Violences sexistes et sexuelles : entendons-les  !

mardi 21 mai 2024.
 

Alors que la question des violences sexistes et sexuelles a resurgi dans le débat public après les prises de parole de Judith Godrèche et l’appel à témoignages qu’elle a lancé, Politis a choisi, dans un numéro spécial, de s’intéresser à la réception de la parole des victimes et notamment de celles qui sont constamment invisibilisées.

Chaque année, 160 000 enfants victimes de violences sexuelles, un viol toutes les sept minutes, un féminicide tous les deux jours et demi. Les chiffres sont connus. Pourtant, rien. On ne veut pas entendre les victimes et on ne veut pas voir les agresseurs. En témoigne l’expression «  violences faites aux femmes  », comme si ces violences se produisaient indépendamment d’un système patriarcal permettant aux hommes de dominer, agresser, violer, tuer sans que ce soit tellement infamant. Des violences masculines qui, rappelons-le, ne relèvent pas de la sexualité mais de la domination.

Les victimes le savent  : la silenciation s’installe très vite.

Depuis 2018, de nombreuses personnalités publiques dénoncent les violences qu’elles ont subies. Parmi elles, Andréa Bescond, Flavie Flament, Vanessa Springora, Adèle Haenel, Isild Le Besco ou encore Judith Godrèche. Leur popularité permet de pointer le comportement d’abuseurs souvent célèbres eux aussi, et le silence d’un milieu – le cinéma, le théâtre, la musique, la politique. Elle participe à montrer la part d’ombre de secteurs qui, d’habitude, sont baignés d’une certaine lumière. Ces courageuses révélations mettent souvent en danger la carrière de celles qui parlent. Parfois, elles arrivent à créer un rapport de pouvoir qui, l’espace d’un instant, semble s’inverser.

Être exclues, isolées, discréditées après avoir parlé, c’est aussi ce que vivent les victimes anonymes auxquelles nous avons adressé un appel à témoignages. 55 personnes nous ont répondu. Elles ont entre 24 et 72 ans. Informaticiennes, enseignantes, en invalidité suite au stress post-traumatique, infirmières, créatrices de contenus, graphistes, doctorantes, travailleuses sociales, retraitées  : des corps qui crient en silence ou murmurent en hurlant. Politis a voulu les écouter et rassembler leurs témoignages en accès libre sur son site. Afin de leur donner un espace médiatique trop souvent habité par les abuseurs qui ont toute la liberté pour s’y défendre.

Nous avons choisi de questionner l’autre versant de la «  libération de la parole  »  : comment cette parole des victimes est-elle reçue lorsqu’elles essaient de dire les violences  ? Les féministes, les universitaires et surtout les victimes le savent  : la silenciation s’installe très vite. Les personnes qui nous ont confié leur témoignage n’ont pas attendu #MeToo pour parler. Toutes avaient essayé d’évoquer une ou plusieurs fois des violences qu’elles avaient vécues. Pour qu’elles cessent, pour être protégées, soignées, reconnues en tant que victimes et obtenir une forme de réparation.

Mais, bien souvent, la minimisation ou, pire, le discrédit jeté sur leur parole, cette «  mécanique du silence  » que décrit l’anthropologue Dorothée Dussy, se sont abattus dès que les violences ont été dites. Avant même qu’elles ne puissent accéder à un espace politique dans lequel dénoncer et s’organiser contre les violences. Un espace d’autant plus inaccessible lorsque les femmes subissent d’autres systèmes de domination tels que le classisme, le validisme ou le racisme. «  Ne sommes-nous pas des femmes  ?  », se demande Nadège Beausson-Diagne, actrice à l’origine du #MeToo dans le cinéma africain, en citant bell hooks, dans un texte inédit que nous publions. Qui refuse de croire, qui ne veut-on pas entendre  ? Quel impact a eu #MeToo dans les espaces où la violence déjà dévoilée avait été silenciée  ?

Pour beaucoup de personnes interrogées, c’est finalement le fait d’entendre le récit d’autres victimes ayant eu la possibilité de s’exprimer publiquement qui les a conduites à parler à nouveau, parfois après des décennies. Un mouvement permettant de sortir de l’état de solitude et d’isolement consécutif aux violences et à l’écrasement de la parole. Et qui permet de faire corps malgré la négation des violences. C’est tout l’objet du court-métrage de Judith Godrèche, Moi aussi, présenté dans la sélection Un certain regard au Festival de Cannes. L’actrice et réalisatrice, avec qui nous nous sommes entrenu·es, a rassemblé un millier de personnes victimes de violences sexuelles en plein Paris. Elles se parlent. Elles nous parlent aussi, comme elles ont déjà tant parlé. Et nous devons les entendre.

Par Hugo Boursier

et Pauline Migevant


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