La guerre en Ukraine a précipité un phénomène qui était en développement depuis au moins 10 ans : l’émergence d’une nouvelle configuration des rapports de force au niveau mondial.
Un nombre croissant de pays avec les BRICS supporte de plus en plus mal les tentatives de déstabilisation et d’ingérence des États-Unis en violation avec la charte des Nations unies concernant la souveraineté des Etats.
Ainsi la formation de deux nouveaux blocs apparaît : un bloc occidental sous la tutelle des États-Unis et un bloc dit du « Sud global » entraîné par la fédération de Russie, la Chine et l’Inde. Nous réunissons ici des documents sur la géostratégie nord-américaine d’hégémonie et la réponse récente à l’ONU de la fédération de Russie.
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1 – Washington et la maîtrise du monde Le rapport Wolfowitz
Comment préserver l’hégémonie ?
par Paul-Marie de La Gorce
Source : Le Monde diplomatique. Avril 1992
Le contenu d’études stratégiques récentes le montrent à l’envi : les Etats-Unis, loin de rechercher une gestion démocratique de la planète, mettent tout en œuvre pour renforcer leur hégémonie. Puissance idéologique sans rival, puissance militaire absolue, leur omnipotence est cependant battue en brèche sur le plan économique par de solides concurrents, comme le Japon ; et les fissures qui minent leur société (lire « L’Amérique malade des armes à feu » et « New-York fait éclater le mythe de la société postindustrielle ») limitent leurs moyens d’action ainsi que leur prétention à s’ériger en modèle.
Aux Etats-Unis comme ailleurs, la fin de la guerre froide devait susciter une réflexion nouvelle sur les orientations de la politique étrangère américaine et de la stratégie qui doit en être le corollaire. Cette réflexion est en cours dans les universités, dans les deux grands partis et surtout, naturellement, aux trois niveaux où se situent les centres de décision du pouvoir exécutif : le département d’Etat, le Pentagone et le Conseil national de sécurité, la Maison Blanche. C’est là qu’elle a été menée le plus loin et qu’elle a conduit aux conclusions les plus précises, au point qu’il est possible désormais d’en discerner, sans risque d’erreurs, les options essentielles.
Deux documents sont, à cet égard, des plus révélateurs. L’un émane du Pentagone et comporte 46 pages (1). Il a été préparé et rédigé en liaison avec le Conseil national de sécurité et après consultation des conseillers directs du président et du président lui-même. Ses rédacteurs, comprenant des fonctionnaires du département d’Etat et du ministère de la défense, étaient dirigés et présidés par le sous-secrétaire à la défense chargé des affaires politiques, M. Paul D. Wolfowitz.
L’autre émane également du Pentagone (2). C’est un rapport de 70 pages, rédigé par un groupe d’experts que présidait l’amiral Jeremia, l’adjoint du président du Comité des chefs d’état-major, le général Colin Powell : son objet est l’examen détaillé des scénarios de conflits considérés comme les plus probables après la fin de la guerre froide et après la guerre du Golfe.
Ce second document ainsi que le premier doivent être replacés dans leur contexte. Le rapport Wolfowitz, qui porte sur les orientations de la politique étrangère américaine dans les années à venir, n’était pas destiné, tel quel, à être rendu public, non plus que le rapport Jeremia. Mais tous deux, avec les modifications de forme qu’impose leur présentation à l’opinion américaine et surtout au Congrès, traduisent l’état d’esprit et les intentions délibérées du pouvoir exécutif : le niveau auquel ils ont été discutés, préparés et rédigés le prouve sans conteste. On comprend que la Maison Blanche, le Pentagone et le département d’Etat aient tenu à ne pas les authentifier entièrement, car leur formulation risquait de susciter des réactions négatives auprès des alliés des Etats-Unis ou même dans certains secteurs de l’opinion publique ; par ailleurs, le rapport Jeremia, qui a été communiqué aux membres des commissions de la défense du Sénat et de la Chambre des représentants, avait aussi pour but de favoriser le vote du futur budget militaire de l’année fiscale 1992-1993, comme c’est aussi l’objet, dans une certaine mesure, du rapport Wolfowitz. Mais, ces remarques étant faites, nul doute que l’on se trouve en présence de documents révélateurs des orientations fondamentales de la politique étrangère et de sécurité des Etats-Unis dans la période suivant la guerre froide et à la lumière de l’expérience de la guerre du Golfe.
Les premières pages du rapport Wolfowitz ne laissent aucun doute sur le dessein : assurer le maintien du statut de superpuissance unique que les Etats-Unis ont acquis après l’effondrement de l’ancien camp soviétique. Cette position hégémonique doit être préservée contre toute tentative de remise en cause par l’émergence d’autres centres de puissance majeure où que ce soit dans le monde. Le rapport précise que la politique étrangère américaine doit se donner pour but de « convaincre d’éventuels rivaux qu’ils n’ont pas besoin d’aspirer à jouer un plus grand rôle ». Pour y parvenir, il faut, est-il écrit, que ce statut de superpuissance unique « soit perpétué par un comportement constructif et une force militaire suffisante pour dissuader n’importe quelle nation ou groupe de nations de défier la suprématie des Etats-Unis ». Et ceux-ci « doivent tenir assez compte des intérêts des nations industrielles avancées pour les décourager de défier le leadership (américain) ou de chercher à mettre en cause l’ordre économique et politique établi ».
L’ensemble du rapport Wolfowitz se signale, du reste, par l’insistance qu’il met à privilégier la puissance militaire comme instrument essentiel de la prépondérance internationale des Etats-Unis qu’il s’agit de préserver. Un paragraphe révélateur à cet égard précise qu’une puissance militaire dominante doit être maintenue « pour dissuader d’éventuels rivaux, ne serait-ce que d’aspirer à un rôle régional ou global plus grand ». Et les auteurs du rapport reviennent sur l’importance fondamentale d’une présence militaire notable partout où la position prépondérante des Etats-Unis pourrait être remise en cause.
