Jean-Marie Le Pen chante chez lui avec des néonazis

samedi 5 octobre 2024.
 

Avant l’ouverture du procès des assistants parlementaires européens du FN, où il ne comparaîtra pas pour raisons de santé, le fondateur du parti a été filmé samedi à son domicile en compagnie de musiciens affiliés au groupuscule Blood & Honour. Sa fille Marine annonce à Mediapart une plainte pour abus de faiblesse.

LeLe procès de l’affaire des assistants parlementaires européens du Front national (FN), qui s’ouvre lundi 30 septembre, comptera un absent de marque : Jean-Marie Le Pen. Mis en examen pour détournement de fonds publics et complicité, le fondateur du parti, 96 ans, ne comparaîtra pas car deux certificats médicaux ont attesté de l’altération de ses facultés cognitives et de son incapacité à répondre aux magistrats.

Dans leur ordonnance de renvoi, les juges d’instruction ont considéré qu’il était, avec sa fille Marine Le Pen, « codécisionnaire » d’un « système » présumé, qui aurait commencé dès 2004, « destiné à rémunérer sur les fonds du Parlement européen des salariés travaillant en réalité pour un parti politique ».

À moins de quarante-huit heures du début des audiences au tribunal correctionnel de Paris, Jean-Marie Le Pen a été filmé, samedi 28 septembre, dans sa villa de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) en compagnie des musiciens du groupe de rock néonazi lyonnais Match Retour.

Deux vidéos, repérées par le militant antifasciste Alexander Samuel et authentifiées par Mediapart, montrent le « Menhir » entonner la chanson populaire Fanchon ou écouter religieusement un titre spécialement composé pour lui : « Je vais t’faire courir le rouquin, je vais t’rattraper, t’iras pas bien loin », dit le refrain, en référence aux propos homophobes de l’ancien président du FN lors d’un déplacement à Mantes-la-Jolie (Yvelines) en 1997.

Contactée par Mediapart qui lui a appris les faits, Marine Le Pen fait savoir qu’elle va porter plainte pour abus de faiblesse : elle estime que les musiciens ont profité de l’état de santé déficient de son père. Depuis février, c’est la députée qui, avec ses deux sœurs, Marie-Caroline et Yann Le Pen, gère les intérêts du patriarche dans le cadre d’un mandat de protection, même s’il conserve l’ensemble de ses droits.

À partir de l’été 2023, Jean-Marie Le Pen s’était mis totalement en retrait. En juin 2023, il avait enregistré son dernier « Journal de bord », entouré de ses deux fidèles, Marie d’Herbais, présentatrice historique de ce rendez-vous vidéo, et Lorrain de Saint-Affrique, son conseiller en communication. Une semaine plus tard, celui-ci, dernier employé du frontiste, avait quitté ses fonctions.

Mais le natif de La Trinité-sur-Mer reste, pour les militants d’extrême droite les plus radicaux, une figure tutélaire. « Ce tout nouveau morceau est à la gloire de notre illustre Jean-Marie Le Pen. Il mérite tellement une chanson de son vivant », annonçait en juillet Renaud Mannheim, leader de Match Retour, au moment de la mise en vente du CD hommage.

Sur son compte Facebook, Renaud Mannheim s’étale auprès de son cercle d’amis sur sa rencontre de samedi avec son idole : « On a fait quelques chants. Jean-Marie voulait des chansons joyeuses. On a notamment fait “Au 31 du mois d’août” [un chant de marins – ndlr]. » Photo à l’appui, le skinhead raconte aussi avoir offert une bouteille de beaujolais personnalisée au résident des lieux.

Aux côtés de l’ancien du président du FN, le chanteur n’hésite pas à afficher sa couleur idéologique, arborant un tee-shirt « Blood & Honour » (« Sang et honneur », un slogan politique nazi), réseau international de promotion de musique néonazie dont la division française a été dissoute par décret en conseil des ministres en 2019. Son batteur, lui, est vêtu d’un tee-shirt « Reconquering Europe » (« Reconquérir l’Europe », du nom d’un festival de rock néonazi en Hongrie), qui détourne un célèbre cliché de membres de la Jeunesse hitlérienne trompettes et tambours à la main.

À l’occasion de ce goûter musical, des bouteilles de champagne ont été débouchées et jonchent la table du salon de La Bonbonnière, nom de cette demeure de 300 mètres carrés vendue en novembre 2023 pour 2,5 millions d’euros à une SCI liée au milliardaire conservateur Pierre-Édouard Stérin et à son bras droit, François Durvye, conseiller officieux de Marine Le Pen.

Assis sur un fauteuil avec sa canne, tout sourire et de rouge vêtu, Jean-Marie Le Pen apparaît entouré de sa femme, Jany Paschos-Le Pen, ou bien encore de Thomas Joly, président du Parti de la France, mouvement pétainiste né en 2009 d’une scission du FN.

