Trump Harris, on peut faire mieux (JL Mélenchon)

mercredi 13 novembre 2024.
 

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L’actualité internationale aujourd’hui est dominée par les élections aux États-Unis. Cette élection ne se passe pas comme chez nous, puisque les États-Unis sont un État fédéral. Ce pays est donc composé de plusieurs États et l’élection présidentielle se déroule selon un scrutin indirect. Les électeurs votent non pas pour un candidat, mais pour des délégués. Ces derniers se réunissent ensuite dans un Collège électoral, pour élire le président des États-Unis. Chaque État n’a pas le même nombre de sièges dans ce collège électoral. On connaît un peu à l’avance le résultat, parce qu’on connaît les traditions politiques de chaque État, toujours démocrate ou bien toujours républicain. Dès lors, la décision se joue dans quelques États, les swing states c’est-à-dire les États « pivot ».

Un tel système est un parfait étouffoir de la volonté démocratique d’un peuple. Tous les Américains se remettent finalement à la décision de quelques États dont les voix font la différence entre les deux candidats. Ce n’est pas très démocratique. La décision est prise finalement par très peu de gens, de façon délibérée. Par ailleurs, l’argent fait tout. Les versements de dons financiers privés sont sans limites. Les entreprises peuvent y participer et il n’y a pas vraiment de limites aux sommes qui peuvent être données. En France, c’est le contraire. Personne ne peut donner plus de 7 500 euros à un parti. Les entreprises n’ont pas le droit de le faire, ni les associations. Néanmoins, Macron a pu être aidé par McKinsey sans qu’un seul juge ne s’en émeuve. Aux USA, il y a aussi un biais terrible dans l’élection présidentielle du fait du système fédéral. Il arrive qu’un candidat gagne au vote populaire total, en nombre de voix, mais perde l’élection au vu du nombre de délégués qui le soutiennent. Un tel scénario est arrivé pour Mme Clinton face à Donald Trump la fois où celui-ci fut élu, en 2016. Dès lors, il est faux de dire que Harris pourrait perdre à cause des « petits candidats ». Car oui, il y a d’autres candidats dans cette élection, dont on ne parle jamais. Le système tout entier est fait pour que, in fine, l’on aboutisse à un choix réduit à deux candidats.

Quand les deux candidats disent la même chose, c’est un étouffoir. Impossible de parler d’un autre sujet, que l’un des deux candidats n’aurait pas évoqué. Par exemple : le génocide en cours contre la population palestinienne et l’invasion en cours contre la population libanaise. C’est un problème qui fait réagir le monde entier, qui fait réfléchir tout le monde. Mais aux États-Unis d’Amérique, Trump ou Harris, assument le génocide. L’actuel gouvernement Biden est Démocrate, mais il livre les armes et donne des crédits à Netanyahu. Ils lui fournissent près de 70 % de leurs armes  ! Le tout, en faisant de temps à autre des déclarations d’une hypocrisie totale, disant qu’il faut assurer l’accès de l’aide humanitaire contre le génocide et la destruction qu’ils financent. Monsieur Trump et madame Harris, sont d’accord avec le génocide et apportent un soutien inconditionnel, exprimé avec plus ou moins de délicatesse, au gouvernement de Monsieur Netanyahu.

Ils sont aussi d’accord sur la façon de traiter le capitalisme. Ils sont d’accord pour ne pas taxer les super-bénéfices des entreprises. Ils sont d’accord pour ne rien faire dans le domaine de la santé publique, etc. Bien sûr, les deux parlent un peu différemment de l’écologie parce qu’au moins les démocrates sont d’accord pour reconnaître qu’il y a un problème. Cependant, madame Harris s’est vantée du fait qu’ils ont eu un très beau rendement dans l’industrie pétrolière sous le gouvernement de monsieur Biden.

Il n’y a de place pour parler de rien d’autre que de quelques sujets limités. C’est pourquoi les campagnes électorales aux États-Unis deviennent obligatoirement des batailles de personnes, des batailles d’insultes. Alors évidemment, il y a beaucoup de choses que nous reconnaissons parce qu’on les a aussi chez nous. Je m’amuse de lire dans la presse que la bataille « est trop personnalisée aux États-Unis », que « les arguments sont rudimentaires », que les instituts de sondage se trompent tout le temps  ! Ce n’est pas le cas chez nous  ? Oui aussi, il y a des discours dominants plus que rudimentaires, au moins comparables à ceux de monsieur Trump contre l’immigration. Chez nous aussi, il y a des discours racistes au moins égal à celui de monsieur Trump. Chez nous aussi, les instituts de sondage sont une mauvaise plaisanterie qui se trompe tout le temps et faussent les intentions de vote qu’ils prétendent décrire. Dans tous les cas, il y a une projection du système américain sur le système français. Kamala Harris et le parti démocrate, c’est le PS et le journal Le Monde, Donald Trump, c’est le RN et Ciotti et le journal Le Figaro.

