Les socialistes ont exclu de participer à un intergroupe avec les autres partis de la coalition arrivée en tête aux législatives. Un refus qui révèle en creux le retour des forces centrifuges à gauche.
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Pour l’instant, ils sont les seuls à n’avoir pas répondu à la lettre envoyée par Cyrielle Chatelain. « Ce serait a minima une question de politesse que de le faire », s’agace le député Génération·s Benjamin Lucas. En réalité, tout le monde le sait déjà : pour les socialistes, ce sera non. Pas question de relancer à l’Assemblée nationale un intergroupe, ce cadre de discussion hebdomadaire entre députés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) qui avait éclos – ironie de l’histoire – à la demande du Parti socialiste (PS), dans la foulée des législatives de 2022… jusqu’à son explosion après le 7-Octobre.
Le débat sur l’opportunité de ressusciter cette structure sous les couleurs du Nouveau Front populaire (NFP) a été relancé, mardi 15 octobre, à la suite d’un micro-incident qui a secoué la gauche. Quelques jours plus tôt, lors de l’élection pour la présidence de la commission des affaires sociales, le député socialiste Arthur Delaporte, dont la candidature avait été écartée par « l’aile droite » du PS au profit de celle de Jérôme Guedj, a eu la surprise de voir son nom écrit sur les bulletins de vote de l’ensemble de ses collègues insoumis, communistes et écologistes.
Un véritable revers pour Jérôme Guedj, qui s’était affranchi du NFP au printemps. Mais aussi un message clair envoyé à ceux qui, comme lui, refuseraient de jouer le jeu de l’union.
Six jours plus tard, Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste au Palais-Bourbon, adressait un courrier à ses homologues communiste, socialiste et insoumis afin de fluidifier les relations au sein de la gauche parlementaire. Dans sa missive, elle appelle à mettre en œuvre des « modalités de travail collectives ». Autrement dit à réitérer l’expérience du fameux intergroupe qui, outre sa fonction de gestion des affaires courantes à l’Assemblée, avait fait office, avec plus ou moins de succès, de laboratoire du rassemblement de la gauche durant la législature précédente.
La proposition a été accueillie très favorablement par Mathilde Panot, cheffe de file des députés La France insoumise (LFI), qui s’est empressée de répondre qu’elle souhaitait elle aussi « présenter un front uni à l’Assemblée nationale pour défaire le macrono-lepénisme à l’œuvre au gouvernement ». Le lendemain, le président du groupe communiste, André Chassaigne, lui emboîtait le pas, en appelant à des « rencontres régulières des présidents et présidentes [des] quatre groupes parlementaires » pour qu’ils puissent « débattre, partager et [se] coordonner ».
Mais du côté du PS, les choses coincent. Il y a plusieurs semaines déjà, Boris Vallaud, président du groupe socialiste, avait exclu tout approfondissement des liens entre les composantes du NFP à l’Assemblée. Une décision largement partagée par ses troupes. « Pourquoi ajouter une réunion supplémentaire alors que nous travaillons très bien ensemble dans les commissions permanentes ? », avance ainsi le député Iñaki Echaniz, qui rappelle que l’absence d’intergroupe n’a pas empêché l’élection, à l’unanimité de la gauche, de l’Insoumise Aurélie Trouvé à la tête de la commission des affaires économiques ou encore le dépôt d’amendements communs sur le projet de loi de finances.
À la direction du groupe PS, on rappelle également que les réunions de l’intergroupe de la Nupes étaient loin d’être tranquilles. Tout le monde garde ainsi en mémoire les tensions qui ont surgi au moment de la réforme des retraites : alors qu’il avait été décidé, au sein de l’intergroupe, d’aller au vote sur la mesure d’âge dans l’hémicycle, Jean-Luc Mélenchon, depuis l’extérieur, avait tweeté qu’il ne fallait surtout pas risquer de se faire battre sur l’article 7. Et le patient travail de consensus entre députés avait été détruit en quelques minutes.
