Faire front, pour ceux que nous aimons

lundi 8 juillet 2024.
 

L’extrême droite, en plus de détricoter nos droits, détruira ne serait-ce qu’une personne que vous aimez. Les personnes que j’aime : ma mère, franco-tunisienne, mon compagnon artiste, mes amis argentins... Pendant que je vous parlerai d’elles et d’eux, pensez, vous aussi, aux êtres chers que vous aimez. Faire front, et populaire, c’est faire le choix d’une voix qui n’est pas que pour soi.

https://blogs.mediapart.fr/ines-mer...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20240627-180812%20%20&M_BT=1489664863989

Ma mère est franco-tunisienne. Elle est professeur des écoles à Creil dans ce qu’on appelle des REP+ (réseaux d’éducation prioritaire), des écoles implantées dans des quartiers aux fortes difficultés socio-économiques. Ces quartiers souvent oubliés mais où la solidarité résiste et où la soif d’apprendre des enfants existe. Transmettre avec patience, écouter avec tendresse, enseigner avec exigence. Ma mère est animée par son métier. Elle les comprend ces enfants aux verbes français parfois fragiles mais d’une tendresse rare. Elle leur insuffle la persévérance, elle les valorise dans ce qu’ils sont. « Interdiction de certains postes stratégiques aux binationaux. » Ce n’est plus une vague, mais un séisme qui se déverse à l’intérieur. Ma mère, sous une politique d’extrême droite pourrait avoir d’immenses difficultés à exercer son métier et à l’avenir, pourrait voir son contrat non renouvelé pour cause de binationalité. Car après l’interdiction des « postes stratégiques » ils pourraient passer à la fonction publique. Il n’y aura jamais de choix à opérer entre deux nationalités. Ma mère est ce qu’elle est car elle est française ET tunisienne. Les deux se parlent, se nourrissent, grandissent et font grandir. Elle n’est pas l’une sans l’autre.

Les élèves de l’école de ma mère, j’ai l’impression de les connaître. Ils vivent dans les yeux de ma mère lorsqu’elle me raconte leurs histoires. Ses yeux sont plein d’affection et d’émotions bousculées. Ces moments nous valent des envolés de fous rire. Un de ses petits de 8 ans, lorsqu’elle dit à la classe qu’elle vient aussi de Tunisie, lui répond : « Ah ! C’est au Maroc ! » Ces enfants de Creil sont pour beaucoup des enfants d’immigrés. Alors elle fait tout pour les construire, les choyer, les faire rire et grandir. Parce qu’au fond d’elle, elle sait qu’un jour, ils devront lutter. Mais elle les préserve en leur offrant son amour, sa double culture, son professionnalisme. Avec l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir, j’ai peur pour ma mère mais aussi pour ses élèves assis dans sa classe.

Ma grand mère est aussi franco-tunisienne. Avec l’extrême droite au pouvoir elle pourrait un jour être retardée de soins car « non prioritaire » ? Après la fonction publique, l’accès à la santé ? Ce sont ces images qui me glacent, lors de cet arrêt sur pensée suite à cette lame lancée qui se répète dans ma tête « Je préfère voter extrême droite qu’extrême gauche ». J’ai besoin de souffle et c’est à gauche qu’il est. L’extrême-droite détricotera tout, lentement mais fatalement, telle une agonie. Leur programme, c’est de retirer nos droits.

Je pense à mon amoureux artiste. Un artiste entier, dévoué, habité. Son métier c’est de créer, de porter des histoires pour nourrir nos imaginaires, d’éveiller nos fibres intimes que l’on croyait oubliées. Pour cela, il est protégé par ce statut unique qu’est l’intermittence. Quelle fierté d’être dans un pays qui protège ses artistes, eux nos médecins de l’esprit. « Suppression du régime d’intermittents, il est ruineux. » Avec l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir, la survie des artistes serait engagée. Et de fait, la nôtre aussi. Je ne peux m’empêcher de rappeler que les intermittents du spectacle rapportent bien plus qu’ils ne coûtent, économiquement d’abord, intimement ensuite parce que c’est la culture qui nous instruit, nous construit et nous offre les baumes salvateurs des maux de la vie.

La culture, restons-y. J’ai des amis acteurs, réalisateurs, documentaristes. Avec l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir, qu’adviendra t-il de leurs projets en attente de subventions ? Pour information, la personne à la tête du Centre national du cinéma (CNC) est nommée par le ministère de la Culture. Qu’adviendra t-il de nos histoires à l’écran lorsque le CNC sera dans les mains d’un ami ou parent de l’extrême droite ? Et quand l’audiovisuel public sera privatisé ? L’extrême droite nous abîmera, faussera nos imaginaires et mettra la tête sous l’eau de ceux qui cherchent seulement à nous raconter leurs histoires, nourries de toutes les rives.

