Expulsions et contrôles policiers : à deux mois des JO, le « nettoyage social » s’amplifie

mercredi 19 juin 2024.
 

Le collectif Le Revers de la médaille, qui regroupe une centaine d’associations accompagnant les plus précaires, publie un rapport qui documente la manière dont Paris et sa région traitent les sans-abri avant les JO. On constate une hausse des expulsions ou des évacuations de lieux de vie informels.

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eLe collectif Le Revers de la médaille s’est trouvé fort démuni face à certaines sollicitations de la presse, internationale en particulier, voulant constater « de leurs yeux » le « nettoyage social » à l’œuvre à Paris et en Île-de-France dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques (JOP).

Cette agrégation de plus d’une centaine d’organisations, d’associations et de fédérations en lien avec des personnes en grande précarité s’est rendu compte qu’il devenait de plus en plus difficile d’accéder à cette demande. Et pour cause. « L’État a tellement expulsé, tellement dispersé, tellement invisibilisé, qu’il n’y avait plus rien à montrer. On est arrivés à la fin d’un cycle d’expulsion très fort », explique à Mediapart Paul Alauzy, coordinateur chez Médecins du monde et porte-parole du Revers de la médaille.

Pour documenter cette situation, le collectif a compilé des données chiffrées précises (basées sur des témoignages de personnes concernées, des recensements, des documents et des échanges avec les autorités) sur le sort des populations les plus précarisées : personnes à la rue, en habitat précaire ou dépendant de l’espace public pour vivre et travailler.

Le rapport de quatre-vingts pages qui en résulte, rendu public le 3 juin 2024 et baptisé « Un an de nettoyage social avant les JOP : “Circulez, y a rien à voir” », les chiffres recueillis démontrent une nette augmentation des évacuations de lieux d’habitat précaire ou des lieux de vie informels.

Le collectif a calculé que, pour la période d’avril 2023 à mai 2024, 12 545 personnes ont été expulsées dans toute l’Île-de-France, soit une augmentation de 38,5 % par rapport à la période 2021-2022. Parmi ces personnes, 3 434 étaient mineures, soit deux fois plus que l’an dernier, et presque trois fois plus qu’en 2021-2022.

Par ailleurs, plus 4 000 personnes ont été envoyées vers des « sas régionaux » à la fin 2023. La préfecture de la région Île-de-France indique, révèle France Info, que plus de 5 224 personnes ont été déplacées d’Île-de-France pour aller vers d’autres régions, depuis la mise en place de ce dispositif en avril 2023.

Les associations considèrent qu’un « double mouvement de dispersion » s’exerce. L’objectif : disperser et éloigner les personnes très précaires qui occupent l’espace public au quotidien.

Le Revers de la médaille souligne que ces logiques sont préexistantes à la compétition sportive et s’inscrivent dans un continuum de la politique répressive du gouvernement à l’égard des populations migrantes et sans abri. Mais il assure aussi que les JO agissent comme un « un accélérateur », de même que dans d’autres villes hôtes des Jeux par le passé.

L’ampleur de ces pratiques d’expulsion et d’évacuation, mais aussi de « harcèlement des populations qui vivent aux abords des sites accueillant des épreuves des olympiades », dévalue selon les organisations l’argument selon lequel « cela n’a rien à voir avec les JOP », répété à l’envi par les autorités.

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Le directeur de cabinet de la préfecture de Gironde avait ainsi annoncé : « La préparation des JOP nous oblige à un niveau de sécurisation élevé et, pour ce faire, il y a un certain nombre de périmètres de sécurité qui ont dû être établis autour du stade Matmut. »

La date d’avril 2023, qui marque le départ du calcul du Revers de la médaille, n’est pas anodine : c’est celle de l’expulsion du squat Unibéton, lieu de vie de 500 personnes exilées, situé aux abords d’un village olympique à L’Île-Saint-Denis. C’est le début d’une surenchère de déplacements de population, avec par exemple les envois vers les sas régionaux mis en place en mars 2023 et prévus pour durer jusqu’à la fin 2024.

Depuis cette date, on compte dix expulsions de squats habités par des personnes exilées très précarisées dans toute la région francilienne, pour un total de 1 967 personnes expulsées. « Ces occupations représentent pourtant de rares alternatives au campement et à la vie à la rue, en l’absence de possibilité d’accéder à l’hébergement institutionnel », peut-on lire dans le rapport.

Les associations ont également constaté « une forte propension » des autorités franciliennes à utiliser des arrêtés d’évacuation afin d’expulser les lieux de vie rapidement, plutôt que d’attendre des décisions de justice. Le nombre d’expulsions liées à des arrêtés d’évacuation en Île-de-France a plus que triplé.

Idem pour les arrêtés préfectoraux en vue d’une expulsion d’habitat informel de l’espace public depuis février 2024. Entre mai 2021 et janvier 2024, seulement deux expulsions étaient liées à un arrêté préfectoral. Le collectif en a recensé huit en seulement quatre mois entre février et mai 2024.

JO et régularité des trains Théodore Malgrain, responsable de la coordination au Barreau de Paris Solidarité, confirme à Mediapart cette augmentation et explique que ces expulsions ont une base légale, mais que « les motifs évoqués ne sont pas forcément légitimes » : « Parfois, le péril imminent est invoqué alors que des personnes sont dans les lieux depuis plusieurs mois et que cela n’avait jamais été évoqué auparavant. »

Ces personnes sont déplacées de campement en campement, sans qu’il y ait de diagnostic social en amont et de proposition adaptée à leur situation.

