Grève SNCF Reportages à Paris-Austerlitz et Montrouge

vendredi 16 novembre 2007.
 

Reconduction : la grève est puissante et les assemblées souveraines.

1) Gare d’Austerlitz

Gare d’Austerlitz, jeudi 15 novembre, 10h30. C’est le deuxième jour de grève reconductible et les assemblées générales intersyndicales se réunissent par secteurs (agents de conduite, exploitation, contrôleurs, guichets, maintenance). Les chiffres de grève de la veille sont rassurants : 63 % de cheminots grévistes au niveau national, c’est autant que ce qu’il y a eu au pic de grèves de 1995. Aujourd’hui la grève semble aussi puissante, car il y autant de monde que la veille aux assemblées.

À l’assemblée agents de conduite (les « tractionnaires »), ils sont 63, dont seulement 3 femmes. Dès le début, le débat commence sur les échos faits par la presse des discussions en cours entre les directions syndicales et le gouvernement. De nombreuses interventions s’inquiètent de la tournure que pourraient prendre ces « négociations » : « La grève a commencé et elle est entre les mains des grévistes, c’est nous qui décidons à la base. Il faut le faire savoir aux états-majors syndicaux ». Les syndicats sont jugés utiles mais, dans un secteur où il n’y a que 10 % de syndiqués, les grévistes tiennent énormément à la souveraineté des AG pour prendre leurs décisions, « les grévistes ont le droit de savoir à quelle sauce on va les négocier ». L’annonce de négociations entreprise par entreprise inquiète, car elle va permettre au gouvernement de diviser en donnant des choses à certain et en isolant les autres. Pour certains, ces annonces de négociations dès le démarrage de la grève est un handicap : « C’est dur de convaincre les hésitants à partir en grève alors que des négociations commencent. Si c’est pour négocier, je préfère retourner au boulot. » Des syndicalistes CGT protestent contre les « procès d’intention contre les fédérations ».

Une discussion a lieu sur les revendications. Il faut réaffirmer que la grève est pour le « retrait pur et simple de la contre-réforme, point barre », donc le refus des 40 annuités, des décotes et de l’indexation des retraites sur les prix et non plus les salaires. Pour eux, ce n’est pas négociable et certains craignent que ces revendications soient sacrifiées en échange de miettes sur les salaires et le fret.

La discussion a porté sur la nécessité de ne pas rester isolés et de « faire nous-mêmes cette convergence des luttes que l’on nous a promis le 18 octobre ». Il faut assurer la coordination avec la RATP, EDF et les étudiants. Le principe de faire une assemblée interprofessionnelle l’après-midi a été adopté.

Par contre, la discussion est plus compliquée en ce qui concerne les assemblées de cheminots d’Austerlitz. Faut-il continuer à se réunir par métier ou faire des assemblées de site ? Le débat est vif. La moitié des participants pensent qu’une assemblée de site est un facteur d’unité qui empêchera les « coup de blues ». Mais l’autre moitié est contre et l’on sent que, derrière ce débat, des tactiques d’organisations syndicales et politiques sont à l’œuvre.

L’assemblée se termine par le vote d’une motion exigeant le retrait de la réforme des retraites voulue par le gouvernement et qu’aucun engagement ne soit pris sans demander l’avis des grévistes.

En assistant à cette assemblée, on ressort avec une certitude : la démocratie des décisions est une exigence des grévistes et, pour l’instant, la grève est bien entre leurs mains.

À l’assemblée des contrôleurs, au même moment, l’ambiance est enthousiaste : le taux de grévistes a encore progressé par rapport à la veille, pour atteindre 87% (chiffres communiqués par la direction). L’annonce de cette bonne nouvelle est accompagnée d’applaudissements nourris et chaleureux, qui résonnent dans l’entresol où se sont réunis près de 70 salariés.

Après avoir entendu une étudiante venue souligner la convergence d’intérêts entre cheminots et étudiants, un délégué de la CGT ouvre le tour de parole et affirme qu’il n’y a « aucune négociation du côté de la CGT » dans le cadre actuel posé par le gouvernement. Et de rappeler les trois exigences non négociables : le maintien des 37,5 annuités, l’absence de décote pour les salariés n’accomplissant pas la totalité de leurs annuités, et l’indexation des retraites sur les salaires. « Il s’agit d’un choix de société. [...] On est là pour muscler la mobilisation. La CGT n’est pas là pour faire des reculs », souligne-t-il, avant de laisser la parole au représentant de l’Unsa, qui n’a qu’« un seul mot d’ordre : reconduite ».

Un délégué de Force ouvrière incite les jeunes et les non-syndiqués à s’exprimer : « C’est votre AG. » Une main se lève alors : « C’est une vraie politique de casse sociale. On fait parfois grève pour pas grand-chose ; maintenant, je pense qu’il y a beaucoup de choses à gagner. » Avant de mettre en garde : « Il faut se méfier des directions syndicales, on s’est pas mal fait balader ces derniers temps. » Légère gêne des « OS », même s’ils ne se sentent pas visés personnellement.

