Non, la civilisation de Rapa Nui ne s’est pas effondrée. Une nouvelle étude génétique apporte des éléments supplémentaires qui contredisent la thèse d’une chute brutale de la population de l’île du Pacifique au XVIIe siècle.
Rapa Nui, appelée par les Européens l’île de Pâques, ne cesse de fasciner. Ce bout de terre perdu dans l’océan Pacifique à plus de 2000 kilomètres de toute autre terre habitée, a une réputation qui lui colle à la peau. Elle aurait été le lieu d’un effondrement civilisationnel en raison de la surexploitation de ses ressources. Cette thèse, notamment popularisée par l’essayiste Jared Diamond dans son livre Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, publié en 2005, est probablement fausse. Un nouvel article publié dans la revue scientifique Nature ce mercredi 11 septembre en apporte une nouvelle preuve.
Anna-Sapfo Malaspinas, spécialiste de génétique des populations à l’université de Lausanne, a analysé les génomes de quinze individus dont les restes se trouvaient dans les collections du musée de l’Homme à Paris. « On a prouvé qu’ils avaient une origine génétique rapanui [donc de l’île de Pâques, ndlr] », explique-t-elle. L’équipe de scientifiques estime qu’ils ont vécu au XVIIIe siècle ou au XIXe siècle, soit après l’effondrement décrit par certains auteurs.
L’analyse génétique démontre que ces personnes n’étaient pas des parents proches. Mais les techniques informatiques récentes permettent de tirer davantage de conclusions de ces quinze génomes. « Nous avons voulu creuser deux questions. Est-ce que Rapa Nui a connu un effondrement de sa population dans les années 1600 ? Et à quand remontent les premiers contacts entre l’île et le continent américain ? » éclaire Anna-Sapfo Malaspinas. Si le génome de deux êtres humains est largement similaire, il existe tout de même des petites différences. Celles-ci peuvent dire beaucoup. « On sait que Rapa Nui a été peuplée autour de 1200. Nous avons donc simulé par ordinateur comment la diversité génétique de ses habitants aurait évolué si la population s’était développée avant de s’effondrer. Clairement, nos résultats ne sont pas compatibles avec ce scénario », détaille la chercheuse.
Evelyne Heyer, spécialiste d’anthropologie génétique et coautrice de l’étude, avance une deuxième explication. « Si la population de l’île s’était effondrée à un moment, alors nos quinze individus auraient un grand nombre d’ancêtres génétiques communs, relativement récents. Mais ce n’est pas ce qu’on observe », complète-t-elle. Concrètement, si le nombre d’habitants avait diminué drastiquement au XVIIe siècle, alors les descendants seraient tous plus ou moins cousins. La diversité génétique des quinze échantillons ne plaide donc pas pour un tel scénario.
Des thèses différentes se sont opposées sur l’histoire de Rapa Nui (ce qui signifie la grande Rapa), car le site est exceptionnel. Pourquoi cette île auparavant boisée n’a désormais plus un arbre sur le caillou ? Comment ses fameuses et grandioses statues ont-elles été érigées ? L’idée d’une civilisation florissante qui se serait effondrée après avoir épuisé son environnement s’est peu à peu imposée. Ce récit envisage un pic démographique à 15 000 voire 20 000 personnes en 1600, avant de redescendre à quelques milliers. « Nos résultats ne donnent pas la taille de la population à un instant donné. Par contre, ils ne sont pas compatibles avec l’idée d’une chute subite du nombre d’habitants. Un tel événement diminuerait aussi la diversité génétique au sein d’une population », avance Anna-Sapfo Malaspinas.
Des travaux précédents avaient déjà affaibli la thèse de l’effondrement. En juin, dans la revue Science Advance, une équipe d’archéologues s’est servie d’une intelligence artificielle pour retracer les zones cultivées de Rapa Nui. Selon ses résultats, sur 164 km² de terrain, seul 0,76 km² était probablement cultivé. De quoi nourrir trois à quatre mille personnes, pas plus. Soit la population de l’île quand les Européens l’ont découverte au XVIIIe siècle. « Cela ne signifie pas que la présence humaine n’a pas modifié, et probablement dégradé, la biodiversité de Rapa Nui. Comme toutes les implantations humaines partout dans le monde. Mais l’idée selon laquelle cette population n’a pas su gérer son environnement au point de disparaître est une vision un peu coloniale des choses », souffle Anna-Sapfo Malaspinas.
Le peuple Rapa Nui, issu des populations polynésiennes, savait parfaitement s’implanter sur des îles. La disparition des arbres est probablement liée à l’activité humaine, mais aussi à l’influence d’une alternance de phénomène climatique el Niño et la Niña. La chute du nombre de Rapa Nuis est bien arrivée, mais plus tard, aux XVIIIe et XIXe siècles, lors de la rencontre avec les Occidentaux et leur lot de maladies et d’esclavagisme. Aujourd’hui, ils constituent environ la moitié des quelque 7 000 habitants de l’île, désormais sous administration chilienne.
Autre sujet d’investigation de l’équipe de scientifiques : à quand remontent les premiers contacts avec les peuples amérindiens, à 3 500 kilomètres de là ? Ils sont beaucoup plus anciens, Anna-Sapfo Malaspinas et son équipe le démontrent. Là encore, tout est question de proximité génétique. « Vous héritez la moitié de votre génome de vos parents, le quart de vos grands-parents, le huitième de vos arrière-grands-parents », rappelle Evelyne Heyer. En suivant cette logique, les chercheurs ont mis en évidence des traces de génome amérindien chez les quinze individus analysés remontant à 15 voire 17 générations. Soit aux alentours de 1200-1300, peu de temps après l’installation des Polynésiens sur Rapa Nui. Ce résultat n’a pas surpris les intéressés. Anna-Sapfo Malaspinas est entrée en contact avec des représentants de la communauté sur place. « Quand on leur a présenté le résultat, ils m’ont juste dit qu’ils le savaient déjà », sourit-elle.
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