Tout le monde a sur l’estomac la « quinzaine sans gauche » que nous venons de subir

mardi 27 novembre 2007.
 

Samedi, je me trouvais à la réunion organisée par le club « A gauche maintenant ». La table ronde finale traitait de la force politique nouvelle à construire à gauche. Je remarque que cette question de la recomposition de la gauche mobilise. A Clermont Ferrand, il y a quinze jours il y avait six cent personnes pour participer au débat sur ce sujet entre Patrice Cohen Seat et moi. A Lyon, plus de deux cent alors même que l’information avait été fort modestement donnée. Le 5 décembre prochain je serai à Torcy, de nouveau avec Patrice Cohen Seat. On va voir. Mais je sais que le thème ne parait plus aussi éloigné des préoccupations ordinaires après ce que nous venons de vivre.

Tout le monde a sur l’estomac la « quinzaine sans gauche » que nous venons de subir. Bien sûr, je mesure ce que ma phrase a d’injuste. La solidarité active des communistes et des trotskistes n’a pas manqué. Mais celle des socialistes ? Les dirigeants ont été en dessous de tout. A Paris, le jour de la manifestation, nous étions bien seuls, Henri Emmanuelli, moi et nos proches du bureau national du PS. Et pour le peu qu’ont fait les autres, les médias ont tué leur parole en y opposant systématiquement celle de Manuel Valls.

Manuel Valls et moi sommes les deux figures opposées du désaccord avec la ligne « d’opposition en gants blancs » de l’équipe qui dirige le PS aujourd’hui. Je note qu’il est davantage sollicité que moi par les médias pour s’exprimer... Y a-t-il une raison « objective » à cette préférence ? Oui, bien sur. Valls vient compléter le tableau dont les propagandistes du gouvernement avaient besoin pour briser la résistance morale des grévistes. Il leur fallait montrer un front sans faille de tous les gens « raisonnables », « qu’ils soient de droite ou de gauche »...Tel est le fond du rêve totalitaire dont le projet se met en place. « Il n’y a qu’une politique possible. D’ailleurs tout le monde est d’accord la dessus. La preuve il y a des gens de droite et de gauche pour le dire. Donc ceux qui ne sont pas d’accord sont des fous, des khmers rouges », et ainsi de suite.

La « conformisation » du système médiatique français

Au cours de cette grève nous aurons été une nouvelle fois les témoins impuissants de la « conformisation » du système médiatique français. Bien sur ce n’est pas un processus univoque. Par exemple « Le Monde » n’a pas refusé de s’excuser pour avoir publié que les étudiants avaient enfermés les journalistes dans un enclos en fil de fer barbelé, alors qu’il s’agissait d’un simple dessin de barbelé sur le sol.

Samedi soir, sur France 5, dans l’émission « Revu et corrigé » Paul Amar a présenté un montage très critique des accroches sur la grève par les journaux télévisés. C’était tout à fait impressionnant : même référence continuelle à « la galère », même harcèlement unilatéral sur les responsabilités des grévistes et l’exaspération des usagers, même silence total sur la responsabilité du gouvernement et du président.

A un autre moment de cette émission, l’équipe de « Revu et corrigé » a présenté le calcul du temps accordé dans ces mêmes médias au fond du dossier par rapport au temps consacré à mettre en scène le conflit et les incidents que provoquent les formes d’action choisies. C’était effrayant. 20 % en moyenne pour le fond, 80 % pour la forme !

Comme je me trouvais sur ce plateau je dois dire que j’ai bien observé comment les trois journalistes qui étaient là ont réellement débattu entre eux à propos de cette situation. Ils n’étaient pas d’accord. Et je crois qu’ils ont bien compris le message que j’ai exprimé au moment où je leur ai dit qu’ils s’aveuglaient s’ils ne voyaient pas combien la méfiance et la colère à leur égard monte de tous côtés alors même tout le monde est demandeur d’une presse libre et indépendante et ne conteste plus le fait que ce soit possible.

Cela m’a amusé de leur dire qu’ils ne cessent de nous demander, à nous « les politiques » comme ils disent, « d’écouter les gens » alors même qu’eux ne le font pas et se murent dans une solidarité professionnelle inconditionnelle dès qu’apparaît une interpellation. Les signes d’espoir sont là. Par exemple c’est le SNJ du journal « Le Parisien » qui a demandé audience à sa direction après la publication de la une sous le titre « STOP » montrant des milliers de gens bloqués sur les quais de métro.

Pour une presse libre et indépendante

Pour ma part je crois que nous pourrions bien et beaucoup avancer vers une presse réellement libre et indépendante si les professionnels étaient plus libres de leurs décisions à propos de leur travail. Et plus encore si ceux-ci prenaient en main eux même la résistance au nivellement en disposant des temps et des moyens pour donner leur point de vue a ce sujet. En attendant le résultat de la situation est consternant.

JUSQU’A LE PEN....mais pas plus loin

On s’en rendait bien compte en voyant ces quatre journalistes face à Le Pen chez Moati. Il se trouve que je les connais tous les quatre. Je sais parfaitement qu’aucun d’entre eux n’a la moindre complaisance pour ce que représente Le Pen. De plus ce sont des gens mordant, parfois jusqu’à la pose. Cette fois là ce fut un naufrage face au leader d’extrême droite. Sur les deux sujets réels de l’actualité, c’est-à-dire la grève des transports pour la défense des régimes spéciaux de retraite d’un côté et la loi Pécresse sur l’université de l’autre, tout le monde était d’accord sur le plateau !

Adieu la période ou Le Pen affrontait des plateaux rageurs et ultra réactifs. Là, il a pu insulter tranquillement les étudiants en grève et les cheminots sans qu’un seul des quatre journalistes ne pipe mot. Moati continuait à faire des moulinets singeant une passion totalement absente du plateau et que lui-même n’éprouvait pas davantage que les autres. Personne ne relevait aucun des bobards de Le Pen sur les « privilèges des cheminots », les étudiants « bourgeois-gauchistes » et ainsi de suite. Tous étaient d’accord sur tout. Car la musique de Le Pen, et les paroles aussi, étaient dans l’air dominant de la quinzaine.

J’ai vu la « LePenisation » des esprits atteindre ceux qui en sont pourtant parmi les adversaires les plus résolus. Pour se rattraper sans doute du malaise ainsi créé on a vu quelques astuces à deux sous du type « donc, finalement, vous êtes du côté de la réforme de madame Pécresse » destinée à mettre Le Pen dans l’embarras d’approuver le gouvernement. Ce reflexe aussi, produit un effet calamiteux. Une extension du champ du consensus a quelqu’un dont il était convenu qu’il serait toujours hors jeu : « tout le monde est d’accord même Le Pen ! ». Et justement c’est le problème. Comment se fait-il qu’une politique avec la quelle Le Pen est d’accord ne fasse pas douter de leurs certitudes ceux qui comprennent le danger qu’est Le Pen ?


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