Kenya : Le pays africain présenté comme un modèle subit lui aussi une crise de représentation politique dans un contexte de misère sociale

dimanche 6 janvier 2008.
 

1) Les démons libérés du Kenya Article du Monde

2) Kenya : Sortir de l’impasse Rouge LCR

3) Pourquoi le Kenya sombre-t-il dans la violence ? Courrier International

4) L’ Afrique de tous les dangers Blog 20 minutes

1) Les démons libérés du Kenya Article du Monde

http://www.lemonde.fr/web/article/0...

En cet après-midi d’émeutes, de violence et de mort, la surface lisse du Kenya continue de crever, révélant la face cachée du pays des safaris. Une face d’inégalités, de misère dure comme la vie dans les bidonvilles, dure comme les coups qu’y assènent les gangs à composition ethnique, dure aussi comme la violence manipulée par les responsables politiques en temps d’élection.

Depuis l’annonce très contestée des résultats du scrutin présidentiel, le 30 décembre 2007, ce mélange a explosé, bousculant les prouesses de l’économie, le dynamisme national et les perspectives alléchantes de la Bourse de Nairobi. Depuis que les partisans de Raila Odinga, le chef de l’opposition, ont entamé des émeutes de protestation contre la "victoire volée" de leur candidat face au président Mwai Kibaki, la querelle politique a pris une tournure à la fois générale, violente et ethnique. Soudain, le Kenya, étourdi par sa croissance des années passées, redécouvre ses tensions, dont un certain nombre recoupe les lignes de partages ethniques.

Le président Mwai Kibaki appartient au groupe des Kikuyu, le plus important numériquement du pays (20 % de la population), influent depuis la période coloniale, fort d’entrepreneurs prospères qui finiraient presque par faire oublier que ses rangs comptent aussi des hordes de miséreux. En face, l’opposition est menée par Raila Odinga, un Luo de l’ouest du pays. Depuis l’indépendance, les Luo attendent impatiemment le jour où l’un des leurs deviendra président, offrant aux siens la promesse d’accéder, accrochés à une gigantesque cordée, à la corne d’abondance du pouvoir. Pour l’anecdote, le père de Barack Obama, le candidat démocrate américain, est un Luo.

Autour gravitent de nombreuses autres ethnies, dont les leaders jouent, depuis quatre décennies, un jeu complexe d’alliances et de trahisons au gré de leurs fortunes personnelles, maquillées sans vergogne en confrontations ethniques. Et la manipulation fonctionne, comme l’ont analysé les auteurs, David Throup et Charles Hornsby, d’un livre de référence sur la politique kényane (Multi-Party Politics in Kenya) : "Depuis le début du multipartisme au Kenya, l’appartenance ethnique s’est révélée nettement plus importante que les idéologies pour déterminer les loyautés politiques."

Le bidonville de Mathare, à l’est de Nairobi, constitue une illustration tragique de cette remarque. Jeudi 3 janvier, il a des airs de champ de bataille. La nourriture manque, la peur est partout. Des hommes circulent, armés de machettes et de rungus (casse-tête), tous partisans de l’opposition. Devant eux s’étend un champ de tôles noircies et entremêlées, le reste d’un quartier habité majoritairement par des Kikuyu. "Il a fallu brûler tout ce quartier que vous voyez, c’était le repère des Kikuyu", explique tranquillement Collins.

"KIBAKI VEUT DU SANG"

Des rafales d’armes automatiques se font entendre du côté du quartier voisin d’Huruma. "Les Kikuyu nous attaquent. Il faut bien qu’on se défende", crie un homme, bonnet enfoncé jusqu’à des yeux rougis par le bangi (marijuana). Geoffrey Ndjeka, épais gourdin en main, l’interrompt : "Quand ils tombent sur un Luo, ils lui coupent la tête. Si Raila ne devient pas président pour arrêter tout ça, le chaos va vraiment commencer. Kibaki veut du sang ? Il va en avoir !"

Un peu plus loin, Dick Odhiambo Seya, sinistre, promet encore des morts : "Vous partez déjà ? Descendez plutôt vers la rivière, il y a deux morts. Sinon, revenez bientôt, vous verrez, nous allons faire toutes sortes de choses merveilleuses." Il devient difficile, désormais, de distinguer les simples citoyens des membres des gangs à composition ethnique, qui se livrent depuis longtemps des batailles rangées pour le contrôle des bidonvilles, où ils prélèvent des taxes éhontées sur les toilettes, les robinets collectifs et les transports en commun.

