Le fascisme à la craie

mercredi 10 juillet 2024.
 

Revue du programme scolaire du RN entre espoir, larmes et colère. Spoiler : Troisième trimestre en baisse, le passage en gouvernement n’est pas recommandé par la maitresse.

Le 16 juin, j’ai eu envie d’écrire sur l’école et le rassemblement national. Je trouvais important de faire quelque chose, n’importe quoi, pour comprendre, pour expliquer. Il reste encore de l’enseignant.e en moi, on ne s’en débarrasse pas si facilement. Mais sur la page, quelque chose a attiré mon attention, en gros sur la première page.

J’ai ri, puis j’ai pleuré, puis j’ai re-ri. J’ai même pas eu de mots, et j’en ai toujours pas.

J’avais envie de vous partager mon désarroi. Le vif du sujet maintenant :

Pour l’école, le projet, c’est donc de "Restaurer notre système éducatif pour qu’il retrouve sa mission de transmission des savoirs". Perso je suis pas fan de l’idée de transmission, on peut en débattre mais on a dit on s’engueule à partir du 8 juillet et là on est le 17 juin. On verra plus tard.

Le titre est quand même déjà super évocateur. Le RN ne veut pas réformer, ne veut pas refonder, ne veut pas transformer, il veut restaurer. Selon le Robert, il veut donc Rétablir en son état ancien ou en sa forme première (des choses abstraites). Mais restaurer vers où ?

La suite donne quelque réponse à cette question : Il s’agit de ramener notre système éducatif à sa mission de transmission des savoirs. Plutôt qu’à ses missions d’autre chose, d’accompagnement, d’émancipation, d’écoute, tout ça. Le problème, c’est que ce sont des choses qui permettent cet accès au savoir pour tou.te.s. Tant mieux si vous, comme moi, avez eu des facilités qui vous permettaient d’être à l’aise dans le monde scolaire.

On revient à une école dont la finalité est simple, claire et unique : Transmettre des connaissances, les mêmes à tout le monde, et tant pis pour les deux du fond qui n’ont pas entendu, pas compris, qui sont handicapé.e.s, allophones, perturbé.e.s par ce qu’iels traversent. Au pas.

Première mesure : Remettre au cœur des programmes l’enseignement du français, des mathématiques et de l’histoire

Les fameux apprentissages fondamentaux, ceux auxquels on consacre déjà 14 à 15 heures (soit 60% en moyenne) de temps scolaire en élémentaire. Je les ai lus les programmes, tous, en entier, et je peux vous dire que si on enlève le français et les maths, il ne reste pas grand chose. C’est donc pas une mesure mais une proposition qui dit "On continue, on va plus loin". Je le précise ici, ça fait suite à une diatribe sur le fait que l’école actuelle est nulle. Globalement le discours c’est donc "Ce que vous faites est nul, nous, une fois au pouvoir on fera ... la même chose, on en fera même plus".

Je précise aussi que ce n’est pas l’histoire dont on parle mais l’histoire de France. Alors là dessus, c’est vrai qu’on devrait revoir un peu certaines périodes de l’histoire française, notamment l’histoire de l’extrême droite, et pourquoi ce qui se joue dans l’éventualité du RN au pouvoir est dangereux. Je ne pense pas que ce soit ce qui est prôné mais à ce stade, j’ai encore de l’énergie pour les détourner (Je vous invite également à lire les articles d’autres contributeur.ice.s sur la falsification de l’histoire par le RN).

Deuxième mesure : Revaloriser les salaires des enseignants et refonder leur formation

Je ne peux pas dire grand chose. Les enseignant.e.s sont extrêmement mal rémunéré.e.s en France et la formation est parcellaire, comme l’école : On tombera un coup sur un.e formateur.ice incroyable qui nous fera aimer sa discipline et son enseignement, et sur d’autres qui nous en dégouteront. Mais jetons un œil à cette refonte de la formation :

- Les futurs enseignants, titulaires d’un Master 2, se présenteront au CAPES et à l’agrégation. Il n’y a pas de mention des enseignant.e.s de primaire, et le master est déjà nécessaire pour être nommé fonctionnaire-stagiaire.

- Une fois admis, ils seront alors directement formés par des pairs expérimentés dûment rémunérés en contrepartie, au sein des établissements scolaires. Leur titularisation interviendra à l’issue d’une double inspection pédagogique. Et comment ces pairs seront choisi.e.s ? Quelle rémunération ? Qui fera cette double-inspection pédagogique ? Quelle garantie aux nouvelles et nouveaux arrivant.e.s d’être bien formé.e.s, quelle place à la pratique ?

