Venezuela : retour sur un référendum (PRS national)

mercredi 12 décembre 2007.
 

Le 2 décembre, les Vénézuéliens se prononçaient par référendum sur un projet de réforme de la Constitution qu’ils avaient adoptée en 1998 déjà par référendum. L’échec de Chavez à ce scrutin n’a été que très rapidement traité par la plupart des médias qui ont paru presque déçus que l’attitude du président vénézuélien les prive d’une nouvelle occasion de le traiter de dictateur. Il y a pourtant beaucoup à apprendre de ce vote.

Un résultat serré et ambigu

Au-delà de leur portée juridique immédiate, le rejet de la réforme constitutionnelle, les résultats du référendum du 2 décembre ont une signification politique plus compliquée. Certains médias occidentaux ont rapidement prétendu y voir un renversement de majorité politique mettant d’emblée l’opposition en situation de revenir au pouvoir. L’opposition locale ne s’est elle-même guère aventurée sur ce terrain. Car le non l’emporte de justesse avec 50,5% et 110 000 voix d’avance, avec une faible participation de 55%. Cela signifie que 28% des électeurs vénézuéliens inscrits sur les listes électorales ont effectivement voté contre la révision proposée par Chavez. Pas de quoi parler de majorité anti-chaviste dans le pays. D’autant qu’en nombre de voix, le Non ne dépasse que de 200 000 voix le score habituel de l’opposition. Celle-ci pavoise d’autant moins que le Non n’a même pas toujours été majoritaire dans ses fiefs électoraux. Ainsi le Oui l’emporte avec 52% dans l’Etat d’Aragua, dont le gouverneur était pour le Non, et dont le général Baduel, figure médiatique du Non, est originaire. A cela s’ajoute le fait que les propositions d’amendements à la réforme proposées par l’Assemblée nationale, qui faisaient l’objet d’un vote distinct, ont été rejetées plus nettement (à plus de 51%) que celles de Chavez. Pourtant ces propositions atténuaient sur plusieurs points la réforme proposée par Chavez, notamment en prévoyant des garanties renforcées en matière de pluralisme. Que peut alors signifier ce vote ? Tout simplement que les électeurs ne voyaient pas l’utilité de réformer la constitution. Cette interprétation est confirmée par l’ampleur de l’abstention (45%), qui tranche avec la forte participation (plus de 70%) qui avait marqué la réélection de Chavez il y a à peine un an avec 63% des suffrages et près de 7,5 millions de voix. Plus de trois millions d’électeurs chavistes n’ont pas vu cette fois-ci l’utilité d’aller voter.

Quelles leçons tirer pour la gauche ?

La révolution démocratique engagée par Chavez depuis 1998 au Vénézuela étant la plus radicale de toute l’Amérique latine, l’échec de ce référendum doit interroger les militants de gauche sur les moyens de construire une alternative à l’ordre dominant de notre époque. Deux questions viennent à l’esprit. D’abord quelle est la bonne méthode pour changer la constitution, c’est-à-dire la règle du jeu dans un pays ? Ensuite une transition démocratique vers le socialisme suppose-t-elle nécessairement des changements constitutionnels et lesquels ? Sur le premier point, c’est à la lumière de la précédente expérience constituante de 1998-1999 au Venezuela qu’il faut répondre. A l’époque, le peuple avait élu une assemblée constituante chargée d’écrire une nouvelle constitution qui avait été ensuite très largement approuvée par référendum. Cette méthode permet d’obtenir un consentement très large de la population à la règle du jeu du pays, bien au-delà de la majorité qui soutient la politique chaviste. En faisant cette fois-ci l’économie d’une assemblée constituante, Chavez a au contraire semé le doute dans une partie de la population sur la légitimité même de la nouvelle règle du jeu qui était proposée.

Il faut ensuite se demander si la nature socialiste d’une politique a besoin d’une traduction constitutionnelle pour transformer durablement une société. La réforme constitutionnelle proposée voulait en effet introduire dans la constitution des références économiques et sociales aussi bien générales (référence à l’économie mixte et au socialisme) que très précises (extension de la sécurité sociale aux travailleurs de l’économie informelle et journée de travail de 6h et semaine de 36h). Or aucun obstacle juridique majeur n’empêchait d’engager ces avancées dans la constitution actuelle. Les citoyens ne pouvaient donc pas comprendre pourquoi on voulait à tout prix réviser la constitution sur ces points. La seule véritable condition constitutionnelle qui permet une transition possible vers le socialisme est en effet la garantie de la souveraineté du peuple dans tous les rouages du pays. Et c’était précisément l’objet de la constitution de 1999 que de rétablir cette pleine souveraineté populaire. Essayer de ficeler le contenu d’une politique dans une constitution jette au contraire le doute sur la capacité réelle du peuple à exercer sa souveraineté. On se rappelle d’ailleurs que la tentative de constitutionnalisation des politiques libérales dans la constitution européenne avait pesé lourd dans les raisons des refus français et néerlandais lors des référendums de 2005. La comparaison avec le référendum vénézuélien peut même aller plus loin. Dans les deux cas, on a pu observer que le peuple se méfie volontiers, et à raison, des textes longs et complexes : la réforme vénézuélienne comportait 69 articles sur 40 pages et près de 5 thèmes très différents.

Les Etats-Unis et les médias pris de cours

Les principaux médias occidentaux avaient déjà écrit leur scénario. Le dictateur Chavez allait gagner de justesse son référendum en terrorisant son peuple. Une victoire du Oui était donc discréditée d’avance. Pour mettre en place cette mise en scène, les médias n’ont reculé devant rien. Dans la presse écrite, c’est Courrier international qui a été le plus bestial avec sa une présentant sur le même plan Chavez et Poutine en nouveaux dictateurs. A la télévision, on peut également citer le florilège de sarcasmes entendus à l’occasion de la visite de Chavez en France le 20 novembre : « dictateur en herbe », « néostalinien », « clown », « saltimbanque... ». Dans cette surenchère, les médias ont fini par devenir eux-mêmes encore plus caricaturaux que le personnage qu’ils cherchaient à discréditer. Cette mise en scène fut d’autant plus ridicule qu’elle tomba complètement à plat avec les résultats du référendum et l’attitude irréprochable de Chavez, reconnaissant immédiatement le résultat alors même qu’il est serré, et saluant tous les électeurs, alors qu’on lui prêtait des velléités de couper le pays en deux. Ce ne sont pas seulement les journalistes qui sont tombés de haut. Les Etats-Unis d’Amérique ont aussi fait pale figure. Dans la journée du vote, le département d’Etat américain avait mis en effet bruyamment mis en cause l’impartialité du Conseil National Electoral, en sous entendant que le résultat serait entaché d’irrégularité. A peine quelques heures plus tard, le même département d’Etat saluait le triomphe de la démocratie alors que le Conseil National Electoral venait d’annoncer la courte avance du Non. Sans même parler du résultat, la principale leçon de ce vote sera donc qu’au Venezuela on reconnaît que seul le peuple peut changer ou défaire ce qu’il a décidé par référendum. Une exigence démocratique qui va de soi pour Chavez, là où les chefs d’Etat européens font exactement l’inverse dans leurs pays. Alors que 11 référendums avaient été prévus en 2005 sur la Constitution européenne, plus aucun pays ne propose d’en organiser un sur le nouveau projet de traité européen. On attend que les médias le relève.


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