Le représentant de SUD-Rail propose alors une motion, adoptée à Paris-Nord, qui réaffirme la souveraineté de l’assemblée générale et la maîtrise des négociations : « [...] Nous exigeons d’être consultés pour toute décision qui engagerait notre avenir et d’être informés du contenu des discussions à chaque étape. » Un « jeune » intervient : « On nous dit d’entrée que ce n’est pas négociable. Mais pourquoi on va les voir ? »

La question de l’extension du mouvement se pose ensuite. D’autant que « les médias mentent », s’insurge Pascal, la « une » des journaux du matin prédisant la fin de la lutte (« Préavis de sortie » pour Libération, « La grève s’essouffle » pour Le Figaro...), avant de proposer « d’éviter ces médias » et de consulter les médias alternatifs. « Il faut informer la population, faire des sit-in massifs », propose l’un. Un représentant de la CGT propose d’être « encore plus nombreux demain », avant que Natacha, déléguée de Force ouvrière, ne mette en garde contre « les chiffres : avec 88%, même si ça peut fluctuer, la mobilisation est massive, c’est l’essentiel ». Et de poursuivre : « Adressons-nous aux usagers. Nous sommes dans un mouvement interprofessionnel, mettons en avant des mots d’ordre unifiants, comme les 37,5 annuités pour tous. » Si des revendications locales sont évoquées ici ou là (deux agents par train, etc.), le problème global prime : « Ce n’est ni l’heure ni le moment de traiter des problèmes locaux », dit l’un. L’assemblée générale passe au vote sur la reconduction de la grève pour le vendredi 16 novembre : 64 pour, 0 contre, 4 abstentions.

Pour élargir la mobilisation, bien que certains agents y soient défavorables, une assemblée générale du site Paris-Austerlitz (réunissant agents de conduite, exploitation, contrôleurs, guichets, maintenance) a été votée la veille et une AG interprofessionnelle (avec la RATP, les étudiants...) devait se tenir dans l’après-midi.

Jack Radcliff et Thomas Mitch

2) Dépôt de Montrouge

Au troisième jour de grève, la reconduction a de nouveau été votée sur le site de maintenance SNCF de Montrouge. La détermination est là, mais les préoccupations aussi. Ambiance.

Le gigantesque site de maintenance SNCF, qui jouxte la station de métro Châtillon-Montrouge (Hauts-de-Seine), semblait désert, vendredi 16 novembre, comme figé par le froid glacial de la matinée. Impossible, de prime abord, de saisir l’étendue de ce site, qui se compose de l’établissement de Châtillon (TGV), et de celui de Montrouge (trains de banlieue ou Transilien, dans la novlangue de la direction de la SNCF). Ce matin, l’assemblée générale de la maintenance de Montrouge a reconduit la grève, pour 24 heures. Près de 80% des 150 salariés, tous collèges confondus (exécution, maîtrise et cadres), ont arrêté le travail.

« Vous n’êtes pas de TF1 ? Parce que sinon, c’est la porte », annonce d’emblée Fred, gréviste remonté à bloc par la « désinformation » des grands médias. Mais, accompagné d’un sous-fifre, le chef de l’établissement ne l’entend pas de cette oreille : « Nous n’acceptons pas de journalistes ici... pour des raisons de sûreté. Et puis, il faut en informer la direction de la communication ». Bas les pattes donc, l’information ne se partage pas.

Désapprouvant leur chef, les grévistes poursuivront la conversation à l’extérieur du hangar. « La première des revendications, c’est la défense du service public », souligne Philippe, 27 ans, sept ans d’ancienneté en tant qu’électricien dépanneur et syndiqué à la CGT. Et de poursuivre : « Bien sûr, il y a la question des salaires, du départ à la retraite - il ne faut pas revenir sur les 37,5 annuités -, et notre pouvoir d’achat. En vingt ans, celui-ci a diminué de 20%. » À ses côtés, Jean-Pierre, 39 ans, dix-neuf ans d’ancienneté à la SNCF, est délégué du personnel CGT : « Avec la nouvelle règle, en partant à la retraite à 55 ans, je perds 1100 euros par trimestre pour toucher 1000 euros par mois. Sinon, je dois travailler quatre ans de plus ! » Aux propos du ministre du Travail, Xavier Bertrand, qui exige des syndicats qu’ils appellent à lever la grève pour pouvoir négocier, Philippe répond : « La grève est notre seul moyen de pression. On risque de se faire avoir si on lève la grève. » Plus « modéré », Jean-Pierre assure qu’« il ne faut pas griller toutes ses cartouches, et peut-être suspendre à un moment pour reprendre plus tard », avant de remarquer que « ce sera peut-être plus facile de négocier entreprise par entreprise »...

Mais Pascal, non syndiqué, fait part de sa détermination : « Il faut mettre la question des retraites en avant, parce que si on met tout sur la table, les gens - déjà qu’ils ont du mal - ne vont plus rien comprendre.Les 40 ans, on n’en veut pas. C’est le gouvernement qui nous oblige à faire grève. » Après neuf ans de bons et loyaux services à la SNCF, Pascal touche 1300 euros net, primes comprises, et occupe un emploi qualifié. Non loin de lui, Bernard, 35 ans d’entreprise, qui encadre une équipe de vingt « bonshommes », ne gagne pas plus de 1700 euros net par mois, primes comprises.

Patrick, non syndiqué, met en avant sa préoccupation principale : « J’ai envie d’être solidaire de tous ceux qui sont à 40 ans, mais il faut comprendre que s’ils [le gouvernement, NDLR] nous attaquent maintenant, c’est pour mettre tout le monde à 42 ans. » Et Pascal de souligner que « nous faire travailler plus, pour gagner moins, c’est un scandale... au moment où Sarkozy s’augmente de 172% ». Les grévistes ont tous vu la vidéo Internet de Sarkozy pris à partie par un marin pêcheur... En fin de matinée, une vingtaine d’entre-eux se dirige vers l’entrepôt de bus de Malakoff, la commune limitrophe, pour échanger des informations avec les grévistes de la RATP.

Thomas Mitch


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