Le PS et l’identité nationale : retour à la case traquenard

lundi 24 février 2025.
 

Olivier Faure estime que le débat sur l’identité nationale voulu par François Bayrou n’est « pas tabou ». Dans un contexte où l’extrême droite est autrement plus forte qu’en 2009, l’opportunité de s’engager sur ce terrain est mise en question dans ses propres rangs.

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Comme un sentiment de déjà-vu, en version dystopique. Interrogé sur BFMTV le 10 février, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, a déclaré que la gauche devait s’emparer du débat sur l’identité nationale voulu par François Bayrou. « Ce n’est pas parce que le débat est piégé qu’il faut le fuir », a-t-il affirmé, tout en rejetant la « vision conservatrice, rance, passéiste » des ministres Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, qui plaident pour un référendum sur l’immigration.

Le PS s’était retrouvé sur la même ligne de crête en 2009, quand Éric Besson, ancien socialiste devenu ministre de l’immigration, organisait dans les préfectures, sous l’égide de Nicolas Sarkozy, un « grand débat » sur l’identité nationale – que Mediapart avait refusé. Voyant la manœuvre pilotée par l’éminence grise du président, Patrick Buisson, pour siphonner l’électorat du Front national (FN), la première secrétaire du PS de l’époque, Martine Aubry, avait organisé une contre-programmation sous la forme d’un « tour de France du projet ».

« Il fallait dénoncer les manipulations de la droite, qui courait déjà après l’extrême droite. Ce débat sur l’identité nationale, on l’avait retourné pour montrer les vrais priorités des Français », se rappelle Jean-Marc Germain, alors directeur de cabinet de Martine Aubry. Le PS a-t-il encore les capacités de cette prise de judo aujourd’hui ?

L’entrée en matière d’Olivier Faure témoigne plutôt du terrain perdu, depuis seize ans, dans la bataille culturelle face à l’extrême droite. Évoquant sur BFMTV l’attitude de la gauche en 2009, il émet des critiques : « À l’époque, la gauche avait considéré que c’était un piège. C’était un piège, c’est vrai, mais je crois que parfois il faut prendre son risque. » « Une des grandes erreurs des socialistes est de ne pas avoir accepté le débat sur l’identité nationale, d’en avoir laissé le monopole à la droite », confiait-il aussi au Point fin janvier.

Il ne s’agit donc plus de faire diversion à la diversion, mais de prendre part au débat tel qu’il est posé. Le PS avait d’ailleurs déjà lancé une « convention » sur l’identité nationale avant que le sujet ne soit imposé par François Bayrou. « Le but dans cette histoire, c’est de combattre l’extrême droite et de faire reculer sa propagande », explique l’entourage du premier secrétaire.

La route est droite, mais la pente est forte

Mais le risque d’instrumentalisation raciste d’un nouveau « grand débat » est encore plus prégnant aujourd’hui qu’à l’époque. Dans un contexte de basculement des droites vers l’extrême droite, de trumpisation des médias et de victoires idéologiques concédées au Rassemblement national (RN), ce dernier ne peut que tirer profit de cette mise à l’agenda.

D’autant plus que le premier ministre l’a d’ores et déjà cadré en dénonçant le « sentiment de submersion » migratoire. « Ça va nourrir évidemment toute la concurrence interne à la droite pour le leadership de 2027, dans une logique de surenchère », anticipe l’ancien député socialiste Christian Paul, qui encourageait le PS à « déminer le piège » en 2009.

Les déclarations d’Olivier Faure ont d’ailleurs suscité des réactions contrastées dans les rangs de son parti. Si le maire de Nancy (Meurthe-et-Moselle), Mathieu Klein, a salué ce changement de pied (« Posons la question de la fierté française, défendons l’idée d’une République humaniste et universaliste »), la sénatrice Marie-Pierre de La Gontrie s’est fermement opposée à « cette dérive odieuse ».

Il faut qu’on puisse avoir un discours argumenté, chiffré : si l’émotionnel l’emporte, le RN aura gagné.

Pierre Jouvet, secrétaire général du PS

L’eurodéputé et secrétaire général du PS Pierre Jouvet assume toutefois la volonté du parti de ne pas rester muet sur le sujet : « Nous ne sommes plus sur la position de 2008. On ne peut pas esquiver ce débat quand 70 % des Français considèrent que la question migratoire est un sujet majeur. Si on veut répondre aux électeurs du RN qui étaient, pour certains, des électeurs socialistes, il faut aller sur le fond », explique-t-il.

À cette fin, l’historien Patrick Weil devait être auditionné par le bureau national du PS le 11 février, comme le sociologue François Héran l’a été précédemment. « Il faut qu’on puisse avoir un discours argumenté, chiffré : si l’émotionnel l’emporte, le RN aura gagné », défend Pierre Jouvet. Les conclusions de ces consultations doivent être rendues en mars.

