La pénalisation du travail social n’est pas acceptable ! (France Terre d’Asile)

vendredi 23 novembre 2007.
 

Chaque soir, sur la place du colonel Fabien dans le 19ème arrondissement à Paris et à proximité, apparaissent quelques centaines de personnes principalement originaires d’Afghanistan, d’Iran et d’Irak.

Elles viennent chercher quelques nourritures de subsistance et un hébergement d’urgence, en attendant pour la plupart de trouver une route qui les amène enfin en Angleterre. C’est comme cela depuis la fermeture de Sangatte en 2002, et particulièrement depuis plus d’un an.

Dans cette cour des miracles d’un autre siècle, village éphémère quotidien de deux heures, l’action des équipes de France Terre d’Asile, en plein accord avec les services de l’Etat, consiste à repérer les probables mineurs ou personnes en état d’extrême vulnérabilité, à les mettre en urgence à l’abri, à leur donner une information sur le droit d’asile et à les mettre en garde sur les risques du passage vers l’Angleterre.

Une gageure dans la plupart des cas, mais qui permet à un cinquième de cette population de s’inscrire dans une démarche de protection en France.

Les autres, les acteurs institutionnels et associatifs le savent, repartent par le biais de multiples réseaux, où les plus forts font régner la loi des seigneurs de la misère.

En somme, le travail social réalisé à cet endroit est un pis allé à la définition cohérente d’une politique publique d’accueil et de protection, voire, si l’on épouse ce point de vue, de sécurité publique. Mais nous l’assumons.

Ainsi, quelques milliers de personnes ont transité par cette place depuis l’hiver dernier. Elles ont passé des dizaines de frontières, séjourné pour certaines d’entre elles dans les madrasas au Pakistan ou ailleurs, servi d’interprètes aux forces françaises stationnées en Afghanistan, été interpellées par la plupart des polices d’Europe, ont parfois été détenues dans les prisons européennes, iraniennes, turques. La plupart vivent dans des conditions inhumaines d’expédients divers. Sans autorisation de séjour, sans droits. Et cela dure, et rien ne change.

C’est dans ce contexte que le Parquet de Boulogne-sur-Mer a décidé, le lundi 19 novembre 2007, d’interpeller, au petit matin à Paris, deux de nos intervenantes sociales. Comme dans les fictions, pour juguler le crime, il fallait bien une arrestation à domicile, une perquisition et un transfert menotté vers Calais.

Le délit supposé : complicité d’aide au séjour irrégulier en bande organisée. Rien que cela. La faute de nos salariées ? Avoir transgressé la frontière très ténue entre engagement professionnel et personnel en transmettant leur numéro de portable privé à certains jeunes Afghans, pris en charge par notre organisation et qui semblent impliqués dans une affaire d’aide au séjour irrégulier. Leur avoir remis une carte à l’entête de France Terre d’Asile, sans autre valeur que symbolique, attestant que ces personnes faisaient l’objet d’un suivi social dans nos services.

Au mieux une telle empathie, aidée par la proximité linguistique de nos intervenantes qui parlent plusieurs langues dont le farsi et le russe, valait le rappel de la nécessaire distanciation dans le travail social. Certainement pas un traitement réservé d’usage aux criminels les plus endurcis.

Nos deux salariées ont été libérées après plus de 12 heures de garde à vue pour l’une, 24 heures pour l’autre, à 300 km de leur domicile un jour de grève. A cette heure, nous ne savons toujours pas si des charges seront retenues contre elles. Mais nous savons que nos salariées ne sont pas de dangereuses trafiquantes ayant à un moment ou à un autre tiré un quelconque avantage ou profit de leur situation, ni abusé de la confiance d’une institution. En réalité, avec une telle logique en matière de complicité d’aide au séjour irrégulier, c’est tout l’appareil d’Etat, et cela depuis de nombreuses années à Paris ou ailleurs, qu’il conviendrait de mettre en garde à vue ainsi que l’ensemble des organisations, leur conseil d’administration, leurs salariés missionnés pour aller au devant de ces populations. Imaginez ! Cela ferait du chiffre, du monde et du travail pour le Parquet de Boulogne... Mais restons sérieux.

La pénalisation du travail social n’est pas acceptable.

En vertu de la séparation des pouvoirs, la justice semble vouloir ignorer ce que fait le peu d’Etat social qui reste dans ce pays. Et c’est là où réside le danger. Nous ne croyons pas à la théorie du complot, juste à un climat délétère, où l’intimidation et la peur doivent dissuader quiconque d’aider l’autre, surtout s’il est étranger.

Les travailleurs sociaux ne sont pas des citoyens au dessus des lois. Mais ils ne peuvent accepter que leur activité professionnelle soit criminalisée et traitée comme telle. Faut-il leur dire au moment de leur embauche de prévenir leur entourage que la police peut débarquer au petit matin, leur apprendre à maîtriser le stress d’un interrogatoire policier en garde à vue ?

Travailler socialement avec les pauvres et les marginaux est aujourd’hui dangereux, surtout s’ils sont étrangers.

Le cadre de l’intervention des travailleurs sociaux doit dorénavant être garanti - leur intégrité personnelle être protégée - leurs modalités d’intervention être reconnues par tous !

Mais, au-delà de ces revendications que nous allons nous employer avec d’autres à mettre en œuvre, c’est bien à la protection de la solidarité, valeur éminemment républicaine, que nous devons dorénavant veiller.

De : France Terre d’Asile jeudi 22 novembre 2007


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