Nous refusons de gouverner avec ce bloc de droite à la dérive.

mercredi 18 décembre 2024.
 

Jean-Luc Mélenchon a participé à une interview avec le journal italien « La Repubblica » et l’espagnol « El País » et leur deux journalistes en poste à Paris. « L’insoumission » publie ici pour les lecteurs la version française relue et validée par lui. Cela pour l’intérêt du sujet traité. Mais aussi pour éviter les traductions erronées1.

En juillet vous aviez prévu une crise politique qui se transforme en crise de régime. On y est ?

“Macron a dit avoir dissout l’Assemblée pour « clarifier » et pour éviter d’arriver sans majorité à la discussion du budget cette année. Depuis l’élection c’est pire pour lui. Sans majorité on savait qu’il irait mécaniquement à l’article 49.3 et que non moins mécaniquement, nous présenterions une motion de censure”. Nous l’avions fait 17 fois l’an passé sur le budget !

Avec l’appui des députés de Marine Le Pen.

“Macron dit ça pour faire de la polémique, pour nous nuire. En fait : notre motion de censure est un texte très dur contre l’extrême droite. De toute façon, il faut qu’il y ait deux blocs qui votent ensemble pour que quelque chose soit majoritaire. Aurait-on pu dire : nous demandons qu’on ne compte pas les votes de l’extrême droite ? Ça n’existe pas”. Il y a deux mois Le Pen n’a pas voté notre censure contre Barnier. Macron n’a pas refuse son abstention

Le Pen, qui avait promis en septembre la non censure au gouvernement Barnier, a-t-elle changé de stratégie après la demande d’inéligibilité dans son procès ?

“Demandez-lui ! De notre côté, nous n’avons cessé de répéter que c’est grâce à elle que le gouvernement Barnier tenait. Notre but était de dire aux milieux populaires : vous votez pour elle qui se présente contre le système, mais elle en fait partie. Ne l’ai-je pas qualifiée un jour “d’assurance vie” du système de Macron ?. En regardant les sondages, où plus de 60% voulaient la censure de Barnier, elle a fini par craquer”.

Est-ce que ce serait un risque pour la démocratie française si elle ne pouvait pas se présenter à l’Elysée à cause d’une condamnation judiciaire ?

“Qu’elle soit condamnée, si les juges estiment que la preuve a été faite, c’est dans l’ordre normal des choses. Mais il n’est pas acceptable que la peine s’applique avant même qu’elle ait pu faire appel. Mais c’est ce qu’a demandé le procureur de la République. Comme il agit d’après des consignes générales qui sont données par le gouvernement, Le Pen peut penser y voir une volonté de l’éliminer”.

En Italie ou en Espagne quand la donne politique est bloquée, les partis font des concessions et des compromis avec les forces politiques qui sont adversaires.

“Cette propagande qui répète sans arrêt que la gauche doit s’entendre avec la droite est dangereuse. Elle produit des gouvernements prêts à vendre leur âme au diable pour durer. Le résultat, on le connaît : c’est Meloni. Nous refusons de trahir nos électeurs pour des postes. Nous appliquons notre programme sans compromission. La démocratie, ce n’est pas le consensus ! Au contraire ! . Et quand vous organisez le consensus des partis “raisonnables” que peuvent faire les mécontents ? Ils n’ont plus qu’un seul bulletin de vote, celui de l’extreme droite. C’est ce qui est arrivé dans toute l’Europe. Pardon si je me fâche sur ce sujet mais sans notre opposition au libéralisme mon pays pourrait laisser gagner l’extrême droite”.

“Extrêmes irresponsables” a dit Macron sur vous et Le Pen.

“On est habitué à ces insultes. La censure est dans la Constitution. Ce n’est pas moi qui l’ai inventée. Ce n’est pas nous qui avons fait 1000 milliards de dette, qui avons créé le chaos dans ce pays. Il y a quelques semaines, Macron voulait encore envoyer des troupes en Russie. Et la France s’est fait chasser de toute l’Afrique. C’est ça le bilan de Macron. Et il exige des Français de trouver tout ça normal, d’être soumis, et de venir en rangs serrés l’acclamer à son retour de chez le roi d’Arabie Saoudite ? La France est plus riche que jamais de son histoire et son peuple est plus pauvre qu’il y a vingt ans. Nous vivons à nouveau avec des gens qui ont faim, qui ont froid. Il faudrait se taire et “rester sages ! Etre ” responsable” c’est traiter la cause du problème : lui. Il ne finira pas son mandat avec une censure tous les deux mois.