Cette formation s’était notamment distinguée au cours des dernières élections européennes pour ses affiches appelant à donner « un avenir aux enfants blancs ». Marion Maréchal, petite-fille de Jean-Marie Le Pen et tête de liste de Reconquête, avait aussi mis en demeure le groupuscule pour avoir utilisé son image sans son autorisation dans sa campagne d’affichage. Le site StreetPress avait en outre révélé qu’une militante du Parti de la France, Ludivine Daoudi, avait été investie par le RN aux législatives dans le Calvados – elle s’était retirée après la diffusion d’une photo d’elle avec une casquette nazie.

Est-ce Thomas Joly qui a joué l’intermédiaire entre les Le Pen et Match Retour ? Sollicité par Mediapart, il esquive la question, expliquant qu’« il s’agissait d’une visite amicale dans un cadre strictement privé. Le groupe Match Retour a écrit une chanson sur Jean-Marie Le Pen et ils sont venus la lui chanter en version acoustique ». Sur Instagram, posant avec Jean-Marie Le Pen et ses deux lévriers des Baléares, Olga et Stella, le patron du Parti de la France relate que « l’ambiance n’était pas à la mélancolie aujourd’hui [samedi 28 septembre – ndlr] avec Jean-Marie ».

Cette séquence s’inscrit dans une longue liste de rencontres avec des personnalités issues de la frange la plus radicale de l’extrême droite. Une vidéo datée du 10 décembre 2022 montrait déjà le fondateur du FN pousser la chansonnette à Versailles avec le même Thomas Joly et des militants révisionnistes, parmi lesquels l’écrivain antisémite Hervé Ryssen et un collaborateur de l’hebdomadaire négationniste Rivarol.

Dès le début de sa carrière, en 1963, Jean-Marie Le Pen avait lui-même été éditeur de disques à la gloire du IIIe Reich, avec la Société d’études et de relations publiques (Serp). Il s’est aussi souvent affiché avec les antisémites Alain Soral et Dieudonné – il est le parrain de la fille de l’humoriste.

Une figure de l’extrême droite radicale lyonnaise

Le leader du groupe Match Retour, Renaud Mannheim, est une figure bien connue de la scène radicale du Rhône, ex-responsable de la section lyonnaise de Troisième Voie, le mouvement dissous en 2013 au lendemain du meurtre de Clément Méric, et ancien chef de file local de Blood & Honour. En avril 2019, le skinhead avait été auditionné à l’Assemblée nationale dans le cadre de la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France.

Le blason bleu-blanc-rouge de son groupe de musique se compose d’un Totenkopf (tête de mort), insigne des unités SS chargées de la gestion des camps de concentration de l’Allemagne nazie, d’un poing américain, suggérant son appétence pour la violence, et de la devise « Lyon le melhor », cri guerrier de la ville au Moyen Âge repris par les supporteurs droitiers de l’Olympique lyonnais (il est un habitué des travées du Groupama Stadium) ou par Génération identitaire, mouvement politique lui aussi dissous en 2021.

Match Retour s’était notamment produit, en mai 2022, lors d’un rassemblement à Sainte-Croix-aux-Mines (Haut-Rhin) en hommage à des SS français tués par l’armée française en 1945, et avait organisé, en novembre 2023, le festival clandestin « Rock antiwokisme » à Saint-Quentin-Fallavier (Isère), qui avait eu lieu malgré des interdictions préfectorales.

Des musiciens en chemin pour un concert clandestin

Selon les informations de Mediapart, après son passage chez Jean-Marie Le Pen en fin d’après-midi, le groupe lyonnais a poursuivi sa route plus au nord pour se produire samedi soir dans le cadre d’un concert néonazi clandestin organisé dans la Somme. L’événement, qui s’est tenu au sein de la salle des fêtes de la commune rurale de Namps-Maisnil, 1 005 habitant·es, visait à célébrer l’anniversaire de la mort du Britannique Ian Stuart Donaldson, icône du rock anticommuniste (RAC) et créateur de Blood & Honour, décédé le 24 septembre 1993.

Outre Match Retour, les Nordistes de Beygon Crew et un groupe originaire de Flandre belge sont montés sur la scène d’une enceinte décorée de drapeaux nazis pour l’occasion. Une centaine d’adeptes du bras tendu, venu·es de plusieurs pays d’Europe, ont participé à la soirée, qui affichait un prix d’entrée de 20 euros. « Merci à Romain et son staff d’avoir organisé ce mémorial ISD [Ian Stuart Donaldson – ndlr], qui faisait cruellement défaut en France », s’est félicité Renaud Mannheim sur Facebook dimanche. Signe que la dissolution de Blood & Honour, engagée il y a cinq ans, n’a en rien empêché le groupuscule raciste de poursuivre ses activités en France.

Donatien Huet


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