L’Autriche face à une forte hausse des violences d’extrême droite

mercredi 10 juillet 2024.
 

Les infractions liées à l’extrémisme de droite ont augmenté de 30 % en 2023, selon les services de renseignement autrichiens. Une situation qui inquiète, alors que l’extrême droite a remporté les élections européennes. Et se prépare en favorite aux législatives de septembre.

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Les images ont fait le tour des réseaux sociaux en Autriche : quelques minutes après son élimination de l’Euro de football face à la Turquie, mardi 2 juillet, l’attaquant de l’équipe nationale, Michael Gregoritsch, auteur du seul but autrichien, s’avance au micro. Les yeux encore rougis par la déception, il évoque le match puis appelle la nation à mettre de côté « la différenciation [entre les citoyens] et les idées d’extrême droite ».

Quelques jours plus tôt, c’est le sélectionneur Ralf Rangnick, de nationalité allemande, qui mettait en garde contre la montée de la droite extrême en Europe : « L’histoire de nos deux pays, l’Autriche et l’Allemagne, devrait nous servir de leçon. Je ne sais vraiment pas quoi dire à ceux qui n’ont toujours pas compris ce qui nous a régulièrement conduits à notre perte. »

Des prises de parole très remarquées en Autriche, où les sportifs n’ont pas pour habitude d’exprimer publiquement des opinions politiques. Le signe d’un climat d’inquiétude qui semble grandir de jour en jour dans une partie de la population, confrontée à une radicalisation des discours.

La semaine dernière, les autorités ont mené un vaste coup de filet dans les milieux d’extrême droite. Des perquisitions ont eu lieu en même temps dans la quasi-totalité des régions du pays. Les policiers ont saisi de nombreux objets et vêtements nazis, ainsi qu’une grande quantité de données informatiques, et des poursuites ont été engagées contre quinze individus.

« Les suspects sont des personnes qui incitent à des crimes haineux et diffusent de la propagande nazie, indique Omar Haijawi-Pirchner, chef de la Direction de la sûreté nationale et du renseignement (DSN), les services de renseignement autrichiens. Il est important pour nos services d’intervenir à temps et de lutter contre l’extrémisme sous toutes ses formes afin d’éviter des dérives encore plus graves. »

« Un incendie des esprits »

Les violences liées à l’extrême droite sont en effet en hausse dans le pays. Dans son rapport annuel présenté en mai, la DSN note ainsi pour l’année 2023 une augmentation de 30 % des infractions liées à cette idéologie, par rapport à l’année précédente. Il y est question d’agressions physiques, de menaces, d’appels à la haine, de dégradations ou encore d’insultes à caractère raciste ou antisémite.

« La DSN constate régulièrement que les idéologies extrémistes sont de plus en plus répandues. Dans le domaine de l’extrême droite en particulier, nous avons la scène consolidée de l’“ancienne droite extrême” [la mouvance néonazie – ndlr], qui est particulièrement dangereuse en raison de son affection pour les armes et la “nouvelle droite extrême”, qui ne cesse de gagner du terrain et dont les partisans diffusent une propagande extrémiste, notamment sur les réseaux sociaux », constate Omar Haijawi-Pirchner.

Cette « nouvelle droite extrême » est incarnée dans le pays par le Mouvement identitaire autrichien (IBÖ). Il est au cœur du rapport des services de renseignement, accusé de vouloir mettre à bas les principes fondamentaux de la démocratie et d’entretenir un climat de tension. Sa « propagande haineuse s’apparente à un incendie des esprits », souligne le texte qui insiste sur la capacité du mouvement à imposer ses thèmes de prédilection : la théorie raciste du « grand remplacement » et son corollaire, la « remigration ».

Le chef de l’IBÖ, Martin Sellner, est également dans le viseur des services de renseignement allemands, après avoir participé en novembre 2023 à la réunion secrète de Potsdam lors de laquelle des membres de l’AfD, l’extrême droite allemande, avaient discuté d’un projet d’expulsion à grande échelle visant des citoyens d’origine étrangère, conduisant des centaines de milliers de personnes à descendre dans la rue pour manifester contre l’extrême droite.

Interrogé par Mediapart, Martin Sellner rejette toute accusation d’extrémisme, accusant la DSN de vouloir s’immiscer dans le débat politique. Son mouvement n’encouragerait aucune violence, mais au contraire la préviendrait : « L’existence d’extrémistes qui utilisent ces thèmes pour légitimer leur violence est, à mon avis, en partie imputable aux médias et à la société qui combattent les groupes d’activistes pacifiques comme nous. »

Un rapprochement avec le parti d’extrême droite

Si les identitaires sont peu nombreux en Autriche, leur discours trouve un écho certain au sein de la société, notamment depuis le rapprochement opéré ces dernières années avec le FPÖ, le parti d’extrême droite. Son chef, Herbert Kickl, a ainsi qualifié l’IBÖ « d’ONG de droite ». Lors des élections européennes, auxquelles le parti a enregistré une victoire historique, le candidat tête de liste, Harald Vilimsky, défendait la création d’un poste de commissaire à la « remigration ».

Sans nommer directement le parti, le rapport de la DSN souligne ainsi qu’« en l’absence de moyens parlementaires, la Nouvelle Droite Extrême atteindrait ses limites dans un avenir proche. C’est pourquoi elle soutient, par l’activisme politique, les partis qui présentent à ses yeux des points de convergence idéologique, afin de les porter au niveau gouvernemental et donc décisionnel ».

Martin Sellner, surnommé par le quotidien Der Standard « le souffleur du FPÖ », nie toute participation de son mouvement au sein du parti d’extrême droite mais se réjouit de ses récents succès : « Ils ont mis fin à cette stratégie de distanciation, ils ont arrêté de s’excuser pour leurs idées et surtout de se mettre à l’écart de l’avant-garde de la droite. Cela a permis au FPÖ d’être l’un des rares partis de droite en Europe sans aucune concurrence, là où le Rassemblement national doit faire face à Éric Zemmour par exemple. »

Avec sa ligne radicale, le FPÖ fait la course en tête dans les sondages pour les élections législatives qui se tiendront en septembre. Si le parti venait à l’emporter, il lui faudrait trouver un partenaire de coalition pour que soit nommé, pour la première fois dans l’histoire de la République autrichienne, un chancelier d’extrême droite.

Vianey Lorin


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