Budget 2025 : les macronistes s’arc-boutent sur leur idéologie de classe

mercredi 30 octobre 2024.
 

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Mathias Thépot

C’est l’un des sujets les plus sensibles de l’examen du projet de loi de finances (PLF) 2025 pour le gouvernement et ses soutiens. L’instauration d’une « contribution temporaire, exceptionnelle et ciblée » sur les hauts revenus, sujet de l’article 3 du PLF, qui doit concerner 24 000 foyers gagnants plus de 500 000 euros par an pour un couple sans enfant, ou 250 000 euros par an pour une personne seule.

L’exécutif compte faire payer à ces ménages, qui usent et abusent des niches fiscales pour réduire leur impôt, une surtaxe pour que leur taux effectif d’imposition en 2025 et en 2026 atteigne 20 % de leur revenu fiscal de référence.

Grâce à ce dispositif, appelé contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR), le gouvernement Barnier espère récolter 2 milliards d’euros en 2025. Au regard de l’effort global de 60 milliards d’euros qu’il compte faire subir au pays, ce n’est certes pas énorme : c’est notamment moins que la hausse de la taxe sur l’électricité qui doit rapporter 3 milliards d’euros en 2025 et qui reposera sur celles et ceux qui ont déjà vu leur facture d’électricité grimper de plus de 40 % depuis le début de la crise énergétique.

Mais pour ce gouvernement composé de ministres de droite (LR) et macronistes, à Bercy notamment, l’idée de taxer les plus aisés sonne comme un renoncement à la politique pro-business menée par Emmanuel Macron depuis 2017.

Dès lors, on a assisté mardi 22 octobre au Palais-Bourbon à un étrange ballet lors de la discussion en séance publique de l’article instaurant la CDHR, où des députés du camp présidentiel – Mathieu Lefèvre, Charles Sitzenstuhl et Paul Midy – ainsi que le ministre du budget Laurent Saint-Martin se sont succédé pour défendre des amendements dénaturant le projet initial du gouvernement.

Les amendements du ministre et des députés macronistes avaient notamment pour but d’exclure du champ de la CDHR les abattements pour durée de détention de parts dans des entreprises, les revenus tirés de brevets, le régime des impatriés ou les revenus exceptionnels tirés « des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise ».

Autant d’opportunités données aux plus aisés pour ne pas payer la taxe exceptionnelle. « Il est tout de même surprenant que le gouvernement, qui nous propose cet article parce qu’il y a trop de niches fiscales et qu’il faut garantir un taux minimal d’imposition à 20 %, en crée de nouvelles au sein de ce même article ! », s’est interrogé le député socialiste Philippe Brun en s’adressant au ministre Laurent Saint-Martin.

Pour les représentants du camp présidentiel précités, il était nécessaire d’adopter ces amendements au risque de « paralyser le tissu économique », nuire à « l’attractivité de la France » et aux « entrepreneurs qui investissent, qui inventent ». C’est dire l’importance qu’ils donnent aux plus aisés dans l’économie du pays par rapport au reste. Mais in fine – et quand bien même ils étaient dans leur immense majorité soutenus par le gouvernement – ces amendements ont été rejetés par une majorité de député·es.

Pro-riches comme jamais

À l’inverse, le rapporteur général du budget, Charles de Courson (Liot), a proposé et fait adopter un amendement qui visait à s’assurer que le seuil des 20 % ne serait pas détourné, en simplifiant le calcul du dispositif : prendre 20 % du revenu fiscal de référence du ménage, et y soustraire uniquement l’impôt sur le revenu effectivement payé, afin de calculer in fine la surtaxe à appliquer.

Impossible dans ce cadre qu’une niche fiscale ne puisse venir dévoyer le dispositif. De quoi provoquer l’ire du député macroniste Mathieu Lefèvre. Après avoir qualifié le rapporteur général du budget, pourtant réputé pour son expertise sur les sujets budgétaires, d’« apprenti sorcier fiscal », il a déclaré : « Le fait de toucher à l’imposition des personnes les plus aisées ne doit pas nous conduire au n’importe quoi fiscal […]. Il faut protéger le tissu entrepreneurial de la CDHR et de ses possibles effets délétères. »

Plus tôt dans les discussions, lorsque des amendements du Nouveau Front populaire (NFP) – non adoptés –proposaient d’instaurer un impôt sur le patrimoine des ultrariches sur la base des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, ou bien plus modestement de désindexer de l’inflation les deux plus hautes tranches de l’impôt sur le revenu en 2025, Mathieu Lefèvre, particulièrement en verve ce mardi, avait déjà déversé sa logorrhée néolibérale et tout le mépris qu’il pensait de la mise à contribution des plus aisés à l’effort de solidarité nationale : « Celles et ceux qui […] proposent d’augmenter massivement les impôts des Français les plus fortunés envoient un message clair aux Français : “Surtout, ne réussissez pas ! Surtout, ne faites pas de plus-values, ne gagnez pas d’argent, ne créez pas d’emplois, ne revendez pas d’entreprises, n’ayez pas l’audace d’en créer une ! Surtout pas !” », a-t-il martelé, soutenu plus tard par son inénarrable collègue Éric Woerth.

Mais ces soubresauts révélateurs du crépuscule de la Macronie n’ont convaincu personne. Les discussions ont même pris une tournure définitivement négative pour le camp présidentiel en fin de séance quand le sujet de la durée d’application de la CDHR a été abordé.

Il faut dire qu’avec la hausse exceptionnelle de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises réalisant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, la CDHR est la seule mesure d’économies clairement temporaire proposée par le gouvernement. Alors que celles touchant le portefeuille des ménages ou le modèle social sont, elles, pérennes. « Pour la population, c’est très peu acceptable », a lancé le président insoumis de la commission des finances, Éric Coquerel. « La justice fiscale ne s’accommode pas de mesure exceptionnelle et temporaire », a aussi dit le député socialiste Boris Vallaud.

Ainsi, quatre amendements des député·es Philippe Brun (PS), Marianne Maximi (LFI) Danielle Simonnet (Écologiste et social) et Jean-Paul Mattei (Modem) proposaient de pérenniser dans le temps la taxe exceptionnelle sur les plus hauts revenus. Finalement soutenus par le Rassemblement national – qui s’est montré plus spectateur qu’acteur des débats –, ils ont été adoptés par l’Assemblée ainsi que l’article 3 dans son ensemble.

Le ministre Laurent Saint-Martin avait pourtant imploré l’hémicycle « de ne pas tomber dans le travers de l’impôt temporaire exceptionnel et ciblé qui ne le serait jamais », arguant qu’il fallait en fait juste attendre que « les effets des réformes structurelles [retraites, chômage – ndlr] puissent prendre leur relais » pour réduire les déficits.

De fait, il y a donc peu de chances de voir finalement l’article 3, tel qu’il a été voté par l’Assemblée, retenu dans le texte final que le gouvernement fera adopter par voie de 49-3, comme cela se profile. Mais ces débats parlementaires auront eu le mérite de la clarté : malgré les lourdes défaites subies lors des élections européennes et législatives, la Macronie compte maintenir, quoi qu’il en coûte, sa politique de classe.

Mathias Thépot


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