Viols sur mineurs à Bétharram : les mensonges de Bayrou pour défendre une institution catholique

jeudi 20 février 2025.
 

Des prêtres et des surveillants du pensionnat Notre-Dame-de-Bétharram, près de Pau, sont visés par une centaine de plaintes. Malgré l’ampleur du scandale, François Bayrou, qui y a scolarisé ses enfants, jure qu’il ignorait tout. Plusieurs documents et témoignages recueillis par Mediapart prouvent le contraire.

https://www.mediapart.fr/journal/fr...

112. Le nombre vertigineux de plaintes déposées par des anciens pensionnaires de Notre-Dame-de-Bétharram, dans la commune de Lestelle-Bétharram, dit tout de l’ampleur du scandale qui touche cet établissement privé catholique situé dans la campagne béarnaise, à une trentaine de kilomètres de Pau. Depuis octobre 2023 et la création d’un collectif d’ex-élèves aujourd’hui adultes, les témoignages dénonçant des violences physiques, agressions sexuelles et pédocriminelles commises par des prêtres et des surveillants, ou même entre résidents, s’accumulent sur le bureau du procureur de la République. Les récits portent sur une période qui s’étale des années 1950, pour les faits plus anciens, aux années 2010.

Alain Esquerre, ancien élève à l’origine du recueil des plaintes, évoque des violences physiques et, « surtout, beaucoup d’attouchements sexuels sur des enfants de 8 à 13 ans ». Petit à petit, d’anciens internes racontent eux aussi le « calvaire » qu’ils ont vécu dans cette institution très connue dans la région et disent avoir été violemment frappés, masturbés de force ou violés par des surveillants ou des prêtres qui régnaient sur l’établissement.

Face à ce scandale, l’une des affaires de violences sexuelles les plus importantes en France, le silence du premier ministre interroge. Les plaintes et les témoignages se multiplient, mais François Bayrou, maire de Pau, ancien président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques et ex-ministre de l’éducation, garde le silence. Il n’a pas publié de communiqué, pas posté de message sur les réseaux sociaux et pas pris la parole pour condamner les faits ou simplement soutenir les plaignants, malgré les répercussions de cette affaire.

Surtout, l’une des rares fois où l’actuel premier ministre – qui a scolarisé plusieurs de ses six enfants à Notre-Dame-de-Bétharram, où son épouse a aussi enseigné le catéchisme – a été interrogé sur son niveau de connaissance du scandale, il a livré une explication mensongère, affirmant qu’il ignorait tout. « C’est vrai que la rumeur, il y a vingt-cinq ans, laissait entendre qu’il y avait eu des claques à l’internat. Mais de risques sexuels, je n’avais jamais entendu parler », a-t-il juré au Parisien en mars 2024.

Or, d’après plusieurs témoignages recueillis par Mediapart, François Bayrou ne pouvait ignorer les accusations qui pesaient déjà sur l’établissement à la fin des années 1990. Il a même rencontré le juge saisi d’une affaire de violences sexuelles en 1998. Des parents d’élèves et une enseignante disent aussi l’avoir alerté à au moins trois reprises. Deux ans plus tôt, en 1996 donc, il s’était aussi rendu, en tant que ministre de l’éducation, dans les locaux de Bétharram pour soutenir l’établissement à la suite de la plainte d’un parent d’élève.

Invité à réagir à ces informations, le locataire de Matignon n’a pas souhaité nous répondre.

En 1996, le ministre Bayrou défend Bétharram

En 1996, Notre-Dame-de-Bétharram connaît sa première affaire judiciaire : un surveillant général est condamné en juin de cette année-là pour avoir violemment frappé un élève de 14 ans, lui laissant des séquelles à vie. « Mon fils a perdu une partie de l’audition, les médecins n’ont pas pu sauver son oreille », témoigne son père, Jérôme*, qui a accepté pour la première fois de s’exprimer auprès de Mediapart.

Devant l’inertie de la direction après le dépôt de la plainte, en avril 1996, le père du jeune garçon multiplie les actions. Il alerte l’association des parents d’élèves et distribue des tracts à la sortie de l’établissement.

À l’époque, l’affaire fait grand bruit : elle donne lieu à des articles de presse et des reportages, y compris au niveau national. Des comités de soutien à Bétharram sont créés, en Béarn mais aussi à Paris, avec les anciens élèves Jean-Charles de Castelbajac ou le député Michel Péricard, par exemple.

À Pau, plusieurs avocats importants du barreau font bloc autour de Serge Legrand, l’avocat de Bétharram, que François Bayrou connaissait bien. Le pénaliste, mort en 2019, était aussi engagé en politique : lors des élections cantonales de 1985, il avait été investi par l’UDF, le parti de François Bayrou à l’époque, dans le canton de Nay-Est, où l’actuel premier ministre est né et réside avec sa famille.

