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Le président de la République a passé trois heures sur TF1 mardi, sans rien annoncer de nouveau. Si la fin de son second mandat est à l’image de sa prestation, elle s’annonce terriblement longue pour un chef de l’État cantonné au rang de commentateur de la vie publique.
L’éclairL’éclair de lucidité a jailli sur le plateau de TF1, au milieu d’un échange sur la simplification administrative. « Que faites-vous ? », demande un Gilles Bouleau désespéré, en quête d’une réponse « concrète ». De façon inhabituelle, Emmanuel Macron se fait le conteur de sa propre incapacité : « Je ne suis pas un homme-orchestre. Ce n’est pas le président de la République – et heureusement – qui fait les choses. Et encore moins depuis juillet dernier. »
Au cours d’une émission de plus de trois heures, pourtant, le chef de l’État a livré mardi 13 mai au soir sa position sur la fin de vie, les retraites, la surpopulation carcérale, la guerre en Ukraine, l’emploi à vie des fonctionnaires, le regroupement familial, le sport à l’école, la pêche industrielle, le voile des sportives, les réseaux sociaux, le coût du logement pour les jeunes, l’affaire Bétharram et les droits de douane sur le cognac. Entre autres.
Une kyrielle de sujets dont rien n’est vraiment ressorti, faute d’annonces ou d’inflexions. Tout juste a-t-on appris le désir présidentiel d’organiser « plusieurs référendums en même temps dans les mois qui viennent », sans savoir sur quels sujets et à quelle date. Déjà évoquée dans ses vœux du 31 décembre, cette future consultation du corps électoral était présentée par l’Élysée comme un enjeu central de l’émission de mardi.
Elle n’est pas beaucoup plus claire à présent, après que le chef de l’État a cité pêle-mêle « des réformes institutionnelles qui sont à prévoir, des grandes réformes économiques, la fin de vie » comme des sujets potentiels, à l’inverse de l’immigration – « Je ne vois pas le sujet qui tomberait dans le champ de l’article 11 et qui permettrait d’être efficace » – ou des finances publiques, une proposition de François Bayrou – « La fiscalité et le budget, c’est une compétence du Parlement ».
Sur le reste, Emmanuel Macron est resté fidèle à lui-même : sûr de lui, volubile, soucieux de défendre son œuvre. Sur son bilan économique, sur le « quoi qu’il en coûte », sur la sécurité comme sur tout le reste, le président de la République a déroulé les mêmes raisonnements qu’à l’accoutumée, donnant à l’ensemble une impression de déjà-vu.
En faisant succéder à son émission spéciale un épisode d’« Esprits criminels » déjà diffusé en 2017, TF1 a même donné à la soirée une sérieuse odeur de réchauffé.
La chaîne privée avait pourtant tenté d’innover sur la forme. Le chef de l’État a dû répondre successivement aux questions de Gilles Bouleau, à des reportages de la rédaction de TF1, aux interpellations du maire d’extrême droite de Béziers (Hérault) Robert Ménard, de la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet ou de la journaliste Salomé Saqué. Le tout a donné une émission longue et confuse mais plus vive et moins convenue que les habituels entretiens élyséens.
Le problème ne résidait pas, mardi soir, dans le dispositif télévisuel. Il était plus profond, plus politique aussi ; logé dans l’incongruité de l’instant. Dépourvu de majorité absolue, en froid avec son premier ministre et avec le chef du parti qu’il a créé, le président de la République n’a plus que deux ans de mandat et, déjà, si peu de leviers pour agir. Dans une allégorie surannée du présidentialisme français, il a pourtant passé trois heures à répondre de tout, comme si de rien n’était.
Alors, souvent, ses réponses se sont limitées à des incantations. Interrogé sur l’incapacité des polices municipales à faire une série d’actes de police judiciaire, il a répondu : « Moi, je veux qu’elle puisse faire tout ce que vous dites. Je souhaite que le ministre de l’intérieur puisse changer la loi. » Un souhait qui a dû faire sourire l’intéressé, qui n’a pas attendu l’onction présidentielle pour annoncer un tel projet de loi, dont la rédaction a débuté il y a plusieurs mois.