Au sein des Kikuyu, majoritairement chrétiens comme les autres Kényans, est né dans les années 1990 un culte, les Mungiki, qui vénèrent un dieu ancestral. A l’origine concentrés sur le retour à leurs racines pré-coloniales, les Mungiki versent aussi dans le banditisme. Ils manient la machette dans des groupes de miliciens engagés discrètement par des responsables politiques.

Comme l’innocence et la neutralité, à Mathare, ne sont pas des concepts opératoires, l’éclosion des troubles a entraîné un séisme ethnique. Puisque la guerre avec les Mungiki est déclarée, la chasse aux Kikuyu est ouverte pour les miliciens des ethnies rivales. Les rares commerces qui leur appartenaient ont été pillés et incendiés. Les derniers Kikuyu du quartier sont en train de fuir, des ballots sur la tête. Ailleurs, dans d’autres quartiers, c’est l’inverse exactement qui se produit et chaque communauté commence à ouvrir des "camps de déplacés".

Jean-Philippe Rémy

Article paru dans l’édition du 05.01.08

2) Kenya : Sortir de l’impasse Rouge LCR

http://orta.dynalias.org/archivesro...

La violente crise que connaît le Kenya, à la suite de la réélection contestée de Mwai Kibaki à la présidence, est loin de se résumer à un conflit tribal. Les deux véritables « tribus » qui divisent aujourd’hui la société kenyane sont, d’un côté, celle des « sans », dont font partie la grande majorité des victimes des violences et les auteurs des pillages, et, de l’autre, celle des nantis, à laquelle appartiennent tout autant Kibaki qu’Odinga, l’« opposant ».

Indépendant en 1963, le Kenya connaît le destin de nombreux pays africains néocoloniaux : dépendance et mal-développement économique, néopatrimonialisme et autoritarisme politique. À partir des années 1990, des élections multipartites eurent lieu, mais ce n’est qu’en 2002 qu’un nouveau pouvoir fut élu en la personne de Mwai Kibaki, ancien cacique du régime devenu opposant à la faveur de la démocratisation. Raila Odinga, plusieurs fois ministre sous les régimes successifs, est, lui aussi, un routier de la politique kenyane.

Les événements de ces derniers jours trouvent ainsi leur explication dans une lutte de factions au sein de la classe dirigeante. Et ce sont, encore une fois, ceux dans bas qui en paient le prix fort. Pour ces derniers, l’alternative se trouve dans l’unité des forces sociales et politiques populaires, comme celle qui avait rendu possible tant de convergences et de dynamiques de lutte lors du Forum social mondial de Nairobi, il y a un an à peine.

3) Pourquoi le Kenya sombre-t-il dans la violence ?

Article de Courrier International

Depuis le 27 décembre, le Kenya est plongé dans la violence après la réélection contestée de son président Mwai Kibaki. Un cortège de pillages, de violences, de répression policière et de massacres interethniques qui dégénèrent.

Comment le Kenya, pays en paix, démocratique et en forte croissance économique a-t-il pu en arriver là ? Lui aussi ?! serait-on même tenté de dire...

Les violences ont pris naissance dans le contexte de l’élection présidentielle disputée et serrée du mois de décembre. La victoire annoncée par le pouvoir du président sortant a été contestée par son principal opposant, Raila Odinga, qui accuse le gouvernement de fraude électorale. Une enquête indépendante est en cours de mise en route de la part de la mission d’observation de l’Union Européenne présente lors du scrutin. Il semblerait que de nombreuses preuves corroborent les témoignages de l’opposition. Plus grave, les violences ont pris un caractère ethnique. 300 morts en quelques jours. Pire, 35 personnes (des Kikuyus, l’ethnie du président sortant, la principale minorité ethnique du pays) ont été brûlées vives dans une église hier. On parle ce matin de « nettoyage ethnique » et les 2 camps s’accusent mutuellement de génocide. Le président a accusé les partisans de l’opposition (des Luos), d’avoir planifié un génocide dont le massacre d’hier n’est qu’un des premiers épisodes.

Qu’en est-il réellement ? Le climat est certes extrêmement tendu et violent mais la menace d’un génocide semble totalement inventée par le pouvoir lui-même de manière à discréditer l’opposition qui a elle-même qualifié la répression des émeutes de « génocide ». Mais quel est vraiment le fond de l’affaire ? Il s’agit d’une lutte politique entre 2 candidats de 2 ethnies différents. Le problème ethnique au Kenya est bien réel depuis longtemps et malgré la croissance et la relative stabilité du pays depuis l’indépendance en 1963.

Le Kenya est en effet un pays multiethnique où cohabitent plus de 70 populations différentes, toutes minoritaires. Les Kikuyus sont la principale minorité du pays et exercent le pouvoir depuis l’indépendance. Situé à l’est et au sud du pays, ils ont profité du développement économique et touristique du pays et les Kikuyus, présents notamment dans les grandes agglomérations dont la capitale Nairobi, sont prépondérants dans la vie politique, économique et sociale du pays. Le président sortant, Mwai Kibaki tout comme Jomo Kenyatta, le « père de l’indépendance », est issu de cette ethnie.

