là où les citoyens ont un accès direct possible au pouvoir politique ; où peut s’exercer une participation démocratique ; où des projets ambitieux peuvent s’imaginer. Dans les villes de banlieue populaires et jeunes, où se vivent les contradictions les plus dures de la société marchande mondialisée, des élus de gauche animent des projets qui constituent autant de résistances, si ce n’est de protection. La solidarité est au coeur de ces projets.

Le risque est grand d’une autre évolution pour la société de demain : celle qui s’appuie sur la peur de l’autre, qui jette chacun contre chacun, celle de la libre spéculation foncière qui chasse les couches populaires toujours plus loin des centralités urbaines, avec d’un côté des "ghettos de riches" et de l’autre des marges dans des précarités indignes d’une civilisation humaine du XXIe siècle.

Toute l’histoire de l’humanité met en lumière le rôle des villes dans le développement de la/des civilisation(s) : espaces de rencontres, de croisements, de mélange social et culturel ; carrefours d’échanges, de culture(s) et d’éducation, de foisonnement, d’ouverture et d’accueil ; espaces de liberté et de circulation des idées ; lieux de solidarités et de coopérations ; lieux de rassemblement pour l’émancipation ; lieux de fabrique d’idées neuves.

Cet enjeu de civilisation, cet humanisme sont, de la même manière que le devenir de la planète, au coeur du temps fort politique que sont les élections municipales. Il est de notre responsabilité de citoyens, citoyennes de gauche de l’assumer. C’est bien ici et maintenant que se joue notre avenir et notre quotidien de civilisation.

Patrick Braouezec est député (PCF) de Seine-Saint-Denis.

Michel Onfray est philosophe.


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