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Pour vivre en sécurité et installer la paix, Israël n’a pas besoin d’armes, mais plutôt de l’amitié du peuple palestinien, aussi bien que de celle de tous les peuples du Moyen-Orient
Si les révolutions arabes n’avaient pas été écrasées dans le feu et le sang, les peuples arabes auraient dit aux dirigeants israéliens qu’il est impossible de construire leur pays sur un fantasme, celui d’éliminer ses habitants dans le but de posséder leur terre, leur mer et leur ciel. Ils auraient rappelé aux Israéliens que les Palestiniens qui sont là depuis des siècles, continueront à résister pour défendre chaque pierre, chaque arbre, chaque goutte d’eau et chaque parcelle de terre qu’ils peuvent encore sauver. Ils auraient répété que les Palestiniens ne résistent pas pour Hamas, ni pour Abbas, qu’ils ne sont ni des moutons, ni des boucliers humains, ni des terroristes, mais des consciences qui n’ont plus rien à perdre sauf leur histoire, leur mémoire, leurs souvenirs et leur dignité, c’est pourquoi ils enterrent quotidiennement leurs morts en pleurant, mais refusent de partir…
Partir où, d’ailleurs ? En Egypte, dirigée par un minotaure sanguinaire qui tout en prétendant appartenir à une branche mystique de l’Islam, s’emploie à liquider tous ses opposants, frères musulmans ou pas…
Partir en Syrie, chez l’autre prédateur qui invite ses semblables à partager avec lui un festin unique, celui de l’ « homogénéité ». En effet, un clan ne peut survivre que s’il reproduit des spécimens identiques, tout comme les rhinocéros qui se multiplient à l’infini dans la fameuse œuvre d’Eugène Ionesco.
Si toutes les révolutions arabes n’avaient pas été écrasées dans le feu et le sang, aujourd’hui les peuples arabes auraient été dans les rues pour hurler : « Un seul bain de sang à Gaza et dans les territoires occupés n’est-il pas suffisant ? Fallait-il le nourrir par un autre, celui du Liban ? » Ce beau pays, toujours debout, avec son peuple qui ne cesse de panser fièrement ses blessures depuis la fin des années 70.
Les raccourcis sont simples, bien entendu, lorsque Israël oublie ses crimes depuis 1948 et assimile aujourd’hui Gaza et les territoires occupés à Hamas et Sinouar et le Liban à Hezbollah et Nasrallah.
Si les peuples arabes n’étaient pas assiégés par leurs propres dirigeants, ils auraient dit au peuple israélien que le vivre-ensemble ne pourrait jamais se faire dans l’hostilité, ni se construire sur la haine et le rapport de force. Que le 7 octobre n’est pas un acte antisémite comme certains journalistes se plaisent à le répéter, mais un symptôme, criminel certes, commis par des colonisés contre leurs colonisateurs.
Ces vilains symptômes que nous haïssons, nous en avons vu des similaires commis par des résistants français contre l’envahisseur allemand et des résistants algériens contre le colonisateur français. Tous ces actes ne sont pas des méfaits terroristes, mais des crimes de colonisés contre leurs colonisateurs qui s’emploient jour après jour à les déshumaniser en les privant de leurs droits inaliénables.
Le 6 octobre 2024, Carine Fouteau, dans son article publié sur Mediapart et intitulé Gaza : silence coupable, résonnance coloniale, n’écrit-elle pas : « Alors que la guerre s’étend au Liban, les sociétés occidentales restent trop passives face au massacre des Palestiniens pour contraindre leurs dirigeants à sanctionner Israël, comme si elles refusaient de voir leurs propres crimes dans le miroir de la colonisation que leur tend Israël ».
Si les révolutions arabes étaient soutenues dans leur aspiration comme a été soutenu le changement inespéré dans les pays de l’Europe de l’Est, nous n’aurions pas seulement échappé aux tragédies syriennes, égyptiennes, yéménites, libyennes, tunisiennes…, nous aurions participé à reconstruire le Liban blessé et l’Irak démantelé, voire dévisagé. Mais nous aurions surtout participé à la construction d’un Etat palestinien aux frontières reconnues et inaliénables qui vivrait aux côtés d’un Israël apaisé, serein, comme le sont un bon nombre d’Israéliens et de Juifs originaires des pays arabes et occidentaux.
Dans son livre Israël-Palestine, l’égalité ou rien, Edward Saïd écrit : « Mais si les Juifs ont demandé que le monde les reconnaisse, nous devons faire exactement la même demande, non pas dans un esprit de vengeance, mais dans un esprit de justice. Ce qui est déplorable dans les accords d’Oslo, c’est que nos dirigeants ont tout simplement occulté notre histoire, alors qu’il nous appartient non seulement de rappeler ce que le sionisme nous a infligé, mais aussi – et ce n’est pas le moins grave – ce que nous ont fait l’Angleterre, les Etats-Unis et tous les gouvernements occidentaux pro-sionistes, en travaillant tous ensemble à notre dépossession. »
Dans ce même chapitre intitulé « Pauvreté du nationalisme », le Palestinien-américain ajoute : « Nous confronter à Israël, c’est d’abord lui faire reconnaître ce qu’il nous a fait subir, à nous et aux autres pays arabes, dont tant d’hommes et de femmes ont été tués au cours des guerres de conquêtes, de l’occupation militaire, de la colonisation des territoires. Mais nous devons aussi admettre la possibilité d’une vie nouvelle, débarrassée de l’ethnocentrisme et de l’intolérance religieuse. »
Pour vivre en sécurité et installer la paix, Israël n’a pas besoin d’armes, mais plutôt de l’amitié du peuple palestinien, aussi bien que de celle de tous les peuples du Moyen-Orient.
C’est pour cette raison que dans notre article, nous avons choisi de donner ainsi la parole à Edward Saïd, qui ne critique pas seulement l’Etat d’Israël et les régimes occidentaux, mais ne ménage jamais les siens : « Notre confrontation avec Israël ne fait que donner la mesure de nos faiblesses. Pendant des années, nous avons attendu l’arrivée d’un grand chef et il n’est pas venu (…) la seule chose que nous n’ayons pas essayée sérieusement, c’est de ne compter que sur nous-mêmes, et tant que nous ne nous y mettrons pas, nous n’aurons aucune chance. Le défi israélien est au fond un défi envers nous-mêmes, envers notre capacité à nous organiser, à rester fidèles à des principes clairement définis, à exploiter nos ressources de façon cohérente, à mettre tous nos efforts dans l’éducation du peuple, et surtout à choisir des dirigeants capables. (…) Notre lutte au 21ème siècle devra viser à notre auto-libération et à notre décolonisation interne. Alors seulement, nous serons en mesure de faire face à Israël et de mettre en accusation de façon crédible le langage falsifié d’une démocratie coloniale. »[1]
N’est-il pas temps de soutenir les peuples arabes aussi bien que ceux de tout le Moyen-Orient dans leurs luttes pour la liberté et la dignité, piliers fondateurs de la démocratie ? N’est-ce pas le moment d’emprunter enfin la voie lumineuse et engagée du Palestinien Edward Saïd ?
Ghaïss Jasser.
[1] Edward Saïd, « Israël-Palestine, l’égalité ou rien », Ed. La Fabrique, 1999
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