Dans le cas où le Parti socialiste arrive à un accord avec Macron pour faire un gouvernement, ce serait la fin du Nouveau Front Populaire ?

“Le nouveau Front populaire continuera sans eux. Nous refusons de gouverner avec ce bloc de droite à la dérive. Voyez comment ils insultent ceux qu’ils traitent de “français de papier !” Mon grand-père, maternel était espagnol de Valence. Son père avait choisi la France pour fuir la dictature. On le traitait de “français de papier”. On recommence ? Non ! Le peuple français ne doit plus jamais être trié par les origines ou la religion.

Vous avez discuté avec Olivier Faure des discussions pour le nouveau gouvernement ?

“Non, nous avons été mis devant le fait accompli. C’est une méthode extrêmement brutale, personnelle. Faure marche au bluff. Son parti a fait 1,67% aux élections présidentielles ! Mais il veut être premier ministre pour la gauche. Il a une surévaluation de lui-même qui s’accompagne de phrases souvent blessantes à mon égard. La “Grande Coalition” c’est le rêve de beaucoup de socialistes français depuis 40 ans ! Et là, ils s’y voient déjà avec quelqu’un comme François Bayrou premier ministre”.

Vous allez censurer le prochain gouvernement si il est soutenu par le PS ?

“Il yaura censure chaque fois qu’il y aura 49.3. On recommencera autant de fois qu’il faut. Nous ne soutiendrons aucun autre gouvernement que celui du Nouveau Front Populaire. Faure ne décide pas tout seul. Il passe son temps à essayer de contenter Hollande ou d’autres courant de son parti. Il y a une sorte de petite Quatrième République installé avec son camping au milieu de la Cinquième : c’est le Parti socialiste français”.

Donc pas de censure immédiate si un gouvernement de coalition gauche-droite ?

Je viens de dire le contraire ! “A partir du moment où il n’y a pas de majorité, il est certain qu’il y aura un 49.3 sur le budget. Il est donc certain que nous demanderons une censure. Et, comme cette fois ci, un jour ou l’autre, nous ne serons plus seul pour la voter. Peu importe qui vote avec nous. Et donc je vous répète : inéluctablement le président Macron finira par s’en aller. Il ne peut pas tenir 30 mois en nommant un gouvernement Barnier tous les 3 mois”.

Macron a expliqué qu’il ne partira pas avant 2027.

“Il n’a jamais cessé de faire autre chose que ce qu’il avait annoncé. Il avait dit qu’il ne ferait pas de dissolution, il l’a fait. Et ainsi de suite. C’est normal qu’il dise qu’il veut rester. Mais où trouve-t-il une majorité de 289 députés pour faire passer le prochain budget ? Sans cela il y aura a nouveau un 49.3, et a nouveau notre motion de censure et un autre gouvernement tombera.

Dans la politique française, l’élection centrale c’est la présidentielle. Le suffrage universel doit donc mettre de l’ordre politique. Et ça ne peut se faire sans changement de président de la République. D’autres l’ont compris. Faute de soutien Populaire le général de Gaulle a démissionné”.

Le pari des négociations en cours c’est qu’avec le soutien des députés socialistes, vos voix plus celle de Le Pen ne suffisent plus pour faire tomber le prochain gouvernement.

“Je le sais. Ce qui ne changera pas, c’est notre attitude. Pour les libéraux, le projet démocratique ce n’est plus la priorité. Sa priorité, c’est le projet libéral, avec le marché privé qui occuperait l’espace occupé autrefois par le public. En Italie c’est peut-etre possible mais la France a construit son économie et sa manière de vivre autour de l’Etat. Pour nous, toute crise de l’Etat devient une crise de la société. Les libéraux sont la menace extrémiste anti-démocratie. C’est comme ça qu’on est arrivé à l’assaut de Capitol Hill”.

Trump est un allié ?

“C’est plutôt une menace qu’un allié. Il menace l’industrie européenne a coup de nouvelles barrières douanières, il veut nous inféoder. Il y réussit d’ailleurs parce que sur 35 pays à qui il a demandé de porter leur niveau de dépenses militaires à 2 % de leur PIB, il y en a déjà 29, je crois, qui l’ont fait. Et, comme c’est dans le cadre de l’OTAN, les USA demandent qu’on achète du matériel interopérable, donc américain. C’est une sorte d’impôt qu’il prélève sur le reste du monde par une économie de guerre. Les Etats-Unis sont un pays violent : sur 230 années d’histoire, ils ont 229 années de guerre. Et Trump est un personnage ami du recours à la force”.