En ce moment, on nous met tous au pied du mur à propos des USA. Hier matin, j’ai regardé les matinales. Il y avait deux insoumis invités : Mathilde Panot sur France 2, Manuel Bompard sur Public Sénat. À tous les deux, on leur demandait de prendre position : Trump ou Harris. Pourquoi pas ? Je le rappelle néanmoins : nous ne sommes pas électeurs aux USA. Si on prend position, c’est pour dire ce que l’on défend en général en politique. Qu’y a-t-il de prioritaire pour nous dans cette élection  ? La campagne électorale a été réduite à peu de choses. Elle n’offre de choix sur aucun des grands problèmes posés dans la vie quotidienne des Nord-Américains ni dans la vie des peuples que les USA dominent et dont la réponse est dans la critique du système capitaliste. L’inflation y frappe les revenus des plus pauvres et les ronge au moins autant qu’en Europe et au moins autant qu’en France. De cela, on ne parle pas. On ne parle pas non plus de ce qui va être fait dans toutes les zones ouvrières où il n’y a plus d’usines, où tout le monde a été licencié, tout a été liquidé. Et que va-t-on faire après ? On ne sait pas, sinon que les deux, Trump et Harris sont pour des droits de douane pour rendre possible le redéploiement de leur industrie. Naturellement, ils ne peuvent pas y arriver. En tout cas, pas pour arriver au niveau qui leur permettrait d’être dans une compétition de marché avec la Chine. C’est la raison pour laquelle l’un et l’autre sont anti-chinois. Un dirigeant démocrate a été loin sur le sujet : « il n’y a pas de solution de marché dans la compétition avec la Chine ». Autrement dit, l’un et l’autre sont pour la guerre.

Je viens de faire la liste montrant comment les deux sont d’accord sur les points essentiels auxquels nous sommes très opposés. Je lis que madame Harris est « le moindre mal » par rapport à monsieur Trump. Je ne suis pas d’accord avec ce type de morale. Le moindre mal, c’est toujours le mal. Et comme disait Hannah Arendt : « ceux qui font le choix du moindre mal oublient qu’ils ont choisi le mal ». J’ajouterai volontiers que madame Harris en se montrant aussi complice du génocide et aussi « pro-capital » est responsable de son recul dans les milieux populaires des « Swing states ».

Il est certain qu’il y a une différence fondamentale entre les deux sur une liberté individuelle fondamentale. Monsieur Trump est contre le droit à l’interruption volontaire de grossesse, madame Harris défend ce droit. C’est une différence de fond. Ce n’est pas une différence de détail parce que ça concerne la liberté individuelle de la moitié du genre humain, c’est-à-dire toutes les femmes. C’est une différence fondamentale. Si j’étais aux États-Unis d’Amérique, cela pèserait de manière décisive dans ma décision de vote.

Ils sont similaires, mais ne sont pas identiques. On peut penser qu’on souhaiterait que madame Harris gagne. Sur le fond, ça ne changera pas grand-chose, sinon qu’il y aura un plus grand tumulte aux États-Unis d’Amérique parce que monsieur Trump ne reconnaîtra pas sa défaite. Pour nous, c’est plutôt une bonne chose. Parce que si les États-Unis d’Amérique sont en dispute avec eux-mêmes, ils lâcheront peut-être prise sur le reste du monde, ils cesseront de vouloir se mêler de tout, partout, et de soutenir partout les régimes détestables comme celui de monsieur Netanyahu et d’autres dans le reste du monde, notamment dans la zone Asie-Pacifique

Si j’étais électeur dans un état « swing state », c’est-à-dire état au résultat incertain entre démocrate et républicain, je voterai démocrate. Mais si j’étais électeur dans un État démocrate où la majorité est acquise, ça ne sert à rien de rajouter des voix aux démocrates. Pourquoi  ? Parce que ça ne changera pas le nombre de délégués démocrates qui iront au collège électoral élire le président. En revanche, cela peut être utile pour rompre l’étouffoir, et là j’y réfléchirai. Si j’étais dans ce type de situation, c’est-à-dire dans un État où la majorité démocrate est assurée, je pense que je voterai Jill Stein. Je voterai vert. Parce que le programme des Verts américain est extrêmement proche de celui des insoumis. Je vous propose un résumé rapide pour que vous vous en rendiez compte. Mais d’abord, on rappellera une règle : on vote pour un programme, pas seulement pour une personne. Bien sûr, il faut que la personne soit à la hauteur du programme. Mais on vote d’abord pour un programme.

