Iran : Israël lance une nouvelle guerre

lundi 23 juin 2025.
 

L’État hébreu a lancé une offensive massive contre l’Iran dans la nuit du 12 au 13 juin. Le premier ministre Benyamin Nétanyahou poursuit, par cette guerre qu’il annonce depuis longtemps, des objectifs tant intérieurs qu’extérieurs, et déstabilise encore un peu plus la région.

https://www.mediapart.fr/journal/in...[HEBDO]-hebdo-20250614-050019&M_BT=1489664863989

La photo, largement diffusée auprès des médias par le bureau du premier ministre israélien vendredi 13 juin au petit matin, montre Benyamin Nétanyahou, la veille, en train de glisser un papier plié dans une fente entre deux pierres du mur des Lamentations. Le vœu, ajoute le communiqué, reproduit le verset 23:24 du Livre des Nombres, le quatrième livre de la Bible. « Voici qu’un peuple se lèvera comme une lionne, comme un lion il se dressera. Il ne se couchera pas sans avoir dévoré sa proie, sans avoir bu le sang des victimes ! », y est-il écrit. L’oracle prédit la force et la puissance d’Israël.

Le message est limpide : l’attaque aérienne israélienne contre l’Iran, dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 juin, a reçu le nom de « Lion qui se lève » (« Rising Lion ») et elle est à la fois militaire, stratégique et sacrée.

C’est aussi ce qui ressort de l’adresse du premier ministre vendredi matin à la télévision. Benyamin Nétanyahou assure, comme il l’a fait à de nombreuses reprises ces dernières années, que le régime iranien constitue, avec son programme nucléaire, une menace existentielle pour Israël, filant la comparaison avec les nazis.

Selon le dirigeant israélien, Téhéran pourrait en effet « produire une arme nucléaire en très peu de temps. Cela pourrait prendre un an, quelques mois, voire moins d’un an. Il s’agit d’une menace claire et immédiate pour la survie même d’Israël. Il y a quatre-vingts ans, le peuple juif a été victime d’un Holocauste perpétré par le régime nazi. Aujourd’hui, un État juif refuse d’être victime d’un Holocauste nucléaire perpétré par le régime iranien ».

En quelque sept minutes de discours, il égraine ses thèmes les plus classiques. Les leçons de l’Histoire, donc : « Quand vos ennemis jurent de vous détruire, croyez-les ; quand vos ennemis construisent des armes de destruction massive, arrêtez-les. » Israël en protecteur de l’Occident : « Je veux rassurer le monde civilisé : nous ne laisserons pas le régime le plus dangereux du monde obtenir l’arme la plus dangereuse du monde. »

Et, comme il en a l’habitude depuis que sa coalition gouvernementale repose sur des mouvements politiques nationalistes et religieux, Nétanyahou en appelle à la religion : « Comme nous l’enseigne la Bible, quand quelqu’un vient pour vous tuer, levez-vous et agissez le premier. » Avant de conclure : « C’est exactement ce qu’Israël a fait aujourd’hui. Nous nous sommes levés comme des lions pour nous défendre. »

Une guerre voulue et annoncée de longue date

« Cela fait trente ans que l’Iran est dépeint comme une menace existentielle, mais ce n’est absolument pas vrai, assure à Mediapart Haggai Ram, professeur associé au département des études moyen-orientales de l’université Ben-Gourion, et auteur de Iranophobia, The Logic of an Israeli Obsession (non traduit). L’Iran est assurément un ennemi d’Israël, mais Israël a beaucoup d’ennemis, et l’Iran ne menace pas et n’a jamais menacé l’existence d’Israël. Ce n’est pas l’Allemagne nazie. »

Israël, en tout cas, a décidé de lancer cette guerre tant annoncée, envoyant, selon le porte-parole de l’armée, pas moins de deux cents avions bombarder plus d’une centaine de cibles, des sites nucléaires et militaires, des personnalités du régime et des scientifiques. Des membres du Mossad, les services secrets israéliens extérieurs, auraient participé en menant des assassinats, relate le quotidien Jerusalem Post.

Ce conflit est préventif, martèlent les autorités politiques et militaires israéliennes, et il durera autant de temps qu’il le faudra pour supprimer la menace iranienne. Il ressemble beaucoup à la déflagration que craignaient tous les acteurs de la région depuis le 7-Octobre et l’engagement des alliés de l’Iran, Hezbollah, houthis du Yémen, en soutien au Hamas palestinien et à la population de Gaza écrasée par la guerre génocidaire.

Même les Israéliens libéraux ont gobé cette absurdité selon laquelle l’Iran serait une menace pour Israël, ils vont donc soutenir le gouvernement dans cette voie.

Haggai Ram, professeur à l’université Ben-Gourion

Le Hezbollah a été défait et mis à terre, les houthis sont attaqués chaque jour, le régime syrien, autre allié iranien dans la région, est tombé de lui-même, pourri de l’intérieur, le Hamas combat toujours, mais à très faible intensité. Il restait donc l’Iran, qui, par deux fois, a envoyé, en avril et en octobre 2024, des missiles en direction du territoire israélien, sans autre effet que de faire monter la pression et de démontrer sa relative impuissance.

