Le président Protée ne parle plus que pour ne rien dire

jeudi 4 janvier 2024.
 

Les vœux vespéraux d’Emmanuel Macron pourraient être les derniers tant l’exercice paraît vain, l’émetteur usé, les récepteurs à bout de nerfs. Comme si tournait désormais à vide le verbe agonisant du président sépulcral d’une Ve République caverneuse.

Le triomphe de la piperie touche à sa fin. Le quinquennat se traîne mais une évidence électrise la France : le roi est nul ! Un tel constat s’impose dès lors ; quoi que ce président fasse – à défaut d’accomplir – et quoi qu’il dise – à défaut de faire.

Les vœux qu’il s’apprête à prononcer resteront lettre morte. Et rien ne sert de rappeler Jonathan Guémas, plume fétiche élyséenne partie s’enrichir chez Publicis – comme pour illustrer que plus rien ne sépare la pol de la pub.

Emmanuel Macron, imposteur en quête de personnage, réclame de la réclame sous l’œil au pire furibard, au mieux indifférent, d’une France qui en est revenue. Voilà où nous en sommes et où il n’a pas encore compris qu’il en est.

Il se voulait Jupiter mais s’avère Protée, divinité de l’onde. Protée ondoyant, insaisissable et capable de se transformer en lion, en serpent, en cochon, en feu ou en ruisseau, pour déjouer la curiosité des hommes : avoir tant de comptes à rendre qu’il n’en rendrait aucun.

Jacques Attali, tremplin vite traité en paillasson, avait subodoré le bestiau dont il se voulait pourtant le maquignon. En mai 2016, à la question « de quoi Emmanuel Macron [alors ministre de l’économie d’un gouvernement Valls sous la présidence de François Hollande – ndlr] est-il le nom ? », Attali répondit en deux mots : « Du vide. »

La repartie était parfaite. Mais le conseiller des princes se reprit aussitôt, pour sauver sa mise : « Du vide de la politique française. » Et en janvier 2017, Jacques Attali versait dans une forme de cécité volontaire, tant l’avait effarouché son éclair de lucidité : « Macron est en train progressivement de remplir le vide. » On a connu rétablissement moins laborieux.

Les deux mots initiaux nous auraient fait gagner beaucoup de temps démocratique : le du vide menant forcément à du balai. Nombreux sont ceux qui auront été dupés, en 2017 et en 2022, par un candidat à son élection puis à sa réélection, capable de se transformer en test de Rorschach imposé au corps électoral. Chacun était invité à distinguer ce qu’il avait envie de percevoir, chez un Macron-Protée revêtant une suite de parures d’emprunts, en un tour de passe-passe aussi endiablé qu’infini.

Les observateurs patentés se lançaient dans une course à l’échalote définitionnelle, face à ce Fregoli sibyllin, à ce Zelig évanescent, à ce Tartuffe indiscernable. Grisé par sa ligne de fuite, s’enivrant d’un « en même temps » devenant « tout et son contraire », extasié de contenter tout le monde et son père, le président Macron se retrouva tel un caméléon sur une couverture écossaise.

C’est ainsi que le découvrit la très grande majorité du peuple français. L’heure de vérité avait sonné. Sautait aux yeux un bilan calamiteux : détricotage des retraites et ouverture de la traque aux immigrés. Aurore Bergé allait en rajouter une louche despotique en imposant, sous son beau titre de « ministre des solidarités et des familles », des travaux d’intérêt général aux « parents défaillants » et autres « pères déserteurs ».

La coupe était pleine. Un très gourmé député des beaux quartiers de la Rive gauche habituellement animé d’une grande prudence et du désir de ne froisser personne, Gilles Le Gendre, sortit de ses gonds sur son trente-et-un métros de retard. C’était le 12 décembre dernier, lors de la réunion des députés du groupe Renaissance, qu’il présida naguère : « Nous assistons au lent délitement du macronisme comme projet de gouvernement », osa M. Le Gendre, haussant un brin le ton de sa voix flûtée – ce qui équivaut à une crise de rage chez Édouard Balladur.

C’est alors que la macronie – moins Macron – comprit ce que la France considérait comme une affaire entendue : il faut tirer l’échelle. Silence. Non plus dans les rangs mais au sommet. Or le président va parler. Envers et contre tous. De la cause des femmes et de celle de Gérard Depardieu. De son amour de la paix et des chasseurs. De santé publique et du droit à picoler sec, ainsi que l’exigent les groupes de pression en faveur de l’alcool – qui soufflent à l’oreille du président pendant que le peuple souffle dans l’éthylotest.

Que se taise donc ce Jupiter devenu Protée transformé en Narcisse, lui hurle une France à jamais furieuse qu’il la prenne pour son miroir ! Mais non, il va discourir, se sachant pourtant ni entendu ni même écouté. Et nous devrons subir sa harangue démagogique de la Saint-Sylvestre : « L’abîme appelle l’abîme à la voix de tes cataractes » (Psaume 42).

Antoine Perraud


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