J’ai l’image de mes collègues d’Amnesty International et autres fervents militants et défenseurs des droits. Avec l’extrême droite au pouvoir, le monde associatif et multiples activistes, risqueraient d’être réduits au silence, asphyxiés. J’ai pu rencontrer des activistes des quatre coins du monde qui ont vécu dans leur chair ce qu’était que se battre pour les droits civiques sous l’extrême droite au pouvoir. Des militantes polonaises, brésiliennes, italiennes. La réalité, c’est qu’elles n’ont même plus la possibilité de contester. Alors en tant qu’ONG internationale, nous portons leurs voix, nous racontons leurs histoires. Avec l’extrême droite au pouvoir, toutes nos histoires sont en péril car ils pourraient vouloir imposer les leurs.

Je pense à mes très chers amis argentins qui subissent les secousses furieuses d’un homme fou d’extrême droite au pouvoir. La situation économique y est absolument désastreuse, la culture saccagée. J’ai envie de leur montrer que nous ne sommes pas condamnés à sombrer partout dans cet extrême. La France peut faire front. Et c’est ainsi qu’elle apportera un peu de la lumière nécessaire aux naufragés des autres rives.

J’ai l’image d’un de mes anciens camarades gay avec qui j’étudiais à l’université qui me livrait cette phrase il y a quelques années : « En tant que gay, il y a des pays où je ne peux pas aller, j’aurais peur, c’est une charge mentale énorme avec mon copain quand on prépare nos vacances. » Cette peur pourrait arriver en France. Peur d’être seulement qui l’on est. Je ne veux pas que son regard vif et son sourire franc laissent place à d’autres sentiments. J’ai peur avec lui, pour lui.

J’ai peur pour mes amis et proches de couleur de peau noire, pour mes amis aux prénoms sonores qui seront habités par la peur dans des moments quotidiens, qui seront mis de côté en entretien, qui seront arrêtés brutalement par la police. Pour certains, l’extrême droite au pouvoir, c’est une question de vie ou de mort.

Alors non, l’extrême droite ne pourra jamais être mise sur le même plan que l’« extrême gauche ». Parce qu’avec les lois de la gauche, il ne sera jamais question de vie ou de mort. Faire front populaire c’est faire le choix d’un vote qui n’est pas que pour soi.

« La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. » Les mots d’Albert Camus peuvent (ré)éclore chaque jour quelque part en nous. L’effervescence des consciences que je vois, lis, vis depuis l’annonce de l’union des partis de gauche suffit à remplir mon cœur de femme. Une lutte vers les sommets, nous y sommes. Les sommets sont nos idées et l’enjeu, c’est de les amener le plus loin possible. Une lutte contre les abysses d’un extrême. Une lutte pour les combats de ma génération tels que l’urgence climatique, génération qui m’est chère et dont nous allons être fiers. Je l’ai été en voyant des milliers de personnes manifester. Je l’ai été en découvrant la créativité débordante et acharnée pour sensibiliser sur l’importance de se mobiliser. Je l’ai été en voyant la force de l’engagement lorsqu’on était là, réunis à 40 à Creil, à faire du porte à porte pour défendre haut nos idéaux. Nous avions dans nos sacs notre simple sincérité et humanité. Il se passe de belles choses sur le terrain : on y fait de facétieuses rencontres, on y croise des regards pleins, on observe et recueille, dans un mélange d’intimité et de pudeur, d’autres histoires de vie. C’est chargées d’elles que nous rentrons avec l’énergie pour pousser la pierre jusqu’au sommet. Cette percée brutale de l’extrême nous a précipité tout en bas de la colline. Mais Sisyphe est vaillant. Il sait redémarrer même dans la fragilité. Sa force c’est qu’il avance, quoi qu’il en soit. Camus avait raison d’éveiller nos imaginaires en dessinant un Sisyphe heureux. Il doit l’être puisque ce qui l’anime c’est le mouvement. Il avance, toujours, il tombe parfois mais jamais il ne recule. Mes traits se crispent lorsque je pense à la suite. Avec l’arrivée d’un extrême, Sisyphe n’aurait même plus la possibilité d’avancer. Il serait mis au pas. Il serait condamné, tel Prométhée sur son rocher. L’imagination ranime les mythes, c’est pour cela qu’ils sont faits. Pour donner naissance aux histoires auxquelles nous croyons. Mon message aux indécis, c’est de dire qu’avec la gauche, nous atterrirons toujours quelque part, sur terre, bien ancrés. Avec l’extrême, c’est dans les abysses qu’on nous mène. Avec le reste, qui ne cesse de draguer et parler avec les abysses, ils vont finir par nous y mener. Alors, pour porter nos idéaux, atteignons les sommets, nous y préférons la clarté des cieux.

Pour les gens que j’aime.

Pour les gens que vous aimez.

Pour être la génération qui va porter les idées majeures de son temps.

Faire front, et populaire.

Ines Mermet

Rédactrice chez Amnesty International France -


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message