De même, sont-ils très explicites quant aux conditions d’emploi de cette puissance militaire. Ils évoquent, à plusieurs reprises, l’intérêt d’actions qui seraient entreprises dans un cadre collectif, par exemple celui des Nations unies ou d’une coalition plus ou moins large comme ce fut le cas à propos de l’Irak. Mais ils envisagent expressément le cas où les Etats-Unis devraient agir seuls et considèrent qu’ils ne devraient pas hésiter à le faire, mais, au contraire, s’y préparer. Le plus important, écrivent-ils, est de comprendre que « l’ordre international est en définitive garanti par les Etats-Unis », et que ceux-ci « doivent se mettre en situation d’agir indépendamment quand une action collective ne peut être mise sur pied ou en cas de crises nécessitant une action immédiate ».
Il restait à prévoir l’application de cette politique aux divers « théâtres d’opérations ». La préoccupation des auteurs du rapport Wolfowitz porte sur l’éventuelle résurgence d’une grande puissance à l’Est. Le document évoque « les risques pour la stabilité en Europe d’un regain du nationalisme en Russie ou d’une tentative de rattacher à nouveau à la Russie des pays devenus indépendants : l’Ukraine, la Biélorussie ou, éventuellement, d’autres encore ». Ici apparaît la préoccupation principale de la politique étrangère américaine dans la période à venir : maintenir à tout prix la dislocation de l’ancienne Union soviétique, l’accentuer au besoin, éviter en tout cas toute reconstitution d’une puissance forte en Russie ou autour de la Russie.
Le rapport Jeremia est tout aussi révélateur : sur les sept scénarios qu’il envisage, deux concernent l’Union soviétique. Outre un conflit avec l’Irak, avec la Corée du Nord ou avec ces deux Etats à la fois, une intervention militaire au Panama ou dans un autre Etat d’Amérique centrale et une intervention aux Philippines ou dans un autre pays d’Extrême-Orient où les intérêts des ressortissants américains seraient menacés, il prévoit un conflit avec la Russie elle-même si elle tentait de déborder de ses frontières actuelles, en particulier si elle agissait en faveur des populations russes des pays baltes, et un conflit avec une coalition nouvelle que dirigerait une grande puissance « agressive », et le contexte permet de comprendre qu’il s’agirait, à nouveau, de la Russie.
Une fois de plus se trouve tranché par là le débat qui divisa quelque temps les spécialistes et responsables des relations internationales quant aux véritables objectifs de la politique américaine concernant l’ancienne Union soviétique (3) : c’est bel et bien sa dislocation qu’elle a toujours recherchée, réserve faite de la phase durant laquelle elle a dû la ménager soit pour obtenir son concours durant la crise et la guerre du Golfe, soit pour permettre la conclusion et l’application des accords prévoyant les premières grandes étapes de désarmement nucléaire et conventionnel. Mais dès que l’existence d’un pouvoir central soviétique ne fut plus jugée utile aux intérêts politiques et stratégiques des Etats-Unis, c’est la dislocation de l’URSS, préconisée dès que les premiers signes en furent perceptibles par bon nombre de responsables américains, qui devint l’objectif stratégique essentiel. En tout cas, il est aujourd’hui considéré comme primordial. Les passages déjà cités du rapport Wolfowitz le montrent à l’évidence. D’autres sont plus révélateurs encore, comme ceux concernant la nécessité de préparer la défense à opposer à une menace résurgente venant de Russie, en faveur des pays de l’est de l’Europe « quelle que soit la décision que l’alliance prendrait à cet égard ».
Les deux rapports que nous citons explicitent d’ailleurs les dispositions militaires à prévoir en vue d’empêcher toute reconstitution d’une grande puissance à l’Est. L’un des scénarios envisagés par le rapport Jeremia concerne un éventuel conflit à propos des pays baltes où 18 divisions russes et 5 divisions biélorusses interviendraient en faveur des populations russophones : le rapport énumère toutes les forces qui devraient être rassemblées en territoire polonais, y compris 18 divisions occidentales dont 7 américaines et 66 escadrons de la force aérienne tactique de l’OTAN dont 45 américains... avec, en perspective, la victoire au bout de quatre-vingt-dix jours. De son côté, le rapport Wolfowitz énonce comme essentielle dans la politique américaine la préoccupation de garantir que « la dislocation de l’ancien appareil militaire soviétique élimine toute possibilité pour n’importe quel Etat qui en aurait la succession d’engager un conflit conventionnel majeur ».
C’est aussi dans cette optique que la question de la non-prolifération des armes nucléaires doit être abordée. A plusieurs reprises, le rapport Wolfowitz insiste sur la nécessité d’éviter que d’autres puissances que celles qui en détiennent aujourd’hui soient à même de s’en procurer ou d’en construire. En même temps il convient de continuer à braquer une partie de l’arsenal américain contre les dispositifs essentiels de l’ancien arsenal soviétique « parce que la Russie reste l’unique puissance au monde qui puisse détruire les Etats-Unis ». Mais il ressort de la lecture de ce rapport qu’il s’agit bien d’éviter que n’importe quelle autre puissance, en dehors des Etats ayant acquis déjà un arsenal nucléaire, puisse s’en doter et arriver ainsi à compenser ou neutraliser, où que ce soit dans le monde, la suprématie absolue des forces conventionnelles américaines : c’est, de toute évidence, la leçon qu’aux Etats-Unis comme ailleurs on tire de la guerre du Golfe.
Le souci fondamental de préserver le statut de superpuissance unique des Etats-Unis ne vaut pas seulement pour leurs anciens adversaires, mais aussi pour leurs alliés. C’est l’un des points sur lesquels le rapport Wolfowitz est le plus clair. « Nous devons agir, peut-on lire, en vue d’empêcher l’émergence d’un système de sécurité exclusivement européen qui pourrait déstabiliser l’OTAN. »
Cette préoccupation s’est déjà traduite dans les démarches de la diplomatie américaine au moment de la conférence atlantique de Rome, en novembre dernier, quand elle s’engagea fermement afin d’éviter toute référence à la perspective d’un système de défense spécifiquement européen et indépendant de l’organisation militaire atlantique qui pourrait être fondé à l’avenir, comme les représentants français cherchaient à en défendre l’idée.
