Le président continue de faire comme si son camp n’avait pas été battu lors des élections législatives et refuse toujours de nommer Lucie Castets à Matignon. Alors que les macronistes tentent de rester au centre du jeu, les forces du NFP dénoncent un déni démocratique.
Depuis vingt-neuf jours, la France n’a plus de gouvernement de plein exercice. La démission de Gabriel Attal le 16 juillet, après la défaite du camp macroniste lors des élections législatives anticipées provoquées par la dissolution de l’Assemblée, n’a pas été suivie d’effet. Au mépris des institutions de la Ve République, Emmanuel Macron s’est abrité derrière une supposée trêve olympique pour temporiser et éviter de nommer Lucie Castets, candidate proposée par le Nouveau Front populaire (NFP) arrivé en tête le 7 juillet dernier. Le gouvernement démissionnaire est censé suivre les « affaires courantes », ce qui n’empêche pas Emmanuel Macron et Gabriel Attal de gouverner presque comme si de rien n’était, et d’aspirer à continuer de le faire.
Le président de la République, lui, « consulte », prêt à toutes les contorsions pour éviter de nommer à Matignon la candidate proposée par la force arrivée en tête lors des élections législatives. Dans Le Monde, « l’Élysée » nous apprend qu’Emmanuel Macron veut choisir un nom qui donne « un parfum de cohabitation » sans changement de politique. En somme, rester au centre du jeu et articuler une coalition autour de lui, malgré la défaite électorale et la situation arithmétique à l’Assemblée nationale, au mépris des forces politiques de gauche.
« Au-delà de la conjoncture politique et du combat qu’on mène pour gouverner, il y a quand même un sujet sur l’état de la démocratie, soupire Benjamin Lucas, député écologiste membre de Génération·s. Il y a une forme de trumpisation. Vous remplacez Mar-a-Lago [résidence de vacances de Donald Trump – ndlr] par Brégançon et “Stop the Count” par “Personne n’a gagné” et vous avez la même recette du déni de la réalité. »
Une inquiétude partagée par l’élu socialiste Arthur Delaporte, qui regrette auprès de Mediapart qu’« on passe du rôle institutionnel du président de la République, garant des équilibres de pouvoir, à un président de la République qui abuse de sa fonction, qui tord l’esprit de la Constitution et essaie de faire un coup de force ».
Échanges épistolaires Après avoir passé une partie de l’été à multiplier les déplacements pour se faire connaître du grand public et marteler les propositions du NFP, la candidate pour Matignon Lucie Castets a tenté de reprendre l’initiative au lendemain des Jeux olympiques. Dans une lettre adressée aux parlementaires – hors extrêmes droites – et cosignée par tous les présidents de groupe de la coalition de gauche, la haute fonctionnaire réaffirme les priorités de son hypothétique gouvernement, et tend la main aux autres forces politiques en affirmant qu’il sera « nécessaire de convaincre au-delà des rangs du Nouveau Front populaire pour construire des majorités parlementaires ».
Une inflexion formelle par rapport à l’affirmation des leaders de La France insoumise (LFI), qui martelaient depuis le 7 juillet que le gouvernement appliquerait « le programme, tout le programme, rien que le programme », dont Éric Coquerel, député LFI et président de la commission des finances, défend la cohérence : « Le programme, c’est une logique, qu’on ne renégociera pas. C’est une logique contradictoire avec tout ce qui a été fait depuis sept ans, c’est une logique de partage des richesses, de fiscalité qui s’attaque aux revenus du capital pour les transférer vers les revenus du travail, d’augmentation des salaires. Ensuite, ne pas faire ce qu’a fait Emmanuel Macron pendant deux ans, mais plutôt imaginer des compromis avec les députés de l’Assemblée, c’est autre chose, et j’y suis favorable. »
C’est hors sol, Emmanuel Macron veut une cohabitation avec lui-même.
Éric Coquerel, député LFI « On est lucides, on sait qu’on n’a pas la majorité absolue, complète Benjamin Lucas. C’est la vie classique d’un Parlement, quand vous déposez un texte, ce n’est jamais la version initiale du texte qui est votée telle qu’elle est. Mais l’objectif de l’application du programme, il reste le même. » « Il faudra une démarche parlementaire de construction texte par texte, détaille Lucie Castets à Mediapart, mais c’est à la force politique arrivée en tête de l’animer, non à la seconde force, qui depuis 7 ans a méprisé le Parlement et les autres forces politiques. »
Plutôt que de répondre à la missive du NFP, les forces de la coalition présidentielle – qui ne compte plus que 166 député·es dans l’hémicycle – ont elles aussi choisi d’envoyer des lettres. Gabriel Attal, premier ministre démissionnaire mais également patron du groupe Ensemble pour la République (EPR), a écrit à ses homologues député·es, en excluant, comme la Macronie en a désormais l’habitude, les élu·es d’extrême droite et de La France insoumise.
