Val-de-Marne - L’Insoumis Louis Boyard en campagne, par-delà le filtre des réseaux sociaux

mercredi 3 juillet 2024.
 

Connu pour son activisme numérique, le député sortant mène une campagne de terrain dans le Val-de-Marne pour résister au Rassemblement national pendant que le candidat macroniste Loïc Signor, ancien de CNews, tente de fédérer en cognant sur « les extrêmes ».

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Ambiance mi-festive, mi-angoissée au Bois-Matar, à Villeneuve-Saint-Georges, jeudi 27 juin en fin d’après-midi. Le député sortant de La France insoumise (LFI) Louis Boyard organise un barbecue en plein cœur de ce quartier populaire, comme il le faisait déjà en 2022. Barbe à papa, merguez, musique : les ingrédients sont les mêmes, mais ils n’ont pas tout à fait la même saveur.

Deux séismes ont secoué les habitant·es de cette cité qui vote largement à gauche, dans l’ancien bastion communiste du Val-de-Marne : le résultat du Rassemblement national (RN) aux élections européennes du 9 juin et la dissolution consécutive de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, prenant le risque de confier Matignon à Jordan Bardella. Alors, l’événement de campagne de Louis Boyard fait office de sas de décompression avant la plongée dans l’inconnu, les 30 juin et 7 juillet.

« En ce moment, on ne peut pas dormir tranquille si on est une personne normale. Aller voter, cette fois-ci, ce n’est pas une question de citoyenneté, mais de vie ou de mort », lance Fabiola, jeune mère de famille qui passe en coup de vent faire la bise à Louis Boyard et son équipe, qui n’en sont pas à leur premier passage. Les attaques de Jordan Bardella contre les binationaux, à qui il veut interdire « les postes les plus stratégiques de l’État », ont choqué Fatima K-Jall, militante associative villeneuvoise franco-marocaine : « Si le RN passe, on a peur que les skinheads reviennent. »

Boyard versus Signor : le choc des cultures

Son amie Ilham, elle aussi binationale, approuve, en pensant au « pouvoir démesuré » que la police pourrait avoir et aux conséquences sur leurs enfants. « Le racisme se banalise à certains endroits. Ce sont des personnes avec qui on ne peut pas parler », rapporte Diana Ramalho, militante à LFI de 21 ans et suppléante de Louis Boyard, 23 ans. Celui-ci, en chemise blanche et pantalon anthracite, écoute attentivement et ne cache pas une part d’inquiétude même s’il fait bonne figure.

« C’est une élection dont on parlera dans les manuels d’histoire, dit-il. Tous les mécanismes de l’avènement du fascisme sont là : les médias passent plus de temps à diaboliser la gauche qu’à alerter sur le danger de l’extrême droite, les patrons félicitent le RN au grand oral du Medef… Mais je crois à l’intelligence des gens : même chez les électeurs de Macron, certains ont le sens de l’histoire. »

Le candidat du camp présidentiel, Loïc Signor, mène pourtant une guerre sans merci à Louis Boyard sur les réseaux sociaux. Cet ancien journaliste politique à CNews, où il suivait l’Élysée, a débarqué sur cette circonscription où vivaient ses grands-parents avec l’ambition de redresser le bloc macroniste – lui a grandi non loin, à Crosne (Essonne). Un défi que l’ancien député défait par Louis Boyard en 2022, Laurent Saint-Martin, n’a pas osé relever. Pour ce faire, Loïc Signor cogne fort sur l’Insoumis.

Sur le marché de Valenton, jeudi matin, le tract qu’il distribue parle de lui-même. Au verso, un portrait de Jean-Luc Mélenchon fait face à celui de Jordan Bardella : « Ils veulent appauvrir les Français », lit-on. En bas, le visage de Louis Boyard et la liste de son « vrai bilan » : « absent à l’Assemblée nationale et sur le terrain », « veut désarmer la police », « reconnaît avoir vendu de la drogue ». Le candidat a fait sienne la rhétorique confusionniste des « extrêmes », dont le camp présidentiel est adepte.