Le Royaume-Uni intervint alors très efficacement en faveur du point de vue américain, et l’on notera que son intervention fut tout aussi efficace lors des discussions de Maastricht sur la politique de sécurité commune que les Etats européens pourraient définir dans l’avenir, puisqu’il y est précisé non seulement que cette politique doit respecter les « obligations découlant pour certains Etats membres du traité de l’Atlantique Nord », mais qu’elle doit être « compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre » (le cadre du traité de l’Atlantique Nord) (4).
Pour ²²²²²En d’autres termes, si les accords de Maastricht sont ratifiés, une défense européenne — dont l’élaboration est d’ailleurs rejetée à plus tard — devra être « compatible » avec ce qui a été décidé au sein de l’organisation militaire atlantique : tout simplement il n’y aurait pas de défense européenne à moins qu’elle ne soit conforme aux exigences des doctrines, des orientations et de la stratégie de l’OTAN. Pour garantir qu’il en soit bien ainsi à l’avenir, le rapport Wolfowitz déclare qu’une présence américaine substantielle en Europe et le maintien d’une rigoureuse cohésion à l’intérieur de l’alliance occidentale demeurent « d’une importance vitale ».
Prenant en compte les changements intervenus dans les rapports de forces dans le monde, le rapport traite en particulier des relations avec l’Allemagne et le Japon. De façon très symptomatique, dans l’un de ses premiers paragraphes, il qualifie de victoire « moins visible » remportée au terme de la guerre froide « l’intégration de l’Allemagne et du Japon dans un système de sécurité collective dirigé par les Etats-Unis ». Il exclut naturellement l’accession des deux pays au rang de puissance nucléaire militaire et, confirmant ainsi la volonté américaine de conserver une position prépondérante dans le domaine spécifique de l’armement nucléaire, il prévoit que les Etats-Unis, retirant d’Europe leurs armes nucléaires tactiques basées sur terre et en mer, n’envisagent d’aucune manière le retrait de leurs missiles nucléaires tactiques air-sol basés en Europe.
La même préoccupation concernant le risque de l’émergence d’une grande puissance militaire en Extrême-Orient fait écrire aux auteurs du rapport que les Etats-Unis, même si leurs forces peuvent y être diminuées, doivent garder « leur statut de puissance militaire de première grandeur (first magnitude) dans la région ». Et, pour que tout soit clair, ils précisent : « Ainsi, les Etats-Unis resteront capables de contribuer à la stabilité et à la sécurité régionales (...) et d’empêcher l’émergence d’un vide stratégique ou de n’importe quelle hégémonie régionale. » Ils ajoutent même qu’un retrait américain pourrait provoquer une réponse du Japon qui ne serait pas souhaitable et qu’il faut aussi « rester attentif aux risques de déstabilisation qui viendraient d’un rôle accru de la part de nos alliés, en particulier le Japon mais aussi, éventuellement, de la Corée ».
L’éventualité d’un nouvel écrasement de l’Irak, l’hypothèse d’un conflit qui empêcherait la Corée du Nord de devenir une puissance nucléaire, une possible intervention en Amérique centrale, sous le prétexte de prévenir le développement du commerce de la drogue, ou aux Philippines, pour limiter les conséquences du retrait des bases américaines, ne sont que des illustrations relativement secondaires de la même préoccupation : le maintien rigoureux des Etats-Unis au rang de seule et unique superpuissance au monde. Les moyens peuvent en différer selon qu’il s’agit d’interdire toute reconstitution d’une grande puissance à l’Est, d’empêcher les alliés des Etats-Unis de contester leur position prépondérante ou d’interdire l’émergence d’un nouveau centre de pouvoir en Extrême-Orient ; mais l’objectif est le même — la préservation d’une hégémonie exclusive — et implique, en tout cas, une capacité permanente d’intervention où que ce soit dans le monde.
Paul-Marie de La Gorce
Directeur de la revue Défense nationale, auteur de Requiem pour les révolutions, Flammarion, Paris, 1990.
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Notes
(1) The New York Times, 8 mars 1992, et International Herald Tribune, 9 mars 1992.
(2) International Herald Tribune, 18 février 1991.
(3) Cf. Paul-Marie de La Gorce, « Sous l’œil de Washington », le Monde diplomatique, septembre 1991.
(4) Traité sur l’union européenne, titre V, article J 4, paragraphe 4.
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2 – Les Etats-Unis maîtres du monde
Source : Le Monde diplomatique. Avril 1997
https://www.monde-diplomatique.fr/1...
par Dominique Vidal
« L’empire américain est le seul au monde, c’est une hégémonie exclusive et c’est la première fois que ce phénomène étrange survient dans l’histoire de l’humanité » : tel est le point de départ du dernier livre de Paul-Marie de La Gorce (1). Au lendemain de la guerre du Golfe, l’auteur avait analysé, dans Le Monde diplomatique, le rapport de Paul D. Wolfovitz, qui prônait « un comportement constructif et une force militaire suffisante pour dissuader n’importe quelle nation ou groupe de nations de défier la suprématie des Etats-Unis (2) ». Cinq ans plus tard, cette stratégie a remporté tant de succès qu’elle paraît, à la veille du nouveau millénaire, quasiment invincible.
« L’ordre établi ? » « L’ordre menacé ? » « L’ordre renversé ? » questions, qui servent de titres aux trois parties de son livre, Paul-Marie de La Gorce répond respectivement par un « oui », un « oui mais » et un « non ». Oui, le joug des Etats-Unis s’est imposé à toute la planète après l’effondrement du communisme. Oui, des forces entendent le secouer, mais elles n’en ont pas les moyens. Et non, rien n’indique qu’elle les obtiennent bientôt.
Au journalisme événementiel, qui décrit l’actualité plutôt que de l’expliquer, Paul-Marie de La Gorce a toujours opposé un effort d’interprétation, en profondeur et sur le long terme, des relations internationales. Avec un sens de la synthèse qui n’empêche pas les souvenirs professionnels, voire les convictions intimes de l’auteur de pointer ici ou là, il nous entraîne dans un tour du monde géopolitique rapide, éclairant.
