« Je refuse de participer à une guerre de vengeance » : Israël emprisonne un adolescent pour refus de se soumettre à la conscription militaire

dimanche 7 janvier 2024.
 

Tal Mitnick est le premier objecteur de conscience israélien à être emprisonné depuis le 7 octobre. Il explique pourquoi la guerre actuelle n’a fait que renforcer ses convictions.

Mardi »26 décembre, Tal Mitnick, de Tel-Aviv, 18 ans, est devenu le premier Israélien à refuser le service militaire obligatoire depuis qu’Israël a lancé son offensive contre la bande de Gaza, il y a plus de 80 jours. Mitnick a été convoqué au centre de recrutement de Tel Hashomer où il s’est déclaré objecteur de conscience ; il a été condamné à 30 jours de prison militaire.

Mitnick est l’un des 230 lycéen.nes israélien.nes qui ont signé une lettre ouverte au début du mois de septembre, avant la guerre, annonçant leur intention de refuser leur incorporation ; c’était dans le cadre d’une mobilisation contre les démarches entreprises par le gouvernement d’extrême droite pour restreindre le pouvoir des magistrats. Rapprochant ce coup d’État judiciaire de la domination militaire qu’Israël exerce depuis longtemps sur les Palestiniens, les lycéen.nes - qui se sont organisé.es sous la bannière « Jeunesse contre la dictature » - ont fait savoir qu’ils ne partiraient pas à l’armée « tant que la démocratie ne sera pas assurée pour tous ceux qui vivent sous la juridiction du gouvernement israélien ».

Début décembre, Mitnick a comparu devant le « Comité de conscience » de l’armée - composé de plusieurs militaires et d’un universitaire - qui a rejeté sa demande d’exemption du service militaire. Après avoir fait part de son refus ce mardi, Mitnick a été immédiatement emmené à la prison militaire de Neve Tzedek, près de Netanya, pour y purger sa peine, après quoi il devra se présenter à nouveau au centre de recrutement. Ces dernières années, les objecteurs de conscience ont été soumis à plusieurs périodes d’emprisonnement, certaines allant jusqu’à 100 jours d’incarcération ou plus.

Noa Levy, une avocate qui représente les objecteurs israéliens pour le compte du réseau Mesarvot, a déclaré à +972 et à Local Call que depuis le début de la guerre, l’armée a fait le plus souvent le choix de ne pas emprisonner les citoyens qui avaient annoncé leur refus de servir. « Tal n’est pas le premier objecteur dont la date d’enrôlement est postérieure au début de la guerre », a-t-elle expliqué. « Avant lui, il y en a eu des dizaines, tant des objecteurs de la force de réserve que des objecteurs au service normal. Mais l’armée a trouvé d’autres moyens de les traiter et ne les a pas envoyés en prison ».

Dans un message qui diverge fortement du discours public israélien dominant, alors que l’armée poursuit son offensive contre Gaza et que toute personne en Israël qui exprime une opposition, même modérée, à la guerre est confrontée à la persécution et à la répression, Mitnick a déclaré à +972 : « Mon refus correspond à une volonté de me faire entendre de la société israélienne et aussi de ne pas prendre part à l’occupation et au massacre qui se déroule à Gaza. J’essaie de dire que cela ne se fait pas en mon nom. J’exprime ma solidarité avec les innocents de Gaza. Je sais qu’ils veulent vivre ; rien ne justifie qu’ils deviennent des réfugiés pour la deuxième fois de leur vie ».

Dans une déclaration publiée avant son incarcération, Mitnick a décrit l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas contre le sud d’Israël comme « un traumatisme sans précédent dans l’histoire du pays », mais il a déclaré que « le bombardement de Gaza par l’armée n’était pas la solution. Il n’y a pas de solution militaire à un problème politique », écrit-il. « C’est pourquoi je refuse de me faire engager dans une armée qui croit que le vrai problème peut être ignoré, sous un gouvernement qui ne fait qu’entretenir le chagrin et la douleur », a-t-il ajouté.