Sur la fin de vie aussi, Emmanuel Macron a dit son « souhait » que le texte examiné en ce moment à l’Assemblée nationale « soit voté ». Un souhait peu engageant au vu du poids minoritaire de ses troupes parlementaires, qu’il a toutefois appuyé d’un avertissement à l’attention des autres forces politiques. « Si on voyait un enlisement, l’impossibilité d’aller au bout de la navette parlementaire, le référendum peut être une voie pour débloquer », a-t-il estimé.
Les critiques des oppositions n’ont pas manqué de se concentrer sur le décalage entre les déclarations et les marges de manœuvre réelles du chef de l’État. Olivier Faure, le premier secrétaire du parti socialiste (PS), a évoqué sur TF1 un « président venu commenter sa propre impuissance ». Sur X, le leader de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, s’est fait plus mordant : « Je n’ai rien raté. Il n’a rien dit, rien proposé. Les programmateurs qui ont changé leur matinale se sont fait avoir. »
À droite, Laurent Wauquiez, le président du groupe Droite républicaine (DR) à l’Assemblée, a parlé sur France 2 d’un « macronisme finissant ». « J’ai trouvé ça long, interminable et assez vague, a dénoncé le candidat à la présidence du parti Les Républicains (LR). On a l’impression que tout cela est à bout de souffle. » Dans la même veine, Jordan Bardella, le président du Rassemblement national (RN), a critiqué « un bavardage vain qui ne masque plus l’impuissance généralisée » d’Emmanuel Macron.
Dans un incompréhensible paradoxe, l’interview de mardi a été furtive sur ce qui constitue aujourd’hui le cœur des prérogatives présidentielles : l’international. Après une introduction sur l’Ukraine et les droits de douane, au cours desquelles il n’a rien annoncé, le sujet a été relégué au second plan des échanges. Ainsi la situation à Gaza n’a-t-elle occupé que six petites minutes de la soirée.
Le temps pour Emmanuel Macron de qualifier de « honte » l’enclavement humanitaire du territoire palestinien. « Ce que fait aujourd’hui le gouvernement de Benyamin Nétanyahou est inacceptable », a dit le chef de l’État. S’il a refusé de se prononcer sur la notion de génocide, il a ouvert comme rarement la porte à des sanctions plus fermes à l’égard d’Israël.
La révision de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël pourrait par exemple recevoir le soutien de la France. « La question est ouverte de savoir si on doit continuer ces accords en l’état, a-t-il commenté. On ne peut pas faire comme si de rien n’était. On va devoir monter la pression sur ces sujets. »
Rien n’a été dit, en revanche, sur la reconnaissance de l’État palestinien, à laquelle il s’était dit favorable début avril. La question n’a pas été posée, mais le président de la République s’est bien gardé de la mettre lui-même sur la table, alors que son vœu d’un grand mouvement de reconnaissance mutuelle entre Israël et les pays arabes se heurte toujours au mur du réel.
La dernière question à laquelle l’émission de TF1 n’a pas répondu est sûrement plus anecdotique : pourquoi ? Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il souhaité occuper l’antenne de la première chaîne française toute une soirée, la veille d’une audition décisive pour son premier ministre ? Rien de ce qu’a dit le chef de l’État mardi ne fera bouger d’un iota la vie politique française et son enlisement.
À défaut d’avancée sur ce chemin, la prestation télévisuelle d’Emmanuel Macron aura été instructive sur ce que seront ses deux dernières années de mandat. Devenu impuissant, le président de la République est désormais inaudible, mais il entend continuer à s’écouter parler.
Toujours aussi réticent à la moindre remise en question, il n’a plus, sur la scène intérieure, que trois leviers pour continuer d’exister : une nouvelle dissolution, l’outil du référendum et le commentaire d’une vie publique qui s’écrit désormais sans lui.
Ilyes Ramdani
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