Mais celui qui était alors ministre de l’éducation nationale explique aujourd’hui qu’il est passé à côté de cette affaire. « Seule l’une de mes filles se souvient d’une affaire de claques données par un surveillant », a assuré François Bayrou à La République des Pyrénées, en mars 2024.

Est-ce crédible ? « Impossible ! Mon fils était dans la même classe que le sien, Calixte Bayrou », rappelle Jérôme, qui affirme que le ministre « fuyait la presse » pour ne pas évoquer l’affaire. « À l’époque, j’étais furieux contre son absence de réaction. »

Françoise Gullung, enseignante de mathématiques à Bétharram, avait également dénoncé les maltraitances sur les élèves dont elle a été témoin et dit, elle aussi, avoir directement alerté le ministre. Au journal Le Point, elle a confié en juillet 2024 avoir tenté d’alerter Élisabeth Bayrou puis avoir prévenu son époux à l’occasion d’une remise de médaille. « Il a minimisé en disant que j’exagérais sans doute un peu, témoigne-t-elle. Je sais que l’infirmière de l’école lui a aussi écrit des courriers. »

« Jamais personne ne m’a alerté sur ce sujet, du moins dans mon souvenir, dément à nouveau François Bayrou dans l’hebdomadaire. Vous imaginez bien que si quelqu’un m’avait indiqué des faits de cet ordre, jamais mes enfants n’y auraient été scolarisés. » Des explications à peine croyables selon la journaliste Marie-Pierre Farkas. « Il ne pouvait pas ignorer ce scandale », estime cette reportrice qui s’était rendue sur place le 10 avril 1996 pour un sujet qu’elle réalisait pour le JT de 13 heures d’Antenne 2.

Des parents avaient écrit à François Bayrou.

Dominique Conil, journaliste

Surtout, le François Bayrou contemporain est démenti par... le François Bayrou de 1996. Un mois après le dépôt de la plainte pour les violences physiques sur le fils de Jérôme, tandis que le scandale avait mis la région en ébullition, le ministre de l’éducation s’était même rendu directement à Notre-Dame-de-Bétharram pour apporter son soutien à l’établissement à l’occasion de la réception de travaux de toiture, révèlent les archives du quotidien Sud-Ouest.

« François Bayrou et Philippe Douste-Blazy, ministres respectifs de l’éducation nationale et de la culture, ont communié, hier après-midi, dans la même piété mariale », indique un article daté du 5 mai 1996.

Avant de citer ces mots prononcés par François Bayrou devant la presse : « Nombreux sont les Béarnais qui ont ressenti ces attaques [contre Bétharram] avec un sentiment douloureux et un sentiment d’injustice », dit-il dans le journal. Puis il ajoute : « Toutes les informations que le ministre pouvait demander, il les a demandées. Toutes les vérifications ont été favorables et positives. Le reste suit son cours. Les autres instances qui doivent s’exprimer le feront. » La condamnation du surveillant, un mois plus tard, a donné tort aux déclarations « favorables et positives » du ministre, devenu amnésique sur le sujet depuis.

Une seconde affaire à la une des médias

En 1998, nouveau scandale : l’ancien directeur de Notre-Dame-de-Bétharram, le père Carricart, est mis en examen, accusé d’avoir violé un enfant, interne de l’établissement. Christian Mirande, juge d’instruction à Pau que François Bayrou connaît également bien, est saisi du dossier et décide de placer le père Carricart en détention. Celle-ci n’est que de courte durée. Le père est finalement laissé libre et exfiltré au Vatican. Il se suicidera quelques semaines plus tard, alors que le juge Mirande venait de le convoquer à nouveau après avoir reçu une deuxième plainte pour des violences sexuelles sur mineurs.

Là encore, si François Bayrou jure qu’il ignorait tout, plusieurs témoins de l’époque le contredisent. Pour Thierry Sagardoytho, l’avocat du premier plaignant pour viol, il « est évident qu’il a été avisé de la plainte et que certaines discussions ont eu lieu sur le thème. Est-ce bien sérieux ? » Selon nos informations, Élisabeth Bayrou s’était même rendue aux obsèques du père Carricart, alors largement soutenu par les notables locaux.

En décembre 2000, la journaliste Dominique Conil publiait une longue enquête sur Bétharram dans Le Vrai Papier journal, un magazine d’investigation lancé par Karl Zéro, et mentionnait l’élu. « Quant au ministre de l’éducation du moment, il s’abstient de tout commentaire. Calixte, fils de François Bayrou, est en effet élève de Bétharram », écrit-elle notamment. Dans un billet de blog publié en 2009 sur Mediapart, la journaliste va plus loin. « Des parents avaient écrit à François Bayrou, sans obtenir de réponse, pas même cette lettre type vous enjoignant de laisser faire la justice », révèle-t-elle.