Voici ce que proposent les Verts nord-américains et que ne propose pas madame Harris ni monsieur Trump. Gratuité de l’enseignement public tout au long de la vie, comme les insoumis. Abolir la dette étudiante et les dettes médicales, comme les insoumis. Renforcer la Sécurité sociale qui n’existe pas chez eux, comme les insoumis. Taxer lourdement les grandes fortunes et les grandes entreprises… C’est ce que nous venons de voter à l’Assemblée nationale, nous les insoumis et le Nouveau Front populaire. Hausse du salaire minimum indexé sur l’inflation et la croissance de la productivité, comme les insoumis le proposent à chaque session parlementaire. Revenu vital garanti au-dessus du seuil de pauvreté, comme les insoumis. Garantir le logement en tant que droit humain, comme les insoumis. Confier l’industrie pharmaceutique à la propriété publique et au contrôle démocratique. Comme les insoumis. Remplacer le système bipartite d’exclusion par une démocratie multipartite. On s’en est chargé, et on l’a fait d’inclusion par le biais du vote préférentiel et de la proportionnelle, comme nous le proposons nous-mêmes. Représentation proportionnelle pour toutes les élections législatives, comme les insoumis. Abolir la peine de mort, chez nous, c’est fait ! Garantir les libertés de genre, comme les insoumis. Réduire les flux migratoires en mettant fin aux crises qui poussent les gens à émigrer, c’est-à-dire quasiment mot pour mot ce qu’il y a dans le programme insoumis.

Concernant la planète, déclarer l’urgence climatique, c’est ce que nous avons proposé par un texte de loi en 2019. 100 % d’énergies renouvelables, propres, zéro de carbone d’ici à 2035. Socialiser les grandes entreprises agroalimentaires et démanteler les oligopoles d’entreprises, comme les insoumis. Interdire l’utilisation des pesticides, des herbicides, des néonicotinoïdes et de tous les autres agents cancérigènes ou neurotoxiques connus, comme les insoumis.

Quant à la paix, écoutez les Verts américains. Ils demandent une politique étrangère fondée sur la diplomatie, le droit international et les droits humains. Réduire les dépenses militaires de 50 75 %, ce sont des Américains qui parlent ! Fermer la majorité de plus de 700 bases militaires américaines à l’étranger, comme les insoumis le proposent. Prendre la tête du désarmement nucléaire mondial, comme nous. Dissoudre l’OTAN ! Et remplacer par un cadre de sécurité moderne et inclusif qui respecte les intérêts de sécurité des nations et des peuples.

Donc je pense que si j’étais un militant politique aux Etats-Unis d’Amérique, je m’occuperais de briser l’étau du bipartisme avec deux partis qui racontent la même chose et qui, au fond, ne divergent que sur un point certes fondamental, mais qui pour tout le reste, sont d’accord et interdisent qu’on propose, qu’on veuille autre chose.

La candidate des verts s’appelle Jill Stein. Et il y a une divergence entre les Verts des États-Unis et les Verts en Europe. Dont les Verts français, qui sont plutôt discrets quand il s’agit d’international. La preuve, ils ne disent rien sur les propos génocidaires de la ministre verte en Allemagne. On ne peut pas leur reprocher, ils sont français, non pas allemand. Mais eux passent leur temps à nous reprocher des choses que nous ne disons pas à propos de la Russie, je dirais que par malice, certes un peu piquante, je m’empresse de rappeler que c’est bien un ministre des Affaires étrangères allemand qui a en quelque sorte amnistié le génocide en disant que parfois on n’y pouvait rien parce que les terroristes se cachaient au milieu de la population. Donc voilà, pour elle, ça lève les interdits de bombarder les populations civiles, femmes et enfants compris.

Les Verts européens ont donc dit qu’il faut que Stein retire sa candidature parce que ça pourrait faire perdre madame Harris. Je me permets de dire qu’ils n’ont pas dit la même chose quand j’étais loin devant dans les élections présidentielles, et eux loin derrière. Ils n’ont pas dit : “on se retire pour garantir quelqu’un de gauche au deuxième tour”. Donc ce sont des conseils pour les autres, pas pour eux-mêmes. Mais après tout, pourquoi pas. Et ils ont des arguments. Ils disent : « les guerres font rage et l’autoritarisme se développe dans le monde entier. En ce moment crucial, l’Europe a besoin de Kamala Harris en tant que présidente des États Unis pour être un partenaire fiable et pour prendre les mesures urgentes décisives qui s’imposent face à la crise climatique et pour instaurer une paix juste et durable au Moyen-Orient. »

