Toulouse : cathosphère et évangélistes contre les « opéras urbains » autour du Minotaure ?

jeudi 31 octobre 2024.
 

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Vade retro, Lilith ! Va-t-on voir à nouveau les robes de bure des capucins intégristes, tonsuré et barbus, venir "exorciser" un spectacle jugé blasphématoire à la fin du mois d’octobre ? Treize ans après les prières de rue organisées contre la pièce Golgota Picnic au théâtre Garonne en novembre 2011, Alain Escada se lance dans une nouvelle croisade contre une création culturelle à Toulouse. Le fondateur belge du mouvement politique intégriste d’extrême-droite Civitas International, dont la branche française a été officiellement dissoute par Gérald Darmanin l’an dernier, dénonce sur les réseaux sociaux le prochain grand spectacle de rue de la compagnie La Machine de François Delarozière, du 25 au 27 octobre.

Une pétition en ligne lancée par Pro-Europa Christiana, qui se présente comme une fédération d’une dizaine d’associations catholiques « attachées aux valeurs chrétiennes traditionnelles », invite les fidèles à écrire au maire de la ville, Jean Luc Moudenc, pour exprimer leur indignation face à ce « défilé satanique ». Une poignée d’évangélistes protestants fondamentalistes à la mode américaine mêlent leurs voix à ces cris d’orfraie dans une plaquette de 16 pages qui reprend la lecture ésotérique un brin fumeuse d’un "sens caché" des créations de Delarozière « qui en dit long sur l’appartenance de nos élites à des sociétés ésotériques secrètes »...

Une affiche scrutée à la loupe

Catholique bon teint, le premier magistrat (ex-LR) de Toulouse se déclare « très étonné » par cette polémique qui monte dans la cathosphère. Elle est même déjà attisée par le souverainiste et complotiste François Asselineau sur son compte X (ex Twitter). Moudenc fait valoir que le premier acte de cet « opéra urbain » avait rassemblé près de 900.000 spectateurs autour du Minotaure géant imaginé par François Delarozière en 2018. Sans paraître « maléfique » aux yeux de la foule. L’odeur de souffre dénoncée par les ultras de Civitas est toutefois remontée jusqu’aux narines du clergé catholique local. Le père Simon d’Artigue, curé de choc des paroisses du centre-ville, a commencé par remettre en cause cet été l’affiche du spectacle. Elle est signé par l’artiste Stephan Muntaner, vieux complice marseillais de Delarozière, illustrateur de toutes les productions de la compagnie La Machine à Toulouse, Nantes ou Calais. Le prêtre influenceur, très présent sur les réseaux sociaux, y a vu des églises incendiées. Pas Moudenc, qui observe au contraire que les édifices religieux semblent épargnés par les flammes.

Après cet exégèse graphique à la loupe, les critiques ont porté sur le livret de la pièce écrite par François Delarozière. L’artiste a imaginé un récit mythologique en trois actes pour mettre en scène la déambulation de ses créatures mécaniques géantes dans le dédale des rues de la ville. Il a été contraint de s’expliquer devant trois responsables religieux, dont un éminent prêtre et enseignant de l’Institut Catholique et un pasteur protestant, sur l’introduction de sa nouvelle création, baptisée Lilith. Cette femme-scorpion de 38 tonnes a fait ses premiers pas au Hellfest cet été. Elle doit rejoindre le fameux Minotaure, conçu spécialement pour la ville de Toulouse, et l’une des deux araignées de la ménagerie fantasmagorique de La Machine. La « Gardienne des Ténébres », tout droit venue d’un festival de heavy-metal, doit jouer le rôle-titre du nouvel opus de la compagnie de théâtre de rue dans la ville rose. De quoi exciter les fantasmes de certaines grenouilles de bénitier traquant le triton dans une musique électrique soupçonnée d’être moins angélique que le « divin Mozart »...

Une messe pour "consacrer" la ville au Sacré Coeur

« Je ne cherche en aucun cas le blasphème, c’est un mot qui n’appartient pas à mon vocabulaire », assure Delarozière. A demi-rassurées, les autorités ecclésiastiques du diocèse ont toutefois prévu une cérémonie pour éloigner les démons. L’archevêque a finalement « consacré » la ville le 16 octobre dans l’église du Sacré Coeur afin de « guérir, vivifier et sanctifier les habitants de la ville et du diocèse », selon un communiqué officiel de l’église catholique de la Haute-Garonne. Issu de la mouvance charismatique, Mgr Guy de Kérimel n’entend pas laisser le terrain aux ultras d’Alain Escada. Il brandit ostensiblement sa ferveur religieuse en faveur de « la cité du Sacré Coeur » de Paray-le-Monial, dont se réclame également Pro-Europa Christiana. Le père Simon d’Artigue a de son coté invité un paroissien de confiance le 16 octobre à la cathédrale Saint-Etienne pour y donner une savante conférence. Guillaume Sire, universitaire et écrivain toulousain de bonne famille, y dissertera sur le « vrai Minotaure ». « Je ne souhaite pas nourrir la polémique, mais calmer le jeu », assure le prêtre .

Sous la façade d’une obscure dispute mêlant légendes mythologiques et credo théologiques, c’est pourtant bien une nouvelle offensive politique qui se trame contre l’alliance inattendue entre le maire centriste de la ville et François Delarozière. L’artiste post-punk s’était amusé à faire rôtir un autobus à la broche dans les années 80 à Toulouse, sous l’ère Baudis. L’audace avait valu une "excommunication" pour la troupe du Royal de Luxe, partie s’installer à Nantes. Son souvenir reste manifestement vivace dans la mémoire de certains vieux électeurs et fidèles de droite.

Stéphane Thépot


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