« Le fait que Bayrou ait été totalement aréactif m’avait marquée », explique-t-elle aujourd’hui. Dans ses notes, retrouvées pour Mediapart, elle mentionne effectivement ces courriers adressés à l’élu et la présence d’Élisabeth Bayrou aux obsèques du mis en cause.

Un juge confirme avoir parlé directement à Bayrou

Dans un article publié en mars 2024, Le Monde révèle que François Bayrou est même directement intervenu dans cette affaire en rencontrant le juge Christian Mirande pour le questionner sur ce dossier, pourtant couvert par le secret de l’instruction. « Il est venu me parler toute une après-midi de cette affaire, au début de la procédure, de façon feutrée. Il n’arrivait pas à croire que Carricart ait pu avoir un tel comportement déviant », témoigne le juge.

Auprès de La République des Pyrénées, le magistrat évoque aussi le climat tendu qui pesait sur lui et l’attitude du député UDF des Pyrénées-Atlantiques d’alors. « Je sentais qu’il ne fallait pas que je m’attarde sur ce dossier. François Bayrou a fait la démarche de venir me voir lorsque le prêtre était en détention, se souvient-il. Il s’inquiétait pour son fils alors scolarisé à Bétharram. Il disait qu’il ne pouvait pas croire que le père Carricart avait fait ce qu’on lui reprochait. »

Je ne comprends pas pourquoi il dément notre rencontre aujourd’hui.

Christian Mirande, juge

Là encore, François Bayrou dément catégoriquement. « Je ne connaissais pas le père Carricart, si ce n’est peut-être de vue, conteste le premier ministre au Monde. Jamais je n’ai été au courant de cette histoire à ce moment-là, jamais je n’ai entendu parler des accusations de viol. »

Interrogé par Mediapart, le juge Mirande maintient pourtant toutes ses affirmations. « Je ne comprends pas pourquoi il dément aujourd’hui. On se connaît, on a même été voisins, témoigne le juge. Notre rencontre de l’époque ne portait pas sur autre chose, c’était spécifiquement sur ce dossier, notamment parce que l’un de ses enfants était scolarisé à Notre-Dame-de-Bétharram. »

Des années plus tard, le juge raconte avoir revu François Bayrou à l’occasion de « l’inauguration d’une église ». « Il était présent avec l’évêque et lorsqu’il sont venus me saluer, François Bayrou a lancé : “Voilà un homme dans les mains de qui il ne faut pas tomber.” »

Questionné sur tous ces éléments, François Bayrou refuse de s’exprimer. Il a tout de même changé de version dans la presse et reconnaît désormais avoir rencontré le juge Mirande, mais minimise. « Jamais, bien entendu, je n’aurais eu l’idée d’interférer avec l’instruction », a précisé au Parisien celui qui, malgré la multitude de témoignages, soutient aujourd’hui encore le prêtre disparu. « Quant au père Carricart, jamais personne, à ma connaissance, n’avait eu le moindre indice de ce genre de comportement. Et mes doutes ne se sont pas effacés », a-t-il en effet ajouté. Et ce, même si trois autres témoignages le visent à nouveau aujourd’hui.

L’Église indemnise, Bayrou fait un deal immobilier avec Bétharram

Le déni de François Bayrou a ceci de spectaculaire qu’il persiste alors même que l’Église catholique a reconnu que des violences sexuelles ont été commises par des religieux à Bétharram. À l’issue d’une enquête canonique enclenchée en 2010, l’une des premières victimes déclarées dans l’établissement, Jean-Marie Delbos, a été indemnisée en 2023 par la Commission reconnaissance et réparation (CRR) pour les viols subis dans les années 1950, alors qu’il était adolescent.

Aujourd’hui âgé de 78 ans, l’ancien élève a raconté ces violences à France Bleu en 2024. « En 1957 est arrivé un jeune prêtre qui, la nuit, profitait qu’on soit endormis. Il était soutane ouverte, il venait sous les draps, masturber et faire une fellation. Comme on était terrorisés, on ne bougeait pas », expliquait-il.

Quelques années plus tard, la jeune victime s’est confiée à son directeur de conscience. Mais l’institution l’a fait passer pour un fou, en le faisant interner dans un hôpital psychiatrique et en le menaçant de saisir les biens de sa grand-mère s’il ébruitait l’affaire, a-t-il raconté.

Malgré les alertes à répétition, les liens entre François Bayrou et la congrégation des Pères de Bétharram ne se sont jamais distendus. En février 2020, pendant la campagne pour sa réélection à la mairie de Pau, l’actuel premier ministre annonçait avoir obtenu l’accord de la direction de la communauté pour racheter un bâtiment qui lui appartenait en vue d’y développer une maison municipale, notamment pour l’accueil de « femmes en danger ».

L’acquisition a été réalisée dès l’été suivant, pour 1,1 million d’euros, suscitant l’enthousiasme du premier magistrat de la ville : « Ce sera un lieu de beauté, de calme et de solidarité ! »

David Perrotin et Antton Rouget


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