L’Union européenne contrepoids aux Etats-Unis ? Mais aucun des pays membres ne veut ni ne peut prendre ses distances avec Washington, pas même la France — désormais prise au piège du traité de Maastricht. La Russie est « ramenée, ou à peu près, constate l’auteur, à la situation territoriale qu’elle connaissait au début du XVIIe siècle, avant la victoire de Pierre le Grand sur Charles XII » —, elle a perdu, au profit des Etats-Unis et de leurs alliés, une bonne part de son influence en Europe et en Asie centrale.
« C’est en Extrême-Orient, note l’auteur, que se jouera l’équilibre du monde », mais le Japon, sur le déclin, préfère s’associer étroitement aux Etats-Unis, l’Inde voit son unité menacée, tandis que l’irrésistible montée en puissance de la Chine ne prendra corps que dans un lointain avenir. L’Afrique est à l’écart, et l’Amérique latine, qui a tourné la page des guérillas, attend la prospérité du modèle américain. Reste « l’arc de crise », où l’islamisme, hier considéré à Washington comme un « barrage aux révolutions », « conduit maintenant l’immense cortège des déceptions, des frustrations, des humiliations », mais sans être en mesure d’inquiéter sérieusement les Etats-Unis.
« Tout empire périra. » Paul-Marie de La Gorce évoque, non sans perplexité, cette leçon de l’histoire. Ecrasante, la supériorité militaire des Etats-Unis exclut toute nouvelle guerre mondiale. Même en recourant à l’arme chimique ou à l’arme nucléaire « rustique », aucun ennemi ne pourrait échapper au sort tragique de l’Irak. Pareillement, ni le terrorisme, ni la guérilla, ni une combinaison des deux ne saurait atteindre profondément Washington. Seule l’Intifada palestinienne, note-t-il, « a introduit cette phase de l’Histoire où, pour gagner, il faudra une combinaison des forces : politiques, économiques, sociales, armées, médiatiques »…
Maîtres du monde, comment les Etats-Unis feront-t-ils face au chaos engendré par l’ordre même qu’ils imposent à la planète ? A l’heure où l’Europe voit un Etat — l’Albanie — imploser « à l’africaine », l’auteur survole, en conclusion, ce paradoxe. Il souligne à quel point les nations comme les Etats sont déstabilisés, « en haut » par la dictature des marchés financiers, « en bas » par la montée des communautarismes, et insiste sur le terrible fossé qui se creuse, à l’échelle du monde et de chaque pays, entre riches et pauvres. Mais il prend également acte de l’évanouissement du rêve révolutionnaire. Et de conclure sur cette question : « L’autre Moyen Age a duré des siècles : le nôtre restera-t-il longtemps comme il est, avec l’Empire qui le domine et les tempêtes qui se déchaînent contre lui ? »
Dominique Vidal
Journaliste et historien, dirige avec Bertrand Badie la publication annuelle L’État du monde, La Découverte, Paris.
* Notes
(1) Paul-Marie de La Gorce, Le Dernier empire. Le XXIe siècle sera-t-il américain ?, Grasset, 1996, 241 pages, 118 F.
(2) Lire Paul-Marie de La Gorce, « Washington et la maîtrise du monde », Le Monde diplomatique, avril 1992.
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3 – le grand échiquier de Brzezinski. Résumé du livre.
Cet ouvrage constitue aussi une pièce maîtresse de la géo politique nord-américaine.
Le lecteur de cet article trouvera notamment des informations sur la politique géostratégique vis-à-vis de l’Ukraine.
Source Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Gr...)
4 – George Friedman, les Etats-Unis et l’Europe
https://www.gauchemip.org/spip.php?...
5 –Les rapports de laRand Corporation de 2019.
La Rand Corporation est un groupe d’études stratégiques travaillant pour le Pentagone et la CIA. Il a une grande importance pour orienter la politique extérieure nord-américaine. Il met en œuvre plus concrètement la géo stratégie hégémonique nord américaine vue dans les paragraphes précédents
Le rapport de 2019 de laRand Corporation.
Ce rapport examine les vulnérabilités (supposées !) économiques, politiques et militaires de la fédération de Russie. Il établit différents scénarios pour l’affaiblir notamment une pluie de sanctions économiques, une déstabilisation du gouvernement russe et ukrainien, etc. voici le titre de ce rapport :
"Extending Russia : Competing from Advantageous Ground"
Pour consulter ce rapport en ligne, on peut se rendre sur le site web de la Rand Corporation : https://www.rand.org/pubs/research_...
Un autre rapport de la Rand Corporation portant sur la Russie et publié en 2019 .
"Overextending and Unbalancing Russia : Assessing the Impact of Cost-Imposing Options" Ce rapport explore spécifiquement les options qui pourraient affaiblir l’économie russe et ainsi limiter son influence. Lien : https://www.rand.org/pubs/research_...
Sans entrer dans les détails ici du déroulement des événements depuis 2013 en Ukraine : construction du mouvement de protestation euroMaïdan par la CIA, des oligarques ukrainiens, des groupes d’extrêmes droites ultranationalistes, des O.N.G. trop américaines, coup d’état constitutionnel téléguidé par les États-Unis le 23 février 2014, mise en échec volontaire par le gouvernement ukrainien et des occidentaux des accords de Minsk en 2014 et 2015, interdiction d’utiliser la langue russe comme langue officielle des la mises en place du gouvernement fantoche dont les ministres sont choisis par VictoriaMuland secrétaire d’État des États-Unis ; répression armée des mouvements de protestation dans le don basse occasionnant entre 2014 et 2022 14 300 morts dont 3400 civils et s’accompagnant d’une multitude de crimes de guerre passée sous silence par la totalité de la presse occidentale et des forces politiques de gauche comme de droite à l’exception de quelques personnalités souverainistes de droite.
Un plan d’extermination de la population du don basse est prévu depuis 2019 par le gouvernement ukrainien. À partir de janvier 2022 le gouvernement ukrainien intensifie très fortement les bombardements sur la population du don bass.