La France n’a pas de budget, la crise économique et sociale s’aggrave. Est-ce que vous ne devriez pas proposer quelque chose de plus constructif ?

“D’un point de vue des finances publiques, il va y avoir une loi spéciale qui va permettre de percevoir l’impôt. La censure est une très bonne nouvelle pour plein de gens qui ne subiront pas les coupes prévues par le budget Barnier. Nous sommes constructifs : nous avons fait passer cent cinquante six amendements sur le budget de l’État avec des mesures financées pour le ramener en dessous de 3 % de déficit. Barnier a tout annulé. L’enjeu de la bataille, c’est de savoir si les plus riches de ce pays vont participer à l’effort qu’il faut faire. Nous avons fait des compromis à l’Assemblée et nous avons joué le jeu parlementaire entre les fascistes d’un côté et les centristes qui souvent ont été absents car ils sont en pleine débandade politique . Ce n’est pas nous qui avons choisi le coup de force du 49.3. Nous avons à faire à une classe dominante cupide et bornée et c’est nous qu’on accuse de créer le chaos”.

La démission de Macron aggraverait la crise si on ne peut pas convoquer de nouvelles législatives avant l’été 2025.

“ Pas du tout. Il reste possible d’organiser des élections dans la foulée. Divers procédés le permettent dans la Constitution. Je suis très triste de voir cette propagande incessante des milieux officiels comptant sur la peur du suffrage universel. Mais nous ne sommes plus le seul à demander la démission de Macron. Le président de l’Union des maires en France l’a demandé aussi, ainsi que des personnalités de droite. Peu a peu tout le monde comprend que la seule issue démocratique c’est le départ de Macron”.

Vous seriez prêt pour la présidentielle ?

“Notre Mouvement est en bon état de marche. Le groupe parlementaire est très apprécié. Nous avons environ 4000 structures de base très actives sur le terrain. Elles préparent la collecte des parrainages pour la présidentielle. Le programme vient de terminer sa quatrième réactualisation. Donc nous sommes prêts”.

C’est vous le candidat de la France Insoumise ?

“On n’a pas encore décidé. C’est une procédure collective de désignation, bien qu’on veuille faire croire que je décide de tout seul et que tous mes amis sont juste des marionnettes. Nous avons la chance d’avoir plusieurs candidats et candidates possibles. Quant à moi, je suis déjà le paratonnerre pour mes camarades. C’est sur moi que tombe sans cesse la foudre des critiques”.

Vous êtes fasciné par l’esprit révolutionnaire ?

“Fasciné n’est pas le bon mot. Je suis un intellectuel auteur de 22 livres capable de raisonnement, pas seulement d’être impressionné et fasciné. Et je sais que la France n’a jamais su réformer ses institutions politiques sans passer par de grands événements. Quel autre pays en Europe en deux siècles a fait tombé quatre rois, deux empereurs et est passé par cinq Républiques ? Il n’y a pas un seul exemple dans l’histoire de France qui montre une transition apaisée et maîtrisée. Nous sommes à nouveau dans une conjonction de crises . Pour éviter le pire les Insoumis proposent la convocation d’une Assemblée Constituante et le passage à la sixième République. C’est ça notre “Revolution citoyenne”. Il faut changer nos institutions politiques pour correspondre à notre temps, à la nouvelle France actuelle”.

Est-ce que, Président, vous seriez allé à Notre-Dame ?

“Oui. Je suis un ardent laïque mais j’ai pleuré quand Notre-Dame a brûlé. C’est une œuvre qui n’appartient pas qu’aux Français, mais à l’humanité entière”.

Ce pari, Macron l’a réussi.

“Il a été de la partie. Mais c’est surtout une œuvre collective qui montre le talent français. Il y a eu des ouvriers, des compagnons extraordinaires, des bénévoles, des donateurs. J’ai hâte d’aller voir la cathédrale rénovée”.

Un exemple de cette façon de faire, dans le Huffington post. Voici d’abord mon texte. Question : « Dans le cas du Parti socialiste arrive à un accord avec Macron pour faire un gouvernement, ce serait la fin du Nouveau Front Populaire ? Réponse :« Le Nouveau Front populaire continuera sans eux. Nous refusons de gouverner avec ce bloc de droite à la dérive ». Traduction du Huff : « Je ne négocie pas avec l’Élysée. Si les socialistes trahissent les pactes, notre alliance est brisée ». Pas un mot de la réplique qui m’est attribuée n’existe dans mon propos réel ! ↩︎


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message