Au contraire, les Luos, apparentés au Masaïs, forment la 2° ethnie du pays. Tribu venue du Nil (Soudan), ils sont beaucoup plus pauvres et marginalisés dans la vie économique, sociale, culturelle et politique du pays et forment la majorité de populations de l’ouest du Kenya, régions rurales plus pauvres, ainsi que des bidonvilles de la capitale, Nairobi, où ont démarré les émeutes.

Le contentieux ethnique est donc en fait un contentieux plus large, politique, économique, social, culturel. Le problème de la terre et la pression foncière des grandes exploitations, notamment celles des grandes plantations de café et de thé dont le Kenya est un exportateur important, ont avivé les tensions ethniques entre sédentaires et nomades, repoussant les tribus d’éleveurs comme les Luos vers des terres moins fertiles, d’où un appauvrissement conséquent.

La croissance économique n’a donc pas profité à tout le monde, plus à une ethnie qu’à d’autres et la relative stabilité politique dans laquelle vivait le pays, souvent cité comme havre de paix dans une Afrique orientale ensanglantée, était en fait un arbre qui cachait une forêt de problèmes.

Qu’arrive une élection annoncée comme discutée ou serrée et le climat de violence de la campagne électorale démocratique se transforme en climat de haine démagogique où les hommes politiques instrumentalisent leurs ethnies et leurs partisans à des fins politiques. Même dans un des pays africains qui a connu des lendemains parmi les moins difficiles des états décolonisés, les sempiternels ingrédients de la haine sont bien là, n’attendant que des cuisiniers pour mettre le feu à la marmite.

Ce climat rappelle effectivement celui du génocide rwandais entre Hutus et Tutsis de 1994. Là aussi, une ethnie plus pauvre et marginalisée dans la vie politique, économique et sociale (les Hutus) par une autre ethnie, au pouvoir depuis (et même avant) l’indépendance (les Tutsis), avait profité d’un élément déclencheur (l’assassinat du président Habyarimana) pour mettre en œuvre un génocide planifié. Heureusement, la comparaison semble s’arrêter là car les violences semblent plus spontanées que planifiées. Elles n’en sont pas moins inquiétantes.

Plus largement, cette situation pose un peu plus cruellement la cynique question de savoir si la démocratie n’est pas ici le catalyseur de la violence. Quand un pays ne connait pas un développement équilibré et que les écarts sociaux, économiques et politiques recouvrent des clivages ethniques, la démocratie se transforme vite en démagogie qui, attisée, sont une allumette de la violence et de la guerre civile. La démocratie ne rime hélas pas toujours avec la paix et la sécurité. Un postulat de plus en plus évident qui pose la question de fond : Faut-il privilégier la démocratie ou la stabilité ?

4) L’ Afrique de tous les dangers

http://lapresseaujourd-aujourd-hui....

Vitrine de la stabilité pro-occidentale en Afrique de l’Est, le Kenya avait jusqu’à présent échappé à la spirale de la violence. La donne a changé avec la contestation du résultat de l’élection présidentielle du 27 décembre 2007. Des affrontements ont suivi entre les partisans du président réélu Mwai Kibaki, un Kikuyu, et ceux de son adversaire Raila Odinga, issu de l’ethnie Luo.

Depuis, les images de bandes armées de machettes menant des chasses à l’homme, organisant des pillages et provoquant des incendies, comme celui d’une église où s’étaient réfugiés des femmes et des enfants, ont supplanté celles de tranquillité et de relative prospérité qui étaient attachées, jusqu’à présent, à l’ancienne colonie britannique.

Des événements qui - alors que les deux camps en lutte pour la présidence du pays s’accusent mutuellement de "génocide" et "nettoyage ethnique" - ne sont pas sans rappeler les horreurs qui avaient été perpétrées au Rwanda en 1994 et font craindre un rejaillissement du conflit sur toute la région de grands lacs. Pour l’heure, plus de 100 000 Kenyans fuyants les exactions, sont déjà sur les routes de l’exil.

Après le Liberia, la Côte-d’Ivoire, la République démocratique du Congo, le Rwanda ou encore le Burundi, qui le 31 décembre 2007 a été le terrain du meurtre d’une humanitaire française travaillant pour l’ONG Action contre la faim, la spirale de la violence, en gagnant aujourd’hui le Kenya, témoigne de la fragilité politique du modèle kenyan et interpelle sur l’ancrage démocratique du continent africain.


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