Alors je veux bien entendre que monsieur Trump soit belliciste, mais Harris l’est tout autant ! Il n’est pas vrai que l’Europe ait « besoin de madame Harris pour avoir une paix juste et durable au Moyen-Orient, » vu que madame Harris soutient le gouvernement de monsieur Netanyahu. Et il n’est pas vrai non plus que ce serait « un partenaire fiable pour prendre les mesures urgentes et décisives qui s’impose face à la crise climatique », parce que les Etats-Unis d’Amérique n’ont pas l’intention de décarboner leur économie, n’ont pas l’intention d’arrêter d’utiliser du pétrole et d’en extraire à qui mieux mieux,. Par contre, c’est l’équipe de Joe Biden comme celle de Trump qui propose de mettre des droits de douane sur toutes sortes d’activités productives des Européens ! Donc, pour nous, il n’y a pas de différence entre Harris et Trump en tant qu’Européen.

Je me sentais obligé de vous dire cela parce que c’est une position qui m’appartient sur ce sujet. Ce n’est pas celle de nos partenaires du Nouveau Front populaire qui ne voient pas la nuance que je viens de mettre à propos du vote américain. Pour être complet je dois dire aussi que les Verts américains ont répondu aux Verts européens. « Plutôt que de déclarer ça dans la presse, pourquoi vous n’en avez-vous pas parlé avec nous ? Je crois que vous vous n’avez pas compris. Stein n’avait pas l’intention de voter pour l’un ou l’autre des candidats des grands partis. Madame Stein et le Parti vert bénéficient du soutien d’américains, révoltés par l’aide militaire apportée par les États-Unis au nettoyage ethnique et à l’extermination des civils de Gaza par Israël en grande. Les refus de voter pour tout candidat qui favorise une aide accrue au génocide ou qui hésite à appeler à un cessez-le-feu immédiat, ce qui décrit à la fois Kamala Harris et Donald Trump », dit le communiqué des Verts américains. Les Verts américains disent avoir « été consternés par le silence ou la complicité des Verts européens face aux politiques d’apartheid d’Israël, à l’occupation illégale des terres palestiniennes et aux atrocités commis à Gaza qui s’étend maintenant à la Cisjordanie et au Liban ». Cette question est manifestement absente de leurs récentes déclarations sur les élections américaines.

En toute hypothèse, les Etats-Unis d’Amérique sont un pays bien plus fracturé et disloqué qu’on peut le croire vu de très loin. Et si ce pays est fracturé et disloqué, ce n’est pas à cause de la grossièreté des propos qui sont échangés dans la campagne. Cette grossièreté est le résultat du fait que les candidats disant la même chose sur l’essentiel des sujets, ils ne peuvent s’affronter qu’à travers des qualificatifs personnels. Et si les deux disent la même chose, c’est parce que les deux défendent le même ordre du monde, la même présence de l’OTAN partout, la même domination sur le monde, la même agressivité à l’égard de tout ce qui leur résiste. Pourquoi avec cette force et avec cette violence ? Parce qu’ils défendent un système qui a explosé la société des États-Unis d’Amérique. La société des États-Unis d’Amérique vaut mieux que les personnages politiques qui la représentent. Et un jour ou l’autre, la réalité populaire de masse de la base nord américaine telle qu’elle est dans les moments où elle se mobilise pour des grandes causes, vous la verrez réapparaître. Mais la population nord-américaine aujourd’hui est travaillée en profondeur par l’extrême droite, comme le sont les opinions en Europe, notamment partout où il n’y a pas la possibilité d’exprimer un autre point de vue que celui des deux partis qui bloquent tout le paysage. Comme c’est le cas dans la plupart des pays d’Europe. Sauf en France, où nous avons, nous, la possibilité, en votant pour le Front populaire et plus particulièrement pour les insoumis, de développer une toute autre vision du monde.

Rappelez-vous de ça ! Parce que c’est votre bien, ce qui vous appartient : la possibilité de voir un point de vue politique représenté dans les élections. Parce que s’il a pu être représenté, monsieur Trump fait partie de ces nombreux politiciens dans le monde maintenant qui acceptent le suffrage universel à condition qu’il lui donne raison. C’est ce qui s’est passé au Japon puisque le Premier ministre refuse de s’en aller alors qu’il a perdu les élections. C’est ce qui s’est passé en France où monsieur Macron refuse de s’en aller alors qu’il a perdu les élections à trois reprises. Telle est l’ère qui s’est ouverte avec l’invasion du capitole par les trumpistes à la précédente élection. Le capitalisme a abandonné le projet démocratique.


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