« D’un côté, il y a un parti historiquement raciste, antisémite, moteur de division et de haine, qui porte un risque de fracturation. Et de l’autre, il y a des éléments à LFI qui parient sur le chaos, la déstabilisation de la société. Boyard en fait partie, c’est l’école Mélenchon », argumente l’ancien journaliste. « On fait face à deux extrêmes, nous on est au centre, on est la République », abonde sa suppléante, Amandine Mackako, militante Renaissance locale. Que ferait-elle en cas de duel entre LFI et le RN ? « Je ne sais pas si on sera capables de donner des consignes de vote », dit-elle.

Jusque dans le style – costard cravate et chaussures cirées – Loïc Signor joue l’anti-Boyard : « Les gens sont en quête de crédibilité, ils n’aiment pas le bordel : c’est ce qui a malheureusement marché avec le RN. » Il espère ainsi fédérer un arc centriste allant des sympathisants d’Édouard Philippe à ceux de Raphaël Glucksmann : « Dans le moment qu’on vit, pas grand-chose ne nous sépare », dit-il. Mais l’effet « vu à la télé » ne prend pas, et Louis Boyard ignore ses apostrophes.

Un va-et-vient entre « story » et terrain

À Villeneuve-Saint-Georges, entre deux portes ouvertes pour ramener du monde au barbecue, l’Insoumis feint même de ne pas connaître le nom de son opposant. « Le macronisme est mort. On a deux adversaires dans cette campagne : le RN et l’abstention », explique Louis Boyard.

Aux européennes, dans les villes les plus riches de la circonscription, le parti de Jordan Bardella est arrivé en tête, comme à Villecresnes, Marolles-en-Brie et Mandres-les-Roses. À Villeneuve-Saint-Georges, Boissy-Saint-Léger ou encore Valenton, LFI est en tête. « Front contre front », selon la formule prémonitoire de Jean-Luc Mélenchon à l’époque du Front de gauche et du Front national.

« On a l’impression de vivre le cauchemar qu’on dénonce depuis des années », sourit amèrement Ismaël El Hajri, ancien collaborateur parlementaire de Louis Boyard. Le candidat d’extrême droite aux législatives, Arnaud Barbotin, soutenu par le RN, Les Républicains (branche Éric Ciotti) et Reconquête, symbolise la fusion des droites qu’ils anticipaient.

Pour résister à la vague brune, l’équipe de campagne de l’Insoumis mise tout sur le terrain. « Ma force ici c’est l’ancrage local », défend Louis Boyard, balayant d’un revers de main les critiques sur le style bruyant et clivant qu’il a adopté à l’Assemblée nationale : « Quand on est un lycéen de la voie professionnelle du Bois-Matar payé 1 à 5 euros de l’heure et qui ne reçoit pas son allocation de stage pendant sept mois, on ne m’en veut pas de gueuler à l’Assemblée », dit-il, en référence à un des combats qu’il a menés. « Résumer mon mandat à quelques vidéos est erroné, j’ai un bilan, on passe notre vie à faire des choses concrètes », ajoute-t-il.

Alors que le rassemblement grossit, son community manager lui annonce qu’une de ses vidéos fait le buzz. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Les yeux rivés sur son téléphone, le député sortant se rassure : un extrait d’une émission sur la chaîne Twitch de LCP est devenu viral. Il s’y adresse aux jeunes qui votent RN, en leur disant qu’ils font « une connerie ». C’est justement les jeunes de sa circonscription qu’il tente de mobiliser, eux qui statistiquement sont les plus nombreux à s’abstenir.

D’où la dialectique subtile entre usage des réseaux sociaux et contact direct. Ce soir-là, de nombreux jeunes se filment avec lui et partagent leurs stories sur Instagram. L’essentiel du temps pourtant, le portable est rangé et la politique passe par les mots.

Après une bonne demi-heure de discussion serrée avec dix d’entre eux, soutiens critiques mais atterrés par la diabolisation de la gauche, il conclut : « La vie peut changer avec le Nouveau Front populaire, mais ne pensez pas que c’est acquis. Le Pen peut avoir la majorité absolue. C’est l’élection la plus importante du siècle. » Une réplique fuse, d’un jeune homme mutin assis sur une chaise pliante : « En vrai, elle est insoumise la France. »

Mathieu Dejean


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