Inquiétudes persistantes

Les clivages qui ont profondément divisé les socialistes depuis 2009 pourraient resurgir à cette occasion – entre critiques de la « mondialisation heureuse » et partisans du fédéralisme européen, défenseurs de la France périphérique en proie à l’« insécurité culturelle » et thuriféraires d’une « société ouverte », quitte à abandonner l’unification des catégories populaires… Comme si la bataille politique qui avait opposé la Gauche populaire (dont le politiste Laurent Bouvet était membre avant de cofonder le Printemps républicain) au think tank Terra Nova, proche du PS, se rejouait d’une autre manière.

Jadis minoritaire au PS sur l’idée que la gauche ne devait pas déserter le débat sur l’identité nationale, la sénatrice Marie-Noëlle Lieneman, désormais membre de la Gauche républicaine et sociale (GRS), se félicite ainsi de voir la direction du parti lui donner le point a posteriori : « Olivier Faure a raison de réinvestir le sujet, estime-t-elle. L’identité n’est pas de l’eau tiède, on va avoir un vrai affrontement avec la droite. Ne pas montrer qu’il y a une autre façon de défendre la France, son identité, sa cohésion, c’est laisser la porte ouverte à la nation ethnique, celle des “modes de vie” que défend Bayrou. »

C’est le même piège qu’en 2009, mais en encore plus mortel !

Benoît Hamon

Christian Paul, qui présidait le Laboratoire des idées du PS en 2009, attend de juger sur pièces ce que va proposer concrètement le parti. S’il n’est pas inintéressant à ses yeux que la gauche fasse valoir ses idées en la matière, elle ne doit en revanche rien céder aux obsessions identitaires du moment : « Ce n’est pas un débat auquel on participe, c’est une bataille culturelle et politique qu’il faut mener. On jugera Olivier Faure sur ce qu’il mettra dans la corbeille. Mais plus on formule mal les termes de l’offensive, plus on risque de se faire défoncer », alerte-t-il.

L’entreprise socialiste, encore inachevée, paraît en tout cas aventureuse à l’aune de la droitisation du paysage politico-médiatique. Déjà, la réception médiatique des déclarations d’Olivier Faure indique la tendance : selon la chroniqueuse Sylvie Pierre-Brossolette – récemment limogée du Haut Conseil à l’égalité (HCE) pour propos sexistes, racistes et homophobes –, la gauche sortirait enfin du « déni sur les questions de sécurité et d’immigration » et admettrait que « l’opinion est sensible à certains problèmes que posent certaines populations immigrées ».

C’est ce qui fait frémir Benoît Hamon, directeur de l’ONG Singa, qui était porte-parole du PS en 2009 : « C’est le même piège qu’en 2009, mais en encore plus mortel ! Il faut cesser de se comporter comme si la gauche était dépositaire de l’hégémonie culturelle : on est minoritaires », assène-t-il, jugeant que la gauche n’a « aucun intérêt » à ce que l’identité nationale soit le sujet central du débat public.

Alors qu’une étude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) publiée en 2024 a montré qu’une augmentation de la couverture médiatique télévisuelle du sujet migratoire tend à polariser les opinions, il appelle ses anciens camarades à une forme de sursaut : « On attend la gauche sur la question sociale, l’accès à l’éducation, les services publics. Elle se porterait mieux si elle mettait sur la table des éléments d’identification, au lieu de s’engager dans ce débat sur l’identité nationale. »

« Dans le contexte de la percée mondiale de l’extrême droite, c’est évidemment une mauvaise idée, car le terrain de l’identité est celui des droites extrêmes, quand notre sujet est celui de l’égalité », défend aussi la députée Clémentine Autain, cofondatrice de L’Après.

Si, dans les années 1970, le PS a été le premier parti majeur à parler d’identité nationale, comme l’a montré le politiste Vincent Martigny dans Dire la France (Presses de Sciences Po, 2016), le contexte était alors totalement différent. « L’identité nationale était décorrélée de la question migratoire, et le PS prônait le libéralisme culturel, la mise en valeur des cultures minoritaires et des identités locales », rapporte le chercheur, interrogé par Mediapart.

À ses yeux, le repositionnement du PS sur ce sujet en 2025 a tout d’une tentative de reprise en main dans un moment de différenciation vis-à-vis de La France insoumise (LFI) – Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs vertement réagi aux propos d’Olivier Faure en déclarant : « Ils sont prêts à tout accepter pour coller à Bayrou. »

« Le PS veut se réaffirmer comme parti de gouvernement, il veut donc réaffirmer une position singulière sur un sujet régalien : celui du récit national », explique Vincent Martigny. Mais construire une « réponse de gauche » à la question posée par le premier ministre, « qu’est-ce que c’est d’être français ? », dans un contexte de remise en cause du droit du sol, relève de la gageure. Et le risque de la dégringolade est loin d’être écarté.

Mathieu Dejean


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