« Nous avons lancé l’offensive parce que le moment était venu – nous avons atteint le point de non-retour », a déclaré le chef d’état-major Eyal Zamir, alors que le porte-parole de l’armée, Effie Defrin, affirmait : « Il s’agit d’un événement différent de tout ce que nous avons connu jusqu’à présent. Des heures difficiles nous attendent. Le public doit faire preuve de résilience. »

Les sirènes ont retenti en Israël au milieu de la nuit, même si aucune réplique en provenance de Téhéran n’avait encore été détectée. « Les gens ont peur, a raconté en fin de matinée l’analyste politique israélien Ori Goldberg, joint par Mediapart dans la banlieue de Tel-Aviv. J’habite au-dessus d’une épicerie, et quand je suis descendu ce matin, je n’avais jamais vu une telle queue devant le magasin. Celui-ci était d’ailleurs presque vide. »

L’armée, qui avait enjoint à la population de rester à proximité d’abris, a levé cette consigne en milieu de journée, mais des sirènes ont retenti quelques heures plus tard dans le nord du pays, alors que des drones lancés depuis l’Iran étaient interceptés. Depuis, une vague d’attaques de missiles a frappé Israël, faisant 34 blessés dans la banlieue de Tel-Aviv.

Le message de la nécessaire union nationale a été entendu. « Je pense que cette opération militaire a redynamisé la base de Benyamin Nétanyahou. Même les Israéliens libéraux ont gobé cette absurdité selon laquelle l’Iran serait une menace pour Israël, ils vont donc soutenir le gouvernement israélien dans cette voie. Et il bénéficiera d’une large majorité pour cette déclaration de guerre à l’égard de l’Iran », reprend Haggai Ram.

Union nationale

« Les Israéliens sont très nationalistes, et une guerre contre l’Iran recueille un très large consensus dans l’opinion publique, renchérit Ori Goldberg. C’est même un des sujets sur lequel il y a une quasi-unanimité. On entend déjà : “Soutien total à nos soldats, qui font ce qu’il y a à faire pour nous protéger. Quelle réussite pour Israël !” Cette nouvelle guerre est déjà une réussite pour Nétanyahou, en tout cas sur le plan intérieur. »

Le Forum des familles, l’organisation qui représente la majorité des proches des captifs israéliens libérés par les factions palestiniennes ou encore retenus à Gaza, a annulé le rassemblement et la manifestation traditionnels du samedi. Depuis plusieurs mois, les deux événements donnaient lieu, chaque semaine, à de virulentes critiques de la politique du premier ministre et de la poursuite de la guerre génocidaire. Celle-ci met, assuraient les voix discordantes, la vie des otages en danger.

Ces dernières semaines, l’opposition se montrait beaucoup plus offensive, et la fronde touchait des pans croissants de la société israélienne. De plus en plus de réservistes, par exemple, proclamaient leur refus de retourner à Gaza. Le vendredi 13 juin, le chef d’état-major a annoncé une mobilisation massive de dizaines de milliers de réservistes.

L’opinion israélienne resserre les rangs derrière le pouvoir, et c’est bien ce que cherchait Benyamin Nétanyahou. « Nous nous y attendions depuis longtemps, mais c’est très alarmant, assure Haggai Ram. Nétanyahou a compris qu’une guerre extérieure peut, d’une part, galvaniser votre base et, d’autre part, exploiter la panique et l’épuisement de l’opinion publique israélienne, afin d’accélérer les mesures nécessaires qui lui permettront de se maintenir au pouvoir et de créer un État autoritaire et dictatorial. »

Comme toujours, le billard est à trois bandes et la guerre contre l’Iran a tout à la fois comme cause et pour objectif… les Palestinien·nes. Le projecteur quitte Gaza, l’attention internationale se détourne des massacres de la faim, de la famine, des destructions massives, de l’épuration ethnique en cours dans l’enclave palestinienne et en Cisjordanie pour se focaliser sur les missiles qui volent dans le ciel moyen-oriental et le risque de déflagration régionale qu’ils portent.

« Benyamin Nétanyahou a senti que le vent tournait sur la scène internationale quant à la guerre contre Gaza. C’est la dernière tentative désespérée pour rallier le monde à la cause d’Israël, car il pense que le monde est d’accord avec Israël au sujet de l’Iran », affirme Ori Goldberg.

« Le gouvernement a en quelque sorte pris conscience qu’après un an et demi de guerre à Gaza, le Hamas est toujours debout. Et qu’il ne sera pas facile de le déraciner complètement, constate Haggai Ram. Mais je pense que la raison sous-jacente ici est de s’assurer qu’il y ait une sorte de crise grave à l’extérieur, de préférence une crise militaire, afin que le gouvernement puisse se renforcer et réaliser les objectifs messianiques de la droite, à savoir l’annexion de la Cisjordanie, d’instaurer un État d’apartheid, non seulement en théorie, mais aussi en pratique, et d’assurer le nettoyage ethnique de la Palestine en général et de Gaza en particulier. »

Les attaques meurtrières se poursuivent dans la bande de Gaza. Au moins 30 personnes ont été tuées ce vendredi, dont onze cherchaient à obtenir des colis alimentaires, rapporte Al Jazeera. Selon le ministère de la santé palestinien de la bande de Gaza, 55 207 personnes ont été tuées depuis le 7-Octobre et 127 821 blessées.

Il s’agit là de victimes dûment identifiées et le bilan ne prend en compte ni les disparu·es, ni les morts encore sous les décombres, ni celles et ceux qui décèdent des suites du manque de nourriture ou de soins. Il est de plus en plus difficile d’avoir des informations depuis l’enclave palestinienne, où les réseaux internet et téléphoniques sont quasiment coupés depuis trois jours.

Gwenaelle Lenoir


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