A lire : La France et ses esclaves de la colonisation aux abolitions (1620-1848)

lundi 11 mai 2015.
 

Deux siècles d’esclavage dans la France coloniale

Une description croisée de l’impitoyable système qui a contribué au pillage de l’Afrique et jeté les bases du capitalisme moderne.

Dans la dernière décennie, les ouvrages sur l’esclavage aux Temps modernes et au XIXe siècle se sont multipliés. Mais à propos des colonies françaises, on n’avait pas encore établi une histoire croisée comparative du phénomène à travers toute la période qui va de 1620, date de création des premières colonies par des Français, jusqu’à 1848, moment de l’abolition définitive de l’esclavage par le gouvernement. Or ce système d’exploitation a été introduit dans toutes les terres conquises par notre pays, même au Canada, jusqu’aux Seychelles, à l’exception des comptoirs des Indes, et il a porté sur quatre millions d’individus, pour une moitié arrachés d’Afrique, pour l’autre nés dans les colonies. L’intérêt central du livre est de montrer que d’une région à l’autre l’esclavage comporte des traits communs : suprématie du maître, inexistence juridique du dépendant considéré comme un bien meuble, travail forcé en vue d’une production intensive, multiplication des hommes de couleur « libres » mais tenus en statut inférieur, complicité de fait de l’administration royale avec les colons, et (contradictoirement) tentatives de limiter la violence des propriétaires vis-à-vis de leurs serviteurs. Néanmoins il existe de fortes différences entre les établissements, en fonction de l’ancienneté de la fondation de la colonie, de sa position géographique, du climat, des rapports numériques entre colons blancs et esclaves ou métis libres, ou de l’étendue du territoire et de son relief - les montagnes et les aires vides à Saint-Domingue favorisant, par exemple, le marronnage.

Très vite les premières colonies se sont orientées vers l’approvisionnement de l’Europe en denrées appréciées par l’Ancien Continent : tabac, puis sucre, puis café. À partir de 1660 la législation de l’Exclusif est venue réserver le marché français aux colons, et le transport océanique et le débouché industriel des colonies aux hommes d’affaires des ports métropolitains, afin d’enrichir les villes et secondairement les colons. La disparition des populations indigènes a conduit à chercher de la main-d’oeuvre en Afrique et au trafic des produits s’est ajouté pour le négoce métropolitain celui de la traite. Dès lors le sort des esclaves est scellé : avec la fatigue liée à la dureté du travail, ils subissent une forte mortalité, ce qui nuit à la valeur capitalistique des plantations. Même leur âme, leur culture est capturée : le clergé se charge de les baptiser et de leur inculquer le respect de l’autorité blanche, fermant les yeux sur la discipline de fer qui leur est imposée. Cependant les révoltes sont rares, un lourd contrôle pesant sur les individus, mais la résistance est tenace sous des formes diverses, de l’empoisonnement à la passivité au travail. 1789 soulève l’espoir des libres de couleur, puis des esclaves, ce qui aboutit à la suppression de l’esclavage par la Convention de 1794 et finalement à la création de la première République noire en 1804 : Haïti. Bonaparte revient sur l’abolition, et la Restauration suit la même voie. Ensuite, pendant la première moitié du XIXe siècle, les denrées coloniales françaises sont de plus en plus concurrencées par des producteurs nouveaux. Après 1830

Le courant abolitionniste se développe et le vent humaniste des débuts de la Révolution de 1848 obtient enfin la décision finale.

L’auteur montre bien la variété et la complexité du phénomène. La situation des esclaves varie suivant qu’il s’agit de coupeurs de canne à sucre, de commandants d’atelier, de domestiques ou d’artisans installés en ville pour le compte du maître. Mais toujours s’exerce l’arbitraire de ce maître, quelquefois relativement généreux, plus souvent âpre au gain et impitoyable. C’est là-dessus que s’est bâtie pour une part - ce que l’auteur souligne peut-être insuffisamment - l’accumulation du capital et l’avance économique de l’Occident.

Guy Lemarchand, historien

Par Frédéric Régent. Éditions Grasset, 2007, 478 pages, 22 euros.


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