Comme prévu, par les géostratéges du Pentagone et de la CIA, la Russie est contrainte intervenir par application de l’article 51 de la Chartres des Nations unies pour éviter un génocide.
La pluie de sanctions peut alors s’abattre sur la fédération de Russie et celle-ci peut être mis au banc des accusés pour avoir franchi la frontière ukrainienne et commencer une invasion évidemment la quasi-totalité de la population y compris les responsables politiques, du moins pour une grande majorité, n’ayant jamais été informé des massacres dans le don bass (sans compter une multitude de discriminations) et du coup d’état présenté comme « révolution de la dignité » ont considéré l’Ukraine comme victime et la Russie comme coupable. Une bonne dose de diabolisation de Poutine achève la manipulation de masse.
On ne peut être qu’admiratif devant l’extraordinaire puissance dusoft power nord américain qui a été capable d’irriguer tous les médias est quasiment toutes les têtes.
Ce petit résumé peut permettre de mieux comprendre l’allocution du ministre des affaires étrangères russes au conseil de sécurité de l’ONU en ce mois de juillet 2024.
C’est une réponse aux prétentions hégémoniques nord américaines que nous avons rappelées dans les paragraphes 1 à 6.
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Allocution de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies sur la coopération multilatérale pour la formation d’un ordre mondial plus juste, démocratique et durable, New York, 16 juillet 2024
6. 1 forme orale : excellente traduction du russe en français.
https://www.youtube.com/watch?v=kaS...
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6. 2 formes écrites de l’allocution en français.
Craignant une disparition du lien précédent sur Internet, il m’a semblé nécessaire d’enregistrer la forme écrite.
https://mid.ru/fr/foreign_policy/ne...
Voici le texte intégral qui pourrait s’avérer avoir une importance historique majeure.
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Je voudrais chaleureusement saluer les hauts représentants présents dans la salle du Conseil de sécurité. Leur participation à cette séance confirme l’importance du sujet discuté. Conformément à la règle 37 des procédures provisoires du Conseil, j’invite à participer à la réunion les représentants de l’Australie, du Bangladesh, de la Biélorussie, de l’État plurinational de Bolivie, du Brésil, de la Hongrie, de la République bolivarienne du Venezuela, du Vietnam, du Ghana, du Guatemala, de la République dominicaine, de l’Égypte, de l’Inde, de l’Indonésie, de l’Irak, de la République islamique d’Iran, du Kazakhstan, du Cambodge, de Cuba, du Koweït, des Maldives, du Maroc, du Népal, du Nicaragua, des Émirats arabes unis, du Pakistan, de l’Arabie saoudite, de la Serbie, de la République arabe syrienne, de la Thaïlande, du Timor-Leste, de la Turquie, de l’Ouganda, des Philippines, du Chili, de l’Éthiopie et de l’Afrique du Sud.
Conformément à la règle 39 des procédures provisoires du Conseil, j’invite à participer à cette réunion le chef de la délégation de l’Union européenne auprès des Nations unies, Son Excellence Stavros Lambrinidis.
Le Conseil de sécurité de l’ONU commence l’examen du point 2 de l’ordre du jour. Je voudrais attirer l’attention des membres du Conseil sur le document S/2024/537 - une lettre du Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’ONU datée du 9 juillet 2024, adressée au Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, transmettant une note conceptuelle sur le point en discussion.
Mesdames et Messieurs,
Votre Excellence,
Aujourd’hui, les fondements mêmes de l’ordre juridique international, à savoir la stabilité stratégique et le système politique mondial centré sur l’ONU, sont mis à l’épreuve. Il est impossible de résoudre les conflits croissants sans en comprendre les causes profondes et sans restaurer la foi en notre capacité à unir nos efforts pour le bien commun et la justice pour tous.
Soyons francs : parmi tous les États représentés dans cette salle, peu reconnaissent le principe clé de la Charte des Nations unies : l’égalité souveraine de tous les États. Les États-Unis ont depuis longtemps proclamé leur propre exclusivité par la voix de leurs présidents. Cela concerne l’attitude de Washington envers ses alliés, desquels il exige une obéissance sans faille, même au détriment de leurs intérêts nationaux.
Dirige, Amérique ! Voilà le sens du fameux "ordre fondé sur les règles", une menace directe à la multilatéralité et à la paix internationale.
Les composants essentiels du droit international, qui sont la Charte des Nations unies et les décisions de notre Conseil, sont interprétés de manière déformée et sélective par l’Occident collectif, en fonction des instructions venant de la Maison Blanche. De nombreuses résolutions du Conseil de sécurité sont même ignorées. Parmi elles, la résolution 2202, approuvant les Accords de Minsk sur l’Ukraine, et la résolution 1031, validant l’Accord de paix de Dayton sur la Bosnie-Herzégovine basé sur le principe d’égalité des trois peuples constitutifs et des deux entités. On pourrait parler indéfiniment du sabotage des résolutions sur le Moyen-Orient, l’exemple étant la déclaration de Antony Blinken dans une interview à CNN en février 2021, en réponse à une question sur ce qu’il pense de la décision de l’administration américaine précédente de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan syrien. Si quelqu’un ne s’en souvient pas, je vais rafraîchir votre mémoire. En réponse à cette question, le secrétaire d’État a déclaré : "Si on laisse de côté la question de la légalité, d’un point de vue pratique, le plateau du Golan est très important pour la sécurité d’Israël." Et ce, bien que la résolution 497 du Conseil de sécurité de l’ONU de 1981, que nous connaissons bien, qualifie l’annexion du plateau du Golan par Israël comme illégale. Mais, selon ces "règles", il faut, pour citer Antony Blinken, "laisser de côté la question de la légalité". Et, bien sûr, tout le monde se souvient de la déclaration du représentant permanent des États-Unis selon laquelle la résolution 2728 adoptée le 25 mars de cette année, demandant un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza, "n’a pas de caractère juridiquement contraignant". C’est-à-dire que les "règles" américaines sont plus importantes que l’article 25 de la Charte des Nations unies.
