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Si critiques envers le rôle d’Elon Musk dans l’élection de Trump, les autorités françaises restent passives face à l’offensive de Vincent Bolloré. Les dernières élections législatives comme le financement du livre de Jordan Bardella montrent pourtant que le système de contrôle est dépassé.
https://www.mediapart.fr/journal/fr...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20241109-180504&M_BT=1489664863989
Il a joué un rôle si important dans la campagne que Donald Trump lui a consacré un cinquième de son discours de victoire. Pendant près de quatre minutes, sur vingt au total, le nouveau président états-unien a célébré Elon Musk. « Il est formidable, on a fait campagne ensemble. Il a envoyé une fusée la semaine dernière, je l’ai vue revenir, c’était sublime. La tour a attrapé la fusée comme un bébé. Seul Elon est capable de faire ça, c’est pour ça que je t’aime, Elon », s’est notamment enthousiasmé un Donald Trump euphorique.
Pour l’aider à reconquérir le pouvoir, le fondateur de Tesla et SpaceX a mis sa puissance financière au service du candidat suprémaciste (il a injecté près de 200 millions de dollars), organisant même une loterie « illégale » pour les électeurs et électrices de Pennsylvanie, ainsi que son arsenal industriel, à commencer par son puissant réseau social X (ex-Twitter), dont Trump avait été banni en 2021, qui a submergé le débat public de fake news.
« Une star est née : Elon ! », s’est félicité le prochain président dans son discours. Pendant la campagne, il avait annoncé sa volonté de faire de Musk un éminent membre de son administration, auquel il compte confier la responsabilité de couper à la hache dans les dépenses publiques. Présent au QG trumpien de Mar-a-Lago (Floride) avec son fils, le milliardaire – redevenu l’homme le plus riche du monde en mai 2024, et qui a su se rendre indispensable pour l’armée américaine – a posté un premier message « Jeu, set et match » à l’annonce des résultats, avant de publier un photomontage de lui dans le bureau Ovale, puis d’annoncer à sa communauté : « Vous êtes le média, maintenant. »
Au même moment, à Paris, le ministre des affaires européennes est reçu sur France Inter. Inconnu du public, Benjamin Haddad est le premier membre du gouvernement Barnier à réagir aux résultats de l’élection états-unienne. Interrogé sur la possibilité qu’ici aussi des richissimes hommes d’affaires mettent ouvertement la main sur les prochains scrutins, le ministre se montre sûr de son fait.
Pour Benjamin Haddad, la France est totalement protégée de ce phénomène, et ce pour deux raisons. D’abord, « on a un modèle de régulation, de responsabilisation des plateformes sur la haine en ligne et la désinformation. On a un marché unique qui fait que cela s’impose, y compris aux entreprises américaines qui viennent investir en Europe ». Peu importe si cette affirmation est largement contestée : il suffit d’ailleurs de constater l’explosion, en France, des contenus racistes, misogynes, transphobes, climatosceptiques, etc., depuis le rachat de Twitter par Musk pour s’en convaincre.
Ensuite, d’après le ministre, les règles électorales françaises sont suffisamment robustes pour éviter toute emprise du privé. « Je me réjouis d’ailleurs de constater que nos règles de financement de la vie politique et de la vie électorale ne sont pas les mêmes en France, et qu’on a des règles très strictes sur l’argent que les milliardaires pourraient donner dans la vie politique. »
Ce second constat est là encore démenti par les faits. D’abord parce que le contrôle du financement des campagnes est si défaillant en France que l’intégralité des dernières élections présidentielles a été émaillée de scandales. Benjamin Haddad devrait d’autant plus le savoir qu’il a débuté sa carrière dans les rangs de l’UMP, un parti tellement lesté d’affaires qu’il a dû changer de nom, dont il avait été désigné secrétaire national en 2011 (année où explose le scandale des financements libyens de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, en même temps que se met en place le système de double facturation Bygmalion pour la campagne à venir, en 2012).
Malgré la répétition des affaires et les constats d’impuissance de Jean-Philippe Vachia, président de la Commission des comptes de campagne (CNCCFP), l’organe chargé du contrôle, le Parlement a toujours refusé de prendre ce problème à bras-le-corps. Une passivité que rien ne permet de troubler, pas même le déroulement des élections législatives anticipées de juillet, au cours desquelles la cote d’alerte a pourtant été largement dépassée.