Rien n’est indiqué. Tout porte alors à croire que les pairs expérimentés seront pour partie des pairs intéressés par la rémunération, voire pire, des autoritaristes qui pensent que leur méthode est la bonne, et la seule qui vaille. J’en ai fait les frais d’un stage auprès d’une professeure "expérimentée". Je n’ai eu aucun suivi, toutes mes réflexions ont été balayées, un enfant qui a voulu m’offrir un dessin s’est vu répondre "c’est pas elle la maitresse, tu ne vas pas lui offrir un dessin", je me suis sentie méprisée et humiliée. Cette expérience n’est pas universelle (et encore heureux), mais elle existe et ce n’est pas la seule. Donner du pouvoir à des personnes sans autre garantie que l’ "expérience", c’est mettre en situation à risque les néo-profs.

Troisième mesure : Rétablir l’autorité de l’institution scolaire par l’instauration d’un uniforme au primaire et au collège tout en sanctionnant les absences et les incivilités

Sur l’uniforme, je me souviens avoir entendu un argument lorsque j’étais au collège : "L’uniforme, ça permet de ne pas différencier en fonction des vêtements et donc du pouvoir d’achat des parents. Tout le monde apparait au même niveau." Ça me paraissait déjà fumeux mais j’avais l’impression que ça se tenait.

Depuis, j’ai lu de la littérature scientifique et j’ai enseigné, et j’ai compris que c’était pas une solution parce que ça ne règle aucun problème déjà (ça ne règle pas les inégalités de classe, au mieux ça les efface un peu), ça bride les enfants dans leur découverte de soi et dans leur expression, ça sanctuarise l’école et ça la distance de la vie des enfants. Cette vie qui a un effet énorme sur leur scolarité, qu’il faut prendre en considération à l’école pour accompagner chacun.e, qui nous permet d’adapter nos méthodes et d’enseigner.

Puis niveau sexisme c’est une caricature : Les filles en jupe, les garçons en pantalon. Rien à ajouter.

Quant à (sanctionner) les absences et les incivilités, je voudrais bien savoir comment, qui et de quoi : Un enfant de 11 ans qui arrive en retard ou ne va pas à l’école parce que son/ses parent(s) ne peuvent pas l’y emmener, on le frappe et on lui crache dessus ?

Réponse en 7 points dans le livret, dont 3 concernent la neutralité et la laïcité (c’est-à-dire l’islam) et sont une sorte de continuité de Darmanin. Toujours pareil, rien à dire. Et les 4 autres, le nouveau, celui qu’on connait pas encore ? Les voici :

Sanction de l’absence d’assiduité : Des heures de colle aux élèves ? Des notes éliminatoires ? Que nenni ! La suspension des allocations familiales et des bourses scolaires en cas d’absentéisme avéré et de perturbations graves et répétées. Voici donc des familles en situation précaire que l’on va précariser en raison de l’absentéisme ou du comportement de l’un.e des enfants, absentéisme et/ou comportement perturbateur probablement lié à la précarité de la famille (Pons, 2022) (Lisez seulement les premières lignes de l’article c’est incroyable). Niquel. Instauration de sanctions-plancher : Des sanctions-plancher dans le cadre des conseils de discipline envers les élèves. Et ce sera des sanctions qu’il faudra respecter, et dont un corps d’inspection viendra vérifier la bonne mise en application. Aucune indication sur ce que ces sanctions-plancher sanctionnent, sur leur nature, sur quoi que ce soit. Voici la réalité des conseils de discipline déjà en place (article du Nouvel Obs) : Une exclusion permanente pour une jeune fille perdue et harcelée, qui a des comportements violents. Ni sa violence subie, ni sa violence commise ne sont questionnées pour être comprises. On lui répond seulement par la violence institutionnelle. J’ai du mal à comprendre comment aller plus loin dans cette spirale va permettre quoi que ce soit en termes de résolution de problèmes. Utilisation systématique par l’institution scolaire de l’article 433-5 du Code pénal : Je vous l’épargne, c’est l’article qui consacre l’outrage à agent. Donc la proposition c’est "ben quand il y a outrage à agent on fait ce que la loi elle dit quand il y a outrage à agent" (mais vous comprenez quand même que vous pouvez pas dire les autres font n’importe quoi et dire que vous allez faire la même chose ?). Ce qui change c’est que le signalement et le dépôt de plainte seront faits systématiquement et par le chef d’établissement. Bon. La violence envers les enseignant.e.s est réelle et grave. Prof n’est pas censé être un métier dangereux. Mais la violence envers les enseignant.e.s, c’est aussi et surtout celle de la hiérarchie et de la société. C’est celle-là qui a conduit au suicide de Christine Renon. C’est celle-là qui a conduit à ma démission. Généralisation de la vidéoprotection dans le secondaire : Si on constate que "la finalité pour laquelle la vidéosurveillance donne ses résultats les plus significatifs est le maintien de l’ordre scolaire" (Le Goff, 2010), le même article nous informe que la vidéosurveillance ne donne pas un sentiment de sécurité aux enseignant.e.s qui sont censés être les personnes à protéger d’après le programme. Elle pose aussi des questions de données personnelles et de droit à l’image, le communiqué de la CNIL à ce sujet est disponible ici. Pour ce qui est du symbole, le RN n’a plus de limite dans sa volonté d’une école-prison. Bon, globalement, l’idée est de surveiller et de sanctionner un maximum les élèves et leurs familles, l’école n’a rien à se reprocher en termes de violence, de manquement à ses obligations, de quoi que ce soit, ce qu’il faut c’est moins de moyens aux familles précaires déjà méfiantes de l’école, mais plus de sécurité (pour qui ? Aucune idée).