Au siècle dernier, George Orwell avait déjà prédit le sens d’un "ordre fondé sur des règles" dans sa nouvelle La Ferme des animaux : "Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres." Si vous suivez la volonté de l’hégémon, tout vous est permis. Mais si vous osez défendre vos intérêts nationaux, vous serez déclaré paria et soumis à des sanctions.
La politique hégémonique de Washington ne change pas depuis des décennies. Tous les systèmes de sécurité euro-atlantiques ont été conçus pour assurer la domination des États-Unis, y compris la subordination de l’Europe et l’"endiguement" de la Russie. Un rôle clé était imparti à l’Otan, qui a fini par s’emparer de l’Union européenne, supposément créée pour les Européens. Les structures de l’OSCE ont été impudemment privatisées en violation flagrante de l’Acte final d’Helsinki.
L’expansion sans scrupules de l’Otan, en dépit des nombreux avertissements de Moscou au fil des ans, a provoqué la crise ukrainienne, à commencer par le coup d’État organisé par Washington en février 2014 pour prendre le contrôle total de l’Ukraine en vue de préparer une offensive contre la Russie avec l’aide du régime néonazi mis au pouvoir. Lorsque Piotr Porochenko, puis Vladimir Zelenski menaient la guerre contre leurs propres citoyens dans le Donbass, éliminaient législativement l’éducation russe, la culture russe, les médias russes et dans l’ensemble la langue russe, et interdisaient l’Église orthodoxe ukrainienne, personne en Occident ne le remarquait, n’exigeait de ses protégés à Kiev de "respecter les convenances", de ne pas violer les conventions internationales sur les droits des minorités nationales, ni même la Constitution ukrainienne qui exige le respect de ces droits. C’est précisément pour éliminer les menaces à la sécurité de la Russie et protéger les personnes se sentant partie intégrante de la culture russe et vivant sur des terres établies depuis des siècles par leurs ancêtres, pour les sauver de l’extermination légale, voire physique, que l’opération militaire spéciale a été lancée.
Il est révélateur que même maintenant, alors que de nombreuses initiatives pour un règlement ukrainien sont proposées, peu se souviennent des violations des droits de l’homme et des minorités nationales par Kiev. Ce n’est que récemment que des documents de l’UE concernant le début des négociations d’adhésion de l’Ukraine ont formulé une exigence correspondante, principalement grâce à la position de principe et persistante de la Hongrie. Cependant, les capacités et la volonté réelles de Bruxelles d’influencer le régime de Kiev suscitent des doutes.
Nous appelons tous ceux qui manifestent un intérêt sincère pour surmonter la crise en Ukraine à inclure dans leurs propositions la question cruciale des droits de toutes les minorités nationales sans exception. Ignorer ce problème dévalorise les initiatives de paix et approuve de facto la politique raciste de Vladimir Zelenski. Il est à noter qu’en 2014 (il y a dix ans), Vladimir Zelenski disait : "Si les gens dans l’Est de l’Ukraine et en Crimée veulent parler russe, laissez-les faire, laissez-les parler russe légalement. La langue ne divisera jamais notre pays natal." Depuis, Washington l’a bien rééduqué, et en 2021, Vladimir Zelenski déclarait dans une interview que ceux qui se sentent liés à la culture russe devraient partir en Russie pour l’avenir de leurs enfants et petits-enfants.
Je m’adresse aux maîtres du régime ukrainien : faites en sorte qu’il respecte l’article 1.3 de la Charte des Nations unies, garantissant les droits et libertés fondamentaux de tous les peuples "sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion".
Chers collègues,
La guerre que l’Otan a déclenchée contre la Russie par l’intermédiaire du gouvernement illégitime de Kiev ne suffit plus à l’Alliance de l’Atlantique Nord, tout comme l’ensemble de l’espace de l’OSCE. Après avoir presque totalement détruit les accords fondamentaux en matière de contrôle des armements, les États-Unis continuent d’exacerber la confrontation. Récemment, lors du sommet de Washington, les dirigeants des pays de l’Alliance ont affirmé leurs revendications d’un rôle de premier plan non seulement dans l’espace euro-atlantique, mais aussi dans la région Asie-Pacifique. Il est déclaré que l’Otan reste guidée par la mission de protéger le territoire de ses membres, mais pour ce faire, il est soi-disant nécessaire d’étendre la domination de l’Alliance à l’ensemble du continent eurasiatique et aux zones maritimes adjacentes. L’infrastructure militaire de l’Otan avance dans la région du Pacifique avec pour objectif évident de saper l’architecture axée sur l’Asean, construite pendant des décennies sur des principes d’égalité, de prise en compte des intérêts mutuels et de consensus. Les mécanismes inclusifs autour de l’Asean sont remplacés par des blocs fermés et conflictuels, soumis aux États-Unis et à leurs alliés, comme l’Aukus et divers types de "quartets" et de "trios". Récemment, la sous-secrétaire américaine à la Défense, Kathleen Hicks, a déclaré que les États-Unis et leurs alliés "doivent se préparer à des guerres prolongées, et pas seulement en Europe".
Pour "endiguer" la Russie, la Chine et d’autres pays dont la politique indépendante est perçue comme un défi à l’hégémonie, l’Occident, par ses actions agressives, démolit le système de mondialisation initialement créé selon ses propres règles. Washington a tout fait pour détruire (y compris littéralement, par des actes de sabotage des pipelines Nord Stream) les bases de la coopération énergétique mutuellement bénéfique entre la Russie, l’Allemagne et l’Europe dans son ensemble. Berlin est resté silencieux à l’époque. Aujourd’hui, nous voyons une autre humiliation de l’Allemagne, dont le gouvernement s’est soumis sans condition à la décision des États-Unis de déployer des missiles terrestres américains à moyenne portée sur le sol allemand. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a même dit naïvement : "Les États-Unis ont décidé de déployer des systèmes de frappe de haute précision en Allemagne, et c’est une bonne décision." Les États-Unis ont décidé.
