Les livres sur le fonctionnement et la nature de la Haute fonction publique ne manque pas. Nous partageons ici une interview concernant l’auteur de l’un de ces derniers livres en date : "le clan des seigneurs" et nous en montrons les limites.
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Paul Antoine Martin est invité par Alexis Poulin sur son site « Le Monde moderne » pour parler de son livre « Le clan des seigneurs », qui traite de la nature et du fonctionnement de la haute fonction publique appartenant aux cinq grands corps d’État.
On peut écouter l’émission en utilisant le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=8s8...
C’est une description intéressante de ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelait la « Noblesse d’État ». Ce n’est évidemment pas le premier livre qui traite de cette question. On peut mentionner, entre autres, par exemple, « La mafia d’État » de Vincent Jauvert.
Une lacune importante de ce genre d’approche psychosociologique est d’occulter les rapports de classe. La technostructure n’est pas une entité autonome et est intriquée ou encastrée dans les rapports de classe capitalistes.
Pour avoir une vision complète, il faut se référer à la conception de la classe dominante développée par le philosophe marxiste Jacques Bidet. La classe dominante a deux pôles : le pôle du marché et de la propriété, et le pôle du savoir, de la compétence, de l’organisation. Les technocrates, qui peuvent appartenir à la haute fonction publique, à la direction des administrations publiques et des administrations des multinationales privées, font partie de ce second pôle.
Ce ne sont pas seulement des acteurs soumis au lobbying ou à la corruption de grosses sociétés privées : ils participent activement et à part entière au fonctionnement de ces sociétés, c’est-à-dire à l’exploitation capitaliste sous ses différentes formes. Ces technocrates font partie de la classe dominante, même s’ils ne sont pas eux-mêmes propriétaires des moyens de production. Autrement dit, les membres de cette technostructure ne défendent pas seulement leur intérêt de carrière ou leur prestige, mais plus fondamentalement les intérêts privés de la classe capitaliste qui domine l’État ou qui les emploie.
Le danger d’une telle description psychologisante et hémiplégique est d’apporter de l’eau au moulin d’une propagande démagogique d’extrême droite, rendant responsable la technostructure nationale ou européenne de tous les maux, tout en passant sous silence les intérêts portés par les rapports de classe capitalistes. L’une des fonctions importantes de cette caste de hauts fonctionnaires est d’organiser un partage inégalitaire de la valeur ajoutée globale entre salaires et profits, au détriment du monde des travailleurs et notamment des salariés.
Il faut donc prendre avec une certaine distance ce genre d’analyse, qui est intéressante et indispensable mais qui reste partielle.
Les pouvoirs politiques qui se succèdent en France depuis 1983 partagent tous la même vision néolibérale, à quelques variantes près (droite, social-démocratie, centre) de l’économie : il est donc normal que la technostructure, qui met en forme technique cette vision politique et économique, reste en place. Mais contrairement à ce que suggère l’interview, il n’y a aucune fatalité inertielle à cette reproduction : la prise du pouvoir politique et de l’État par une organisation politique ayant une conception radicalement différente de l’économie peut mettre fin à cette reproduction de corps d’État qui ne défendent plus l’intérêt général mais des intérêts privés.
Il y a suffisamment d’universitaires en France partageant la vision économique d’une gauche radicale pour pouvoir remplacer la partie de la haute fonction publique qui serait opposée au changement.
HD
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