La brutalisation du monde (éditorial de Ouest France)

mardi 11 février 2025.
 

Décret après décret, le nouveau président américain confirme son intention de faire sortir les États-Unis des règles internationales. Sortie de l’accord de Paris sur le climat, sortie de l’Organisation mondiale de la santé, sanctions contre la Cour Pénale Internationale (que Washington n’a jamais reconnue). C’est le retour de la force comme critère dominant dans les relations internationales.

Nous étions avertis, nous sommes comblés. Les premières semaines de Donald Trump à la Maison Blanche sont à la hauteur des attentes : délibérément grotesques et cruellement brutales. Purges en série au sein de l’appareil de l’État fédéral, fin de l’aide humanitaire à l’international, sanctions contre la Cour pénale internationale, barrières commerciales, retour à l’usage du plastique. Chaque jour la liste s’allonge.

Mais l’annonce qui a le plus choqué le monde cette semaine concernait Gaza, que Trump veut transformer en nouvelle Riviera. Sa vision hôtelière des relations internationales pourrait faire sourire, si la souffrance et la dignité de toute une population n’étaient pas en jeu. Les colons israéliens les plus radicaux, adeptes du nettoyage ethnique, étaient ravis.

Executive orders

Tous les jours, la même scène se répète. Un stylo, un porte-documents, un coup de menton, un geste triomphal pour brandir ses executive orders . Ses ordres ! Finie la complexité du monde, fini le multilatéralisme, fini le droit international, finies les bonnes manières. Washington (ou le show en cours à Washington) vit au rythme du triptyque : un homme, un peuple, des ordres !

Le ressors émotionnel qui a porté Trump au pouvoir est, en partie, le fruit des impasses de nos démocraties. Sur deux constats qui ne sont pas sans fondements. La classe politique étalait son impuissance ? Trump peut faire bouger les choses. La bureaucratie est une mauvaise herbe galopante ? Trump veut la couper à la tronçonneuse, comme le président argentin. On ne peut défendre ni l’impuissance ni la bureaucratie. Mais où réside l’intérêt de ce recours à la brutalité tous azimuts ?

Seigneurs néoféodaux

Derrière l’humeur, c’est une vision du monde prédatrice dont nous sommes spectateurs, avec dans le sillage de Trump ses nouveaux seigneurs néoféodaux du troisième millénaire , comme les a qualifiés cette semaine Sergio Mattarella, le président italien. Une sorte de plongée de l’Amérique dans une lutte impérialiste assez semblable à celle que se livrèrent les empires européens à la fin du XIXe siècle. Cette fois, avec la Chine, d’abord. Puis les autres. Accaparement des ressources rares, visées territoriales sur le Groenland, contrôle du canal de Panama. Washington n’aurait plus d’alliés, mais des vassaux.

Et l’Europe ? La diviser est une urgence. Par idéologie ? Non. Pour l’affaiblir. Le marché unique est trop performant commercialement. Le soutien d’Elon Musk à l’extrême-droite allemande n’a pas non plus d’autre but. L’argent est la première boussole du cirque Trump. Un conflit d’intérêts se niche derrière chaque « ordre » signé.

C’est tout l’édifice juridique et diplomatique construit après 1945 qui est exposé à cette œuvre de démolition. Il nous revient de le défendre et pour cela de redoubler d’habileté et d’efforts, pour assumer ce nouveau rapport de force, sans nous renier. Espérons que le silence de nos dirigeants cache une stratégie.

Laurent MARCHAND


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