Peine de mort aux Etats-Unis : petits succès des abolitionnistes mais les Américains y restent largement favorables

jeudi 27 décembre 2007.
 

Abolition de la peine de mort quasi confirmée au New Jersey. Exécutions en suspens dans pratiquement tout le pays suite à la décision de la Cour suprême de statuer sur la constitutionalité de la méthode d’injection létale en juin 2008. Depuis 2000, le nombre de condamnations à la peine capitale baisse fortement aux États-Unis et les débats, au niveau des États comme au niveau fédéral, se multiplient. Les abolitionnistes américains accumulent les victoires significatives mais l’opinion publique US reste majoritairement favorable à la peine de mort. Et certains États, comme le Texas, seront difficiles à (con)vaincre.

31 octobre 2007, la Cour suprême des États-Unis suspend l’exécution d’Earl W. Burry, dans l’État du Mississippi, quelques heures à peine avant qu’il ne reçoive une injection létale. Le 15 novembre, la plus haute instance judiciaire américaine récidive et reporte l’exécution de Marc Dean Schwab à Jacksonville, en Floride. Ces sursis découlent de la décision de la Cour suprême américaine, le 25 septembre 2007, de se saisir du recours de deux condamnés à mort du Kentucky, Ralph Baze et Thomas Clyde Bowling, contre la méthode d’injection létale. La constitutionnalité de ce type d’exécution est aujourd’hui remise en cause. Cette méthode violerait le 8e amendement de la constitution américaine qui interdit les « châtiments cruels et inhabituels ».

L’injection létale fonctionne en trois temps. Une première substance, un puissant sédatif, anesthésie le condamné et le rend inconscient. Une seconde le paralyse, puis une troisième arrête son cœur. Les juges de la Cour suprême ont basé leur décision suspensive sur le fait que rien ne prouve que le condamné soit inconscient au moment où lui sont administrées les substances qui le paralysent, puis le tuent. En décembre 2006 le gouverneur de Floride, Jeb Bush, avait déjà suspendu les exécutions dans son État suite à l’injection létale effectuée sur Angel Diaz. Au cours de cette exécution, le détenu avait montré des signes d’intenses souffrances avant qu’une seconde injection ne lui soit administrée pour le tuer. L’agonie avait duré près de quarante minutes, au lieu de quinze habituellement.

Le 8e amendement avait déjà permis une suspension de la peine capitale aux États-Unis, entre 1972 et 1976. La Cour suprême avait alors déclaré les méthodes d’application de la peine de mort « cruelles et inhumaines ». Les mêmes causes produiront-elles les mêmes effets dans un salutaire bégaiement de l’histoire ? Probablement pas. Une fois encore la méthode d’exécution des condamnés est remise en question mais la Cour suprême devrait statuer rapidement, en juin 2008. La suspension des exécutions ne devrait pas durer plus d’une année. L’universitaire américain abolitionniste Rick Halperin (voir interview), confirme que l’opinion publique américaine est encore majoritairement favorable à la peine de mort. Le débat actuel ne devrait donc aboutir qu’à une modification du mode opératoire de l’injection létale, voir de la composition du mélange mortel, afin que les États procèdent à des exécutions « constitutionnelles ». Depuis la décision rendue en 1976 par la Cour suprême, estimant que le 8e amendement n’interdisait finalement pas la peine de mort, le gouvernement fédéral a recours aux injections létales, ainsi que 37 des 38 États américains où la peine capitale est en vigueur. Seul le Nebraska utilise encore la chaise électrique. Dans les faits, il n’y a eu aucune exécution dans le Kansas, le New Hampshire, le New Jersey ni dans l’État de New York depuis 1976.

Face aux erreurs judiciaires, la peine de mort recule

Aujourd’hui, 3 450 détenus attendent dans les « couloirs de la mort ». Les États-Unis restent le sixième pays du monde en nombre d’exécutions annuelles, derrière la Chine, l’Iran, le Pakistan, l’Irak et le Soudan. Depuis 2000 pourtant, le nombre d’exécutions a diminué d’un tiers, notamment suite à la découverte d’un grand nombre d’erreurs judiciaires prouvées grâce aux avancées technologiques, comme le recours aux tests ADN. En dix ans, plus de 208 condamnés ont ainsi été innocentés. La conviction de l’opinion, voire celle de responsables politiques et de partisans de la peine de mort, en a été affaibli.