À cette occasion, l’opération menée par les antennes du groupe Bolloré a en effet constitué un précédent : même si les grands groupes ont toujours pesé de tout leur poids sur les campagnes et cherché à façonner le débat public, jamais jusqu’ici l’un d’entre eux ne l’avait fait aussi ouvertement, de manière si assumée, décomplexée, dans l’espoir de permettre l’accession au pouvoir de l’extrême droite.
Dans un nouvel avis publié le 31 octobre, le gendarme de l’audiovisuel, l’Arcom, a une nouvelle fois sanctionné l’animateur Cyril Hanouna, à qui Vincent Bolloré a donné carte blanche pendant la campagne, pour avoir joué « de manière délibérée l’entremetteur » en vue de « favoriser » les discussions entre les partis d’extrême droite. Le présentateur de « TPMP » avait appelé en direct son ami Jordan Bardella, chef de file du Rassemblement national (RN), pour qu’il noue une alliance avec le parti Reconquête d’Éric Zemmour, autre candidat sponsorisé par Bolloré. Déjà, pendant la campagne, l’Arcom avait été contrainte de mettre en demeure la radio Europe 1 (autre média du groupe Bolloré) pour le manque de « mesure » et « d’honnêteté » de Cyril Hanouna à l’antenne.
Le FN ne s’était-il pas tourné, dès la première élection de Trump, vers l’idéologue raciste Steve Bannon, qui préconisait « d’inonder la zone [l’espace médiatique] de merde » ?
Mais si elle a marqué un tournant, l’implication dans la campagne du groupe Bolloré, au vu et au su de tout le monde (après avoir déjà fait des élections en Afrique), a été bien peu commentée par toutes celles et ceux aux responsabilités en France qui, pourtant, s’inquiètent de l’avènement d’un tel phénomène outre-Atlantique. Malgré l’urgence de la situation, aucune proposition de réforme n’a été mise sur la table. Alors même que la sortie du prochain livre de Jordan Bardella, édité et promu par les rhizomes du groupe Bolloré, va constituer une nouvelle preuve éclatante, à compter de son arrivée en librairie le 9 novembre, de l’impossibilité de stopper ce rouleau compresseur avec les moyens actuels.
Dans un entretien au Parisien, le président du RN a reconnu sans ambages, le 27 octobre, que la sortie de son livre, et les moyens considérables qui y sont associés, « fait partie de la campagne permanente » du Rassemblement national. Pourtant, en France, faut-il le rappeler, les entreprises n’ont en théorie pas le droit de financer des campagnes électorales ou les activités de partis politiques. Mais la loi et les organes de contrôle ne sont pas calibrés pour faire face à un milliardaire qui, plutôt que de verser directement de l’argent à un candidat, mobilise les canaux d’information qu’il contrôle à son service.
L’article L.52-12 du code électoral précise par exemple que « l’accord du candidat est nécessaire pour l’engagement des dépenses pour son compte ». Ce qui veut donc dire qu’il suffit aujourd’hui aux responsables du RN de déclarer que les antennes de l’empire Bolloré ont fait campagne pour l’extrême droite de manière autonome et spontanée, sans accord préalable, pour s’en sortir. Interrogé sur cette situation, le président de la CNCCFP reconnaît en creux la possibilité d’un vide juridique sur le sujet.
« Il appartient au législateur de prendre en considération, si nécessaire, les évolutions des pratiques, qu’il s’agisse du développement des campagnes de toute nature sur les réseaux sociaux ou des interventions sous de nouvelles formes de personnes morales tierces dans les campagnes électorales dans des conditions qui ne sont pas aujourd’hui appréhendées par la législation », explique en effet Jean-Philippe Vachia à Mediapart.
Leur parcours, leur modèle industriel, leur projet politique : beaucoup de choses distinguent un Elon Musk d’un Vincent Bolloré. Mais souligner les différences entre les États-Unis et la France présente aussi le risque d’oublier l’essentiel : les mouvements de convergence des extrêmes droites à l’échelle mondiale ne sont pas seulement idéologiques, ils sont aussi stratégiques.
Le Front national ne s’était-il pas tourné, dès la première élection de Trump, vers les conseils de son chef d’orchestre, l’idéologue raciste Steve Bannon, qui préconisait « d’inonder la zone [l’espace médiatique – ndlr] de merde » ? « Le combat métapolitique mené par Elon Musk dépasse le combat électoral, insistait à la veille du scrutin américain le militant identitaire Damien Rieu, spécialiste de la mobilisation sur les réseaux sociaux. Si on le transpose à la France, Musk, c’est une sorte de Bolloré sous anabolisant, parce qu’il a encore plus de moyens, plus de forces. »
Antton Rouget
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