« Je refuse de croire que plus de violence apportera la sécurité », a-t-il poursuivi. "Je refuse de participer à une guerre de vengeance.

Peu avant son entrée en prison, Mitnick a parlé à +972 de sa décision de refus, de sa peur d’entrer en prison dans le climat politique actuel et du message qu’il souhaite faire passer à l’opinion publique en Israël et dans la bande de Gaza.

Comment es-tu arrivé à ta décision de refuser de partir à l’armée ?

Même avant le premier avis de convocation, je savais que je ne voyais aucun intérêt à être incorporé. Je savais que je ne voulais pas servir dans ce système qui perpétue l’apartheid en Cisjordanie et ne fait que perpétuer le cycle du sang versé. J’ai compris que la position très privilégiée dans laquelle je me trouve, avec une famille et un environnement qui me soutiennent, m’oblige à l’utiliser pour toucher d’autres jeunes et leur montrer qu’il existe une autre voie.

Lorsque je parle à mes amis - dont certains servent et d’autres ont été exemptés - des raisons pour lesquelles je ne vais pas à l’armée, ils comprennent que c’est pour moi dans une perspective humaine de considération pour l’autre. Personne ne pense que je soutiens le Hamas ou que je souhaite que [mes amis] souffrent. Il y a des gens qui pensent que des actions militaires apporteront la sécurité ; je pense moi que c’est mon refus public qui aura de l’influence et apportera le plus de sécurité.

Comment les manifestations contre la réforme du système judiciaire ont-elles contribué à façonner votre vision du monde ?

Avant les manifestations, je considérais l’activisme politique comme quelque chose de très lointain, et je ne pensais pas qu’il était possible d’avoir un impact en tant qu’individu. Lorsque les manifestations ont commencé et que j’ai vu que des membres de la Knesset descendaient dans la rue, j’ai réalisé que la politique était plus proche de moi que je ne le pensais, qu’elle pouvait toucher tous les coins du pays et qu’il était possible d’avoir une influence. C’est là que j’ai compris que mes actions pouvaient avoir un impact sur la réalité que nous voyons ici, et que j’avais l’obligation d’agir pour un avenir meilleur.

Vous êtes-vous demandé si le moment était opportun pour le faire, compte tenu de l’atmosphère actuelle ?

Oui, j’ai eu des doutes. J’ai toujours su que l’armée n’avait pas de politique cohérente à l’égard des objecteurs de conscience, que la décision pouvait changer à tout moment - libérer tous les objecteurs ou les emprisonner pour une longue période - et j’y étais préparé. Après le 7 octobre et les attaques [du gouvernement] contre le mouvement pour la paix, contre les partenariats judéo-arabes et contre les citoyens palestiniens qui expriment leur soutien et leur solidarité avec les innocents de Gaza, et même contre les manifestations, la situation est devenue effrayante. Mais c’est précisément le moment de montrer l’autre côté, de montrer que nous existons.

Pense-tu qu’il y ait qui que ce soit dans le pays qui soit prêt à écouter de tels messages en ce moment ?

Nous savons tous que nous avons besoin d’une autre voie, surtout après le 7 octobre. Nous savons tous que cela ne marche tout simplement pas, que Benjamin Netanyahou n’est pas « M. Sécurité ». La « gestion » du conflit est une politique qui n’a pas fonctionné et qui a fini par s’effondrer.

Nous ne pouvons pas continuer à vivre dans la situation actuelle, et deux options s’offrent à nous : la droite évoque le transfert et le génocide des Palestinien.nes de Gaza ; l’autre camp affirme qu’il y a des Palestinien.nes ici, qui vivent entre le Jourdain et la mer Méditerranée, et qu’ils doivent jouir de droits. Même les personnes qui ont voté pour Bibi [Netanyahou], et même celles qui ont soutenu la réforme judiciaire, peuvent se reconnaître dans l’idée que tout le monde a le droit de vivre dans la justice, que tout le monde a le droit d’avoir un toit au-dessus de sa tête, et soutenir l’idée d’une existence vécue en commun ici.