Aurélia Huot À Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), un bidonville a été expulsé le 7 février 2024 sur la base d’un arrêté municipal mentionnant notamment la localisation du site à proximité de voies ferrées, établissant un « lien incompréhensible » entre l’expulsion et « l’urgence à préserver la régularité des trains, notamment dans une période très particulière des prochains Jeux olympiques et paralympiques ».

Durant la période étudiée par le collectif, la majorité des habitant·es des lieux de vie expulsé·es se sont trouvé·es sans solution d’hébergement. Seul·es 35 % ont eu droit à une solution de repli proposée par l’État. Ce dernier est pourtant tenu, selon l’instruction du 25 janvier 2018, de proposer un relogement et l’accompagnement des personnes expulsées. Une règle de moins en moins respectée, souligne encore le collectif.

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Transférer les sans-abri de Paris : le projet qui inquiète 26 mai 2023 À l’Île-Saint-Denis : « Ils ne veulent pas voir nos visages pendant les JO » 26 juillet 2023 D’autres personnes expulsées sont orientées vers les sas régionaux, « avec une promesse d’un hébergement stable à la clef et d’une possibilité d’examen ou de réexamen de leur demande de séjour », écrit le collectif. Difficile dans ces conditions de s’assurer du consentement réel des personnes à se déplacer, souligne Le Revers de la médaille. A contrario, si elles refusent, « elles ne peuvent pas espérer, à part dans certains cas précis, se voir proposer une place d’hébergement d’urgence en Île-de-France, contrairement à ce que prévoit le droit ».

Une capitale aseptisée Des mineurs non accompagnés ont aussi fait les frais de ces pratiques expéditives. Par exemple, l’un de leurs lieux de vie sur les berges de la Seine a été évacué en février 2024. Problème : aucun acte administratif n’a jamais été retrouvé. De plus, la mairie de Paris a rapidement annoncé n’avoir pas donné son aval à la préfecture. « Une expulsion totalement illégale, qui ne s’est donc pas accompagnée d’une mise à l’abri des personnes », relève le rapport.

Une fois privés de logement, ces groupes sont condamnés à l’errance dans la ville. Et les délais contraints compliquent la défense, puis la prise en charge de toutes les personnes expulsées. Aurélia Huot, directrice adjointe du pôle Accès au droit et à la justice de Barreau de Paris Solidarité, le déplore. « Ces personnes sont déplacées de campement en campement, sans qu’il y ait de diagnostic social en amont et de proposition adaptée à leur situation », souligne-t-elle.

Les travailleurs et travailleuses du sexe et les personnes victimes de traite des êtres humains sont particulièrement confronté·es « à un haut niveau de violence et d’abus », indique le collectif. Ces personnes dénoncent une intensification des contrôles policiers et administratifs à leur égard. L’ensemble des associations intervenant au bois de Vincennes ont effectivement constaté une « nette augmentation des contrôles de la situation administrative des femmes nigérianes du bois ».

Certains contrôles se déroulent avec violence selon de nombreux témoignages : présence de chiens policiers, insultes, poursuites dans les fourrés, extractions forcées des camionnettes, refus de laisser les femmes se rhabiller, etc. « Du 1er juin 2023 à la fin du mois de mars 2024, 20 opérations ont été diligentées par la préfecture de police, aboutissant au contrôle de 203 personnes, détaille le rapport. 44 d’entre elles ont été placées en retenue administrative (13 hommes et 31 femmes), 37 OQTF (obligation de quitter le territoire français) ont été notifiées, 2 placements en CRA ont été effectués. »

Des arrêtés préfectoraux couvrant de larges périmètres à Paris, renouvelés tous les mois, interdisent le regroupement de consommateurs de drogues.

Aurélia Huot constate que cette pression des contrôles dissuade ces personnes de travailler. Il y a encore un an, une certaine tolérance de la police primait, raconte-t-elle. « Elles étaient vues comme des victimes avant d’être des étrangères, maintenant c’est l’inverse », explique-t-elle. « Il y a énormément de femmes dont on a perdu la trace, car elles ont été emmenées en rétention administrative ou parce qu’elles ne viennent plus voir les associations qui les aident, déplore-t-elle. Sachant qu’on accompagne des victimes de traite dans leur parcours de sortie de prostitution ou de sortie des réseaux de traite. »

Les usagers de drogues subissent aussi les conséquences des opérations « Place nette », visant à lutter contre le trafic de drogue. Théodore Malgrain rappelle que des arrêtés préfectoraux couvrant de larges périmètres à Paris, renouvelés tous les mois, interdisent le regroupement de consommateurs de drogue. « Cela a des impacts très négatifs sur ces personnes, qui sont obligées de plus en plus d’aller loin, de se cacher et d’éviter les lieux où elles pourraient être contrôlées. » Toute la politique sanitaire et sociale engagée depuis quelques années est ainsi dévitalisée.

Les préconisations du collectif sont simples. Il réclame un travail social profond en amont de toute expulsion. Il plaide pour que l’État « garantisse la continuité de l’ensemble des dispositifs sociaux avant et pendant les Jeux ». Le Revers de la médaille demande la création nette de 20 000 places d’hébergement à l’échelle nationale, dont au moins 7 000 en Île-de-France, et la mise en place pérenne d’un centre de premier accueil humanitaire des personnes exilées à Paris.

Paul Alauzy, porte-parole du collectif, est pessimiste et craint que les pratiques qui se sont mises en place s’installent pour de bon une fois la compétition achevée. Elles sont, il est vrai, idéales pour conserver une image « aseptisée » de la capitale, et pour rendre la misère presque invisible.

Faïza Zerouala


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