Et malgré tout cela, John Kirby, coordinateur de la communication stratégique à Washington, déclare au nom du Président des États-Unis : "Nous ne cherchons pas à déclencher une troisième guerre mondiale. Cela aurait des conséquences horribles pour le continent européen." Comme on dit, un lapsus freudien : Washington est convaincu qu’une nouvelle guerre mondiale ne portera pas préjudice aux États-Unis, mais à leurs alliés européens. Si l’administration Biden fonde sa stratégie sur cette analyse, c’est une erreur extrêmement dangereuse. Quant aux Européens, ils doivent bien sûr comprendre quel rôle suicidaire leur est destiné.
Les Américains, en mobilisant tout l’Occident collectif, étendent la guerre économique et commerciale contre ceux qui leur déplaisent, lançant une campagne sans précédent de mesures coercitives unilatérales, qui se retournent avant tout contre l’Europe et conduisent à une fragmentation accrue de l’économie mondiale. Les pratiques néocoloniales des pays occidentaux nuisent aux pays du Sud global en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Les sanctions illégales, les nombreuses mesures protectionnistes et les restrictions d’accès aux technologies contredisent directement le véritable multilatéralisme et créent de sérieux obstacles à la réalisation des objectifs de l’agenda de développement de l’ONU.
Où sont tous ces attributs du marché libre auxquels les États-Unis et leurs alliés nous habituaient pendant tant d’années ? L’économie de marché, la concurrence loyale, l’inviolabilité de la propriété, la présomption d’innocence, la liberté de déplacement des personnes, des biens, des capitaux et des services. Tout cela est aujourd’hui relégué aux oubliettes. La géopolitique a enterré les lois du marché autrefois sacrées pour l’Occident. Récemment, nous avons entendu des exigences publiques des responsables américains et européens envers la Chine de réduire la "surproduction" dans les secteurs de haute technologie, car l’Occident a commencé à perdre ses avantages de longue date dans ces domaines. Désormais, les fameuses "règles" remplacent les principes du marché.
Chers collègues,
Les actions des États-Unis et de leurs alliés empêchent la coopération internationale et la construction d’un monde plus juste, prennent en otage des pays et des régions entières, empêchent les peuples de réaliser les droits souverains inscrits dans la Charte des Nations unies et détournent l’attention du travail commun indispensable pour régler les conflits au Moyen-Orient, en Afrique et dans d’autres régions, pour réduire les inégalités mondiales, éliminer les menaces du terrorisme et des crimes liés à la drogue, à la faim et à aux maladies.
Je suis convaincu qu’on peut remédier à cette situation, bien sûr avec de la bonne volonté. Afin d’arrêter l’évolution des événements selon un scénario négatif, nous aimerions proposer à discuter d’un certain nombre de mesures visant à rétablir la confiance et à stabiliser la situation internationale.
1. Il est nécessaire d’éliminer une fois pour toutes les causes profondes de la crise qui a éclaté en Europe. Les conditions pour établir une paix durable en Ukraine ont été définies par le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine, je ne vais pas les répéter.
Un règlement politique et diplomatique doit être accompagné de mesures concrètes pour éliminer les menaces contre la Fédération de Russie émanant de l’Occident et de la région euro-atlantique. Lors de la négociation de garanties et d’accords mutuels, il faudra prendre en compte les nouvelles réalités géostratégiques du continent eurasien où se forme une architecture pancontinentale de sécurité véritablement égale et indivisible. L’Europe risque de prendre du retard sur ce processus historique objectif. Nous sommes prêts à trouver un équilibre des intérêts.
2. Le rétablissement de l’équilibre des forces régional et mondial doit s’accompagner d’efforts actifs pour lutter contre les inégalités dans l’économie mondiale. Dans un monde multipolaire, par définition, il ne devrait y avoir aucun monopole en matière de réglementation monétaire et financière, de commerce ou de technologie. La grande majorité des membres de la communauté mondiale partage ce point de vue. La réforme rapide des institutions de Bretton Woods et de l’OMC, dont les activités devraient refléter le poids réel des centres de croissance et de développement non occidentaux, revêt une importance particulière.
3. Des changements sérieux et qualitatifs doivent se produire dans d’autres institutions de gouvernance mondiale si nous voulons qu’elles fonctionnent dans l’intérêt de tous. Cela concerne tout d’abord notre Organisation, qui reste malgré tout l’incarnation du multilatéralisme, possède une légitimité unique et universelle et une étendue de compétences généralement reconnues.
Un pas important vers le rétablissement de l’efficacité de l’ONU serait que tous ses membres réaffirment leur attachement aux principes de la Charte des Nations unies, et non de manière sélective, mais dans leur intégralité et leur interconnexion. Nous pouvons réfléchir ensemble à la forme que pourrait prendre une telle reconfirmation.
Le Groupe des amis pour la défense de la Charte des Nations unies, crée à l’initiative du Venezuela, fait un travail considérable. Nous invitons tous les pays qui croient à la primauté du droit international à se joindre à son travail.
Un élément clé de la réforme de l’ONU devrait être un changement dans la composition du Conseil de sécurité, même si cela ne permettra pas à elle seule d’aboutir à un travail productif à moins qu’il n’y ait un accord de base sur le modus operandi entre les membres permanents. Cette considération n’annule cependant pas l’impératif d’éliminer les déséquilibres géographiques et géopolitiques au Conseil de sécurité, où aujourd’hui les pays de l’Occident collectif sont clairement surreprésentés. Parvenir à l’accord le plus large possible sur les paramètres spécifiques de la réforme visant à renforcer la représentation de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine est une mesure attendue depuis longtemps.
Des changements sont également nécessaires dans la politique des services du personnel du Secrétariat afin d’éliminer la domination des citoyens des pays occidentaux dans les structures administratives de l’Organisation. Le Secrétaire général et son personnel sont tenus de respecter strictement, sans aucune exception, les principes d’impartialité et de neutralité prescrits par l’art. 100 de la Charte des Nations unies, que nous ne nous lassons pas de vous rappeler.