Après le 7 octobre, de nombreux partisans de la gauche ont affirmé qu’ils s’étaient « dégrisés ». Cela vous a-t-il affecté ?

Rien ne justifie de faire du mal à des civils innocents. L’attaque criminelle du 7 octobre, au cours de laquelle des innocents ont été tués, constitue à mes yeux une résistance illégitime à l’oppression du peuple palestinien. Cependant, le fait d’interdire la résistance légitime telle que les manifestations ou de qualifier les organisations de défense des droits de l’homme d’organisations terroristes conduit les gens à déshumaniser l’autre et à mener des actions contre des civils.

Le 7 octobre n’a pas changé mon point de vue, il l’a seulement renforcé. Je continue de penser qu’il est impossible de vivre avec le siège de Gaza et sous une occupation sans en éprouver les conséquences. Je crois que beaucoup de gens le comprennent enfin. Le principe « loin des yeux, loin du cœur » ne fonctionne pas. Quelque chose doit changer, et le seul moyen est de parler, de parvenir à un règlement politique. Je ne dis pas que cela résoudra tout, mais ce sera un pas de plus vers la justice et la paix.

Quelle a été ta perception de ton audition par le Comité de conscience ?

L’enquêtrice de la pré-commission était agressive. Elle a remis en question ma non-violence parce que je me suis opposé aux mesures prises par le gouvernement et à l’occupation. En substance, en raison de mes opinions, elle m’a dit que je n’étais pas un objecteur de conscience parce qu’il s’agissait d’opinions politiques.

En fin de compte, je suis passé par la pré-commission et j’ai comparu ensuite devant la commission elle-même moins d’une semaine après l’entretien, alors que de nombreuses personnes attendent en général une demi-année. C’était un entretien empreint d’hostilité : moi face à quatre personnes.

Ils [et elles ?] se sont attaqués à mes opinions. Ils m’ont demandé ce que j’aurais fait le 7 octobre et comment j’aurais géré la situation. Ils m’interrompaient constamment et me disaient qu’ils allaient formuler la question différemment. J’ai essayé de continuer à répondre, mais ils me disaient que je ne leur répondais pas. Je ne suis pas le dirigeant d’Israël ; ils ne peuvent pas me placer dans cette position.

Ils m’ont demandé en quoi mon refus était différent de celui des Frères d’armes [un groupe de vétérans de l’armée qui ont déclaré leur refus de se présenter au service de réserve en signe de protestation contre le coup d’État judiciaire]. J’ai répondu que je les appréciais et que je trouvais important qu’il y ait des gens qui aient une ligne rouge à ne pas franchir pour faire leur service - mais j’ai fixé ma ligne rouge plus en avant qu’eux, et j’espère que leur ligne rouge évoluera dans le sens de la mienne.

Deux jours plus tard, on m’a dit que je n’avais pas été admis par la commission. Je n’ai pas été surpris. Je n’ai reçu aucune explication, ils m’ont simplement appelé pour m’annoncer le résultat.

Comment comptes-tu occuper ton temps en prison ?

J’ai quelques longs livres dont j’espère qu’ils m’autoriseront à les apporter : Boire la mer à Gaza d’Amira Hass, une histoire de la CIA, et une histoire de la lutte des Mizrahi par Sami Shalom Chetrit. J’ai parlé avec des objecteurs de conscience qui ont déjà été en prison ; ce n’est certainement pas une colonie de vacances, mais d’après ce que j’ai compris, on peut y faire face. Il suffit de savoir comment parler et de ne pas se croire supérieur à qui que ce soit.

Oren Ziv, 28 décembre 2023


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