Le premier ministre, qui dirige désormais un groupe de 99 député·es – il en comptait 169 avant la dissolution – propose, comme si de rien était, un « pacte d’action pour les Français », détaillant ses priorités pour esquisser « la base sur laquelle nous sommes prêts à engager des discussions ». « Cette lettre est marquée par le déni du résultat des élections, qui acte une demande de changement de la part des électeurs, réagit Lucie Castets. Les macronistes ont échoué sur les priorités des Français qu’ils listent (service public, pouvoir d’achat, comptes publics). Comment, dès lors, leur faire confiance ? »
Vers une coalition des battus ? Dans le même temps, un autre président de groupe battu aux élections législatives a lui aussi tenté de reprendre l’initiative : Laurent Marcangeli, patron du groupe Horizons, a appelé lundi « à l’organisation d’une rencontre dans les plus brefs délais afin de stabiliser la vie politique de notre pays », sans inclure le Rassemblement national (RN) et LFI. « Ils cherchent qui ils peuvent rassembler autour d’eux, c’est le propre d’un mouvement qui a une majorité relative, mais eux ne l’ont même pas, cingle Éric Coquerel. C’est hors sol, c’est en dehors de tout ce qu’a montré le suffrage universel. Emmanuel Macron veut une cohabitation avec lui-même. »
Un constat partagé chez les autres membres du NFP, qui dénoncent un « déni de réalité » dans les troupes macronistes. « Ils sont en situation minoritaire et ferment la porte à toute discussion avec le NFP, en essayant de nous acheter à la découpe, pour créer un bloc majoritaire qui serait toujours autour du président. Ça ne peut pas marcher », prévient Arthur Delaporte. « La logique institutionnelle, c’est que le président nomme le premier ministre en fonction de la majorité parlementaire, pas que le président se choisit un collaborateur en espérant qu’il poursuive la mise en œuvre des politiques », conclut Lucie Castets.
Du côté de l’exécutif, on multiplie les appels du pied en direction du parti Les Républicains (LR), pourtant lui aussi sorti affaibli des élections législatives – il compte 47 député·es, contre 61 avant la dissolution. Si Laurent Wauquiez a conclu des alliances avec les macronistes pour obtenir des postes clés à l’Assemblée nationale, le patron de LR a également martelé en juillet qu’il n’y aurait « pas de coalition gouvernementale » avec Emmanuel Macron. Ce qui n’empêche pas l’hypothèse d’une nomination de Xavier Bertrand d’être poussée par ses anciens camarades, au premier rang desquels Gérald Darmanin, qui qualifiait le 29 juillet sur France 2 le patron de la région Hauts-de-France d’« homme politique avec une très grande compétence » qui pourrait « servir grandement la France ».
Aurore Bergé, elle, a encensé dans Le Figaro Xavier Bertrand, Michel Barnier ou Gérard Larcher tout en affirmant que les propositions portées par Laurent Wauquiez n’étaient « pas irréconciliables avec celles du bloc central ». « C’est lunaire, déplore Benjamin Lucas à Mediapart. On explique que nous, on n’est pas assez nombreux, et on va chercher Xavier Bertrand qui n’est même pas soutenu par son parti, ou Bernard Cazeneuve qui n’est même plus au Parti socialiste. J’ai du respect pour lui, même si j’ai des désaccords politiques, mais il représente qui ? »
Pendant ce temps, la situation s’enlise. Le processus du vote du budget, qui doit intervenir avant la fin de l’année, débute avec l’envoi aux ministères des « lettres plafonds » dans le courant du mois d’août, mais pour l’instant, rien ne bouge. « Personne ne veut prendre la responsabilité d’envoyer les lettres plafonds au nom d’un gouvernement démissionnaire », explique le président de la commission des finances Éric Coquerel, qui esquisse le scénario des prochaines semaines : « Ils vont proposer un budget avec une politique de compétitivité, d’offre et d’austérité, qui sera profondément amendé par ma commission, qui sera majoritairement contre. Ils vont tenter le 49.3, qui risque de se terminer par une censure. Ils vont dans l’impasse. »
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