Quand le gouvernement Sarkozy se réfère à un ministre de Pétain pour protéger juridiquement le patronat indélicat (PAR Hélène Franco, L’Observatoire du 6 mai)

samedi 8 décembre 2007.
 

La dépénalisation du droit des affaires est, selon Hélène Franco, le point culminant d’une politique qui n’étend la répression que pour les plus vulnérables.

Cynisme et brutalité sont assurément les deux mots qui résument le mieux le bilan des six premiers mois de la présidence Sarkozy en matière de justice. C’est sans doute dans ce domaine que le projet de société réactionnaire qui est à l’oeuvre est le plus en pointe. Denis Kessler, ex-numéro 2 du Medef, organisation inspiratrice principale du nouveau pouvoir, écrivait récemment [1] : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » Et il ajoutait : « Le problème de notre pays est qu’il sanctifie ses institutions, qu’il leur donne une vocation éternelle. »

Il n’est donc pas étonnant que la reprise en main de l’institution judiciaire, au mépris du statut de la magistrature, soit une priorité des actuels gouvernants. C’est pourquoi il n’est pas aisé de savoir quelle est la plus dangereuse mesure prise ces derniers mois : des peines-planchers qui aboutissent au prononcé de peines d’emprisonnement démesurées en contraignant la décision judiciaire à la réforme à la hache de la carte judiciaire, qui se traduit par le sacrifice du service public de la justice d’instance, laquelle est la vraie justice de proximité, les exemples abondent de mesures faisant reculer les droits fondamentaux.

Mais le projet le plus caricatural de ce début de législature est sans doute la dépénalisation du droit des affaires. Celle-ci n’a pas été annoncée pendant la campagne présidentielle, mais lancée par Nicolas Sarkozy devant l’université d’été du Medef, le 6 septembre. Il faut dire qu’il s’agit de l’une des plus anciennes revendications de l’organisation patronale. Comme ministre de l’Intérieur d’abord, comme président de la République ensuite, Nicolas Sarkozy a oeuvré sans cesse dans le sens d’une extension continue du domaine de la punition à l’égard des plus vulnérables (familles suivies par les services sociaux, gens du voyage, étrangers...).

Par contre, Nicolas Sarkozy proclame une empathie déchirante à l’égard des dirigeants d’entreprise indélicats. Il revendique à leur profit un sanctuaire d’impunité dans un océan de répression et se fonde pour cela sur une vision pour le moins erronée de la réalité : « Une simple erreur de gestion peut conduire en prison », s’alarme-t-il, oubliant de préciser qu’une mise en cause pénale suppose que l’accusation prouve une intention frauduleuse, et que les condamnations pour infractions financières ne représentent que 0,8 % de l’ensemble des condamnations pénales. Qu’importe, c’est encore trop pour ceux qui verraient bien coexister une tolérance zéro pour le plus grand nombre et un risque zéro pour quelques privilégiés.

La garde des Sceaux s’y est attelée, elle a récemment installé un groupe de travail sur la « dépénalisation de la vie des affaires ». À cette occasion, elle a rappelé « les sages paroles du doyen Ripert, qui alertait contre une loi pénale excessive : à déclarer indignes tant de gens qui ne le sont pas, on affaiblit l’indignité de ceux qui le sont ». Rappelons que « le doyen Ripert » fut ministre de Pétain. « Adieu 1945 », disiez-vous ?

Hélène Franco est juge pour enfants et secrétaire générale du Syndicat de la magistrature.

Notes

[1] Challenges, 4 octobre 2007, article intitulé « Adieu 1945, rattachons notre pays au monde ».


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