4. Outre l’ONU, d’autres associations multilatérales sont appelées à contribuer au renforcement des principes multipolaires de la vie internationale. Parmi elles le G20, qui comprend à la fois les pays de la majorité mondiale et les États occidentaux. Le mandat du G20 est strictement limité aux questions d’économie et de développement. Il est donc important qu’un dialogue de fond sur cette plateforme soit exempt de tentatives opportunistes d’introduire des thèmes géopolitiques. Sinon, nous ruinerons cette plateforme utile.
Les Brics et l’Organisation de coopération de Shanghai jouent un rôle de plus en plus important dans la construction d’un ordre multilatéral équitable fondé sur les principes de la Charte des Nations unies. Ils rassemblent des pays représentant différentes régions et civilisations, coopérant sur la base de l’égalité, du respect mutuel, du consensus et de compromis mutuellement acceptables, ce qui est la règle d’or de l’interaction multilatérale impliquant les grandes puissances.
Les associations régionales telles que la CEI, l’OTSC, l’Union économique eurasiatique, l’Asean, le Conseil de coopération du Golfe, la Ligue arabe, l’Union africaine et la Communauté d’États latino-américains et Caraïbes revêtent une importance pratique pour l’établissement de la multipolarité. Nous considérons comme une tâche importante d’établir des liens polyvalents entre eux, notamment en utilisant le potentiel de l’ONU. La présidence russe du Conseil consacrera l’une de ses prochaines réunions à l’interaction entre l’ONU et les organisations régionales eurasiennes.
Chers collègues,
S’exprimant lors du forum parlementaire des Brics le 9 juillet 2024 à Saint-Pétersbourg, le Président russe Vladimir Poutine a déclaré : "La formation d’un ordre mondial qui reflète le véritable équilibre des forces est un processus complexe et même douloureux à bien des égards." Nous pensons que les discussions sur ce sujet doivent être menées sans tomber dans des polémiques inutiles, sur la base d’une analyse sobre de l’ensemble des faits. Il faut avant tout restaurer une diplomatie professionnelle, une culture du dialogue, la capacité d’écouter et d’entendre, et maintenir des canaux de communication de crise. La vie de millions de personnes dépend de la capacité des hommes politiques et des diplomates à formuler une vision commune de l’avenir. La diversité et l’équité de notre monde dépendent uniquement des pays membres. Je voudrais souligner une fois de plus qu’il existe un point d’appui, c’est la Charte de notre Organisation. Si tout le monde, sans exception, suit son esprit et sa lettre, l’ONU sera alors en mesure de surmonter les divergences actuelles et de parvenir à un dénominateur commun sur la plupart des questions. La fin de l’histoire n’a pas eu lieu. Travaillons ensemble pour commencer l’histoire d’un véritable multilatéralisme, reflétant toute la richesse de la diversité culturelle et civilisationnelle des peuples du monde. Nous vous invitons à une discussion, bien évidemment, elle doit être honnête.
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Commentaires HD
On remarque que les arguments avancés contre les États-Unis sur ses prétentions hégémoniques figurent dans les rapports rédigés par les stratèges nord américains !
L’intervention deLavrov répond au niveau planétaire à cette attitude hégémonique.
Comme l’indique l’article ci-dessus au paragraphe 2, jamais il n’a existé un empire contrôlant la quasi-totalité de la planète par sa puissance financière et militaire.
Or, cet empire est dirigé par un groupe d’Homo sapiens particulièrement bellicistes et prédateurs mettant l’existence même de l’espèce humaine en danger.
Or la guerre en Ukraine a révélé que cet empire est en train de perdre son hégémonie, la Russie étend le premier élément particulièrement récalcitrant depuis les années 2008. D’où le projet persistant de démantèlement par tous les moyens de la fédération de Russie.
Comme le souligne Emmanuel Todd dans son dernier ouvrage « La défaite de l’Occident » les États-Unis sombrent dans le nihilisme ses repères idéologiques régulateurs (dont le protestantisme) ont volé en éclats. Une crise sociale grave s’exprime par une bipolarisation violente du corps politique nord-américain. Le complexe milita rou industriel est la ressource essentielle qui permet la survie économique des États-Unis. Le dollar est en perte de vitesse et lesBRICS remettent en cause l’hégémonie financière, idéologique politique et militaire de l’oligarchie impérialiste américaine.
La détérioration du niveau intellectuel des « élites » américaines et européennes couplée à un désarroi idéologique conduit à retrouver un sens au travers la construction d’un ennemi non seulement intérieur mais aussi extérieur. On les connaît : ce sont la Russie et la Chine. L’émotion haineuse remplace la raison calculatrice d’un capitalisme de marché.
Le bellicisme des gouvernants nord américains s’exprime par une multitude de provocations aux quatre coins de la planète.
Dans un tel contexte, l’usage des armes nucléaires n’est pas du tout à exclure.
Les efforts fournis par les Russes et les Chinois pour faire disparaître les conflits seront-ils pris en compte ? Par un pays qui compte 392 guerres menées dans son histoire depuis 1776, on peut avoir des doutes.
* Les hominines, c’est-à-dire des différentes espèces du genre humain apparaissent il y a environ sept millions d’années. On dénombre actuellement en paléontologie environ une trentaine d’espèces différentes ayant parfois coexisté et effectué des hybridations avant leurs disparitions. Rappelons que Lucie est une australopithèque qui a vécu aux environs de 3,2 millions d’années.
Les néandertaliens sont apparus il y a environ 400 000 ans et ont disparu il y a environ 40 000 ans.
L’Homo sapiens apparaît il y a environ 300 000 années : c’est notre espèce qui a survécu et qui a « colonisé » la planète.
L’Homo sapiens est la seule espèce vivante connue ayant maintenant la capacité de s’autodétruire totalement avec l’arme nucléaire. Allons-nous prochainement assister à cette autodestruction mettant fin à 7 millions d’années d’évolution ?
Après s’être doté d’un savoir scientifique et technologique performant, il serait temps que les Homo sapiens se dotent d’un savoir socio-politique leur permettant d’éviter de se faire gouverner et dominer par des parasites et prédateurs dangereux.
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Hervé Debonrivage
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