Il ne faut pas fétichiser l’intergroupe. Chacun a le numéro de téléphone de tout le monde, l’information est fluide et on se débrouille très bien !
Arthur Delaporte, député socialiste
Des souvenirs qui peinent néanmoins à convaincre les partenaires du PS du bien-fondé de leurs réticences. « On a raconté pendant toute la campagne des législatives qu’on faisait le Front populaire, qu’on pouvait gouverner ensemble dès demain et on ne serait même pas capables de faire un intergroupe ? C’est ridicule ! », s’agace Benjamin Lucas, qui milite pour une réunion hebdomadaire des 193 députés du NFP. « Aujourd’hui, il n’existe aucune structure pérenne du NFP. La créer permettrait d’éviter que chacun fasse des trucs dans son coin, et cela répondrait à ce que nous ont demandé les électeurs », abonde l’Insoumis Manuel Bompard.
Pourtant défenseur du NFP, le socialiste Arthur Delaporte minimise : « Il ne faut pas fétichiser l’intergroupe. Chacun a le numéro de téléphone de tout le monde, l’information est fluide et on se débrouille très bien ! » Et d’ajouter que s’il a bien entendu les « Unités ! » ou « Front po-pu-laire ! » scandés par la foule de 1 200 personnes qui assistaient à un meeting de Lucie Castets à Hérouville-Saint-Clair (Calvados) le week-end dernier, « personne ne criait “inter-groupe !” ».
Du reste, note un de ses collègues qui préfère rester anonyme, « s’il y a eu le cafouillage autour de la candidature de Jérôme Guedj à la commission des lois, c’est le problème du PS, pas celui du NFP ». Ce qui expliquerait au passage pourquoi Boris Vallaud a d’emblée fermé la porte à l’intergroupe : « Il s’agissait d’éviter d’alimenter les obsessions anti-LFI au sein du groupe », glisse le même élu.
Loin d’être anecdotiques, les atermoiements sur la remise en marche ou non de l’intergroupe racontent au fond les tergiversations de la coalition de la gauche, alors que les forces centrifuges tentent déjà de reprendre le dessus. Jusqu’à présent, la gauche parlementaire avait été relativement épargnée par les psychodrames qui secouaient la sphère partisane.
Mais depuis le mois de juillet, le doublement en nombre du groupe socialiste et l’arrivée de François Hollande et de plusieurs de ses proches – dont l’ancien ministre macroniste Aurélien Rousseau – sur les bancs de l’hémicycle ont rendu les frontières moins étanches. « Les batailles entre TO [textes d’orientation, l’équivalent des courants – ndlr] restent feutrées dans le groupe, mais le débat stratégique existe », analyse ainsi le député socialiste Laurent Baumel.
Il faut dire qu’entre les « outrances » de LFI dans l’hémicycle – même si le groupe de Mathilde Panot s’est un peu assagi depuis cet automne – et les divisions depuis le 7-Octobre, ils sont de plus en plus nombreux, dans le groupe socialiste, à aspirer à une « démélenchonisation » de leurs rangs. D’autant que la présence de l’ancien candidat à la présidentielle au premier rang de la photo de famille insoumise, prise devant les marches du Palais-Bourbon au mois de juillet, ne les a pas franchement rassurés sur sa volonté de prendre du recul.
Depuis, les relations sont plutôt contenues entre députés insoumis et socialistes. Les écologistes, désireux de s’afficher comme les « bons élèves » de l’union, veillent à créer du liant, mais en coulisses, les divergence sont nombreuses. Si les plus « NFP compatibles » du groupe PS ont réussi à faire pencher la balance en faveur d’une motion de censure commune contre Michel Barnier et si la proposition de résolution de LFI sur la destitution du président de la République a été validée contre une bonne partie des troupes de Boris Vallaud, rien n’est acquis pour autant.
Pauline Graulle
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