Quatrième mesure : Supprimer la bureaucratie de l’Education nationale pour libérer des moyens financiers, réduire les effectifs des classes et arrêter les fermetures d’écoles

On dirait presque des trucs de gauche (de gauche capitaliste parce qu’on vire des gens pour avoir des moyens quand même). C’est quoi l’embrouille ?

En ce qui concerne les effectifs : Dédoublement programmé des classes de grande section et de cours préparatoire, c’est-à-dire extension du dispositif (qui existe depuis 2017) de la REP vers tous les établissements, avec des classes un peu plus grandes et sans le CE1.

Alors bon, là ce qui est chouette c’est qu’on peut regarder comment ça se passe déjà. C’est une belle idée d’abord, je peux reconnaître ça, moins d’effectifs c’est plus de temps pour un suivi personnalisé et un accompagnement de chaque élève.

Par contre, et bien on a vu que ça ne marche pas tant que ça. Il n’y a pas assez de profs, pas assez de place dans les écoles pour accorder une salle à chaque classe, et/donc/ben les résultats ne sont pas très significatifs (cf cet article du Monde) et on a du mal à se dire qu’avec le RN au pouvoir ça va mieux marcher.

Dans le livret, je n’ai rien trouvé sur les fermetures d’école. Donc on arrête de les fermer c’est tout ? Comment pourquoi qu’est-ce-qui fait qu’on les ferme en ce moment et qu’est-ce-qui va changer pour que ça n’arrive plus ? No lo sé.

Dans ce qui ne rentre pas dans les mesures du programme résumé, on trouve pêle-mêle :

L’abrogation de la réforme du bac pour un bac "reconnu et valorisant" dont le niveau sera "réhaussé" et qui s’éloigne de la "démagogie" (rappel sémantique du Robert, Démagogie : Politique par laquelle on flatte les masses pour gagner et exploiter leur adhésion, jolie coïncidence).

La fin du collège unique mais en fait plutôt une sorte de brevet qui devient un "examen d’orientation" (et le collège qui reste unique donc). Et les classes populaires pour lesquelles l’accès aux études supérieures publiques et gratuites est encore une sortie de la précarité, c’est pas dit qu’elles résistent à cet examen d’orientation. On a vu Parcoursup vous nous la ferez pas on sait comment ça se passe ce genre de délire.

Plus d’heures de cours en primaire et là c’est le craquage total, on est déjà dans les pays qui ont le plus d’heures de cours en primaire en Europe, on a les enquêtes PISA qui démontrent qu’il n’y a pas une corrélation très marquée entre le temps d’enseignement dans une discipline donnée et les résultats aux évaluations, et on propose plus d’heures pour pallier au niveau qui baisse. De quoi rassurer les parents et leur permettre de rester plus longtemps au travail, y’a plus les gosses à aller chercher.

Je passe sur la fin des ELCO (Enseignement en Langue et Culture d’Origine) qui n’existent déjà plus beaucoup et sont devenus des sortes de LV3, la fin de la discrimination positive (j’ai pas de mots là dessus, si vous en avez je prends), le plan d’urgence scolaire en Outre-Mer qui n’est pas du tout développé, et la revalorisation des carrières des professeur.e.s au mérite, parce que ces feignasses n’ont qu’à être plus méritant.e.s, on a dit plus de sous mais pas n’importe comment, on est quand même de droite.

Je suis épuisée. J’ai quitté l’éducation nationale en partie parce que leur projet est déjà mis en œuvre par le pouvoir (l’uniforme, le dédoublement mal foutu, les conseils disciplinaires qui répriment sans comprendre et questionner,...).

Force à celleux qui continuent, vous savez souvent ça me manque les craies, les élèves et leurs idées géniales, les fous rires en classe, les yeux qui s’illuminent quand enfin un concept prend sens chez un.e élève.

Si le pouvoir leur revient, j’ai peur que tout ça s’effondre, et que ça s’effondre sur leurs petites têtes, sur les vôtres, et sur celles de tout le monde, les enfants sont celleux qui penseront et feront le monde de demain.

On avait dit pas les enfants, vous savez pas jouer au jeu de la démocratie.


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