En 2007, le New Jersey sera le premier État depuis quarante ans à abolir la peine de mort (voir par ailleurs) en vertu d’une mesure approuvée par les législateurs et qui devrait être officiellement signée par le gouverneur démocrate Jon S. Corzine d’ici quelques jours. Les parlementaires du New Jersey avaient instauré un moratoire sur les exécutions en 2006. Dans son rapport final, au mois de janvier dernier, la commission chargée d’étudier tous les aspects de l’application de la peine capitale recommandait l’abolition de ce châtiment. Au mois de décembre, le Sénat puis l’Assemblée de l’État entérinaient enfin cette décision. Le gouverneur démocrate Jon S. Corzine devrait parapher cette abolition historique dans la semaine. En 2004, la plus haute juridiction de New York avait également estimé que la loi de l’État relative à la peine de mort était anticonstitutionnelle. Elle n’a toujours pas été abrogée. Les années 2000 ont également vu deux avancées significatives de l’évolution des mentalités. En 2002, la Cour suprême interdisait l’exécution des délinquants souffrant de retards mentaux. Une décision votée à une majorité de six juges contre trois, et qui invoquait ... le 8e amendement ! Le 1er mars 2005, la Cour suprême jugeait cette fois la peine de mort illégale pour les délinquants mineurs au moment des faits qui leur étaient reprochés. Depuis la réintroduction de la peine capitale en 1976, 22 condamnés avaient été exécutés pour des crimes commis alors qu’ils étaient âgés de moins de dix-huit ans.

Plus spectaculaire encore en terme de volonté politique, en 2003, George Ryan, Gouverneur républicain, ( !) sortant de l’État de l’Illinois annule toutes les exécutions des condamnés de son État au motif que le système pénal ne peut éviter la condamnation et par là même l’exécution d’innocents. Conséquences immédiates de cette décision : 167 personnes ont vu leurs condamnations à la sanction capitale commuées en enfermement à vie. Quatre autres condamnés sont définitivement sorti de prison après avoir été graciés par ce proche de Bush (!!) qui les a reconnus innocents et a dénoncé l’usage de la torture pour extorquer les aveux qui avaient conduit ces hommes dans le couloir de la mort.

La peine capitale toujours plébiscitée

Si la société américaine est aujourd’hui conquise par le débat abolitionniste, un fait demeure : les Américains restent largement favorables à la peine de mort. Selon un rapport du Centre d’information sur la peine de mort (CIPM) publié en juin 2007, 62% des personnes interrogées se disent favorables à la peine de mort pour les meurtriers, contre 28% opposées et 10% indécises. Ce taux est relativement stable depuis 2000 et comparable aux chiffres enregistrés dans les années 1950 ou 1970. Pourtant les mentalités évoluent, les remises en questions au niveau des États fédérés se multiplient.

Le débat actuel sur l’injection létale, s’il ne remet pas fondamentalement en cause la peine de mort, offre aux abolitionnistes américains une place de choix dans les médias. Et l’exemple du New Jersey pourrait faire des émules parmi les états n’ayant connu aucune exécution depuis 1976.

Comme l’explique Rick Halperin, la route vers l’abolition totale de la peine de mort aux USA est encore longue. Elle passe par certains bastions. Depuis 1976, le Texas a exécuté 345 condamnés, ce qui en fait le premier État en nombre d’exécutions du pays. Le dernier détenu en date exécuté aux USA l’a d’ailleurs été au Texas. En raison d’une panne d’ordinateur ou, selon les versions, d’un refus de la Cour des appels criminels Texane de rester ouverte 20 minutes de plus, les avocats de Michael Richard n’ont pas pu présenter leur recours... le 25 septembre dernier. Soit le jour même de la décision suspensive prise par la Cour suprême.

Article d’Antoine Deshusses pour l’association Ensemble Contre la Peine de Mort


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