« On est sorti plombés » : au meeting des Écologistes, les pulsations ultra-libérales peinent à convaincre

dimanche 17 décembre 2023.
 

Le 2 décembre, à Paris, les Écologistes ont lancé leur campagne en vue des élections européennes de juin 2024. Premier meeting, premier loupé qui suscite de profondes inquiétudes dans les rangs des Écologistes. Ils sont peu avoir été convaincus par le caractère lunaire de la démarche et le vide des propositions. Un très (trop) long meeting. Près de trois heures et demie.

Un mode d’emploi sur comment rater un lancement de campagne en plusieurs étapes : inviter Gaspard Koenig, ultra-libéral qui a soutenu Emmanuel Macron qu’il qualifie de « prophète », réciter un discours plombant et creux, faire l’éloge de la « douceur » et des pratiques de développement personnel, critiquées par des cadres écologistes pour leur décalage complet avec la réalité sociale du pays.

Ce meeting se voulait « moderne », une « pulsation », comme son nom l’indiquait. Le résultat a surtout démontré le caractère hors-sol du parti ayant récolté 4% des scrutins à la dernière élection présidentielle. Des néo-nazis organisent des ratonnades contre les musulmans, défilent dans les rues avec le silence complice des autorités, 10 millions de personnes vivent dans une extrême pauvreté, l’effondrement climatique est commencé : quelle est la réponse d’EELV ? Une garden-party se voulant casser les codes mais les poursuivant de fait en ne changeant rien dans la méthode qui conduit à l’effondrement social et climatique.

Marie Toussaint a t-elle compris qu’il n’y a pas d’écologie possible en dehors d’une action anticapitaliste ? Non. Elle ne propose aucune rupture pour préférer d’obscures mesures, telles qu’un « veto social » à l’échelle de l’UE. Retour sur un meeting hallucinant. Notre article.

L’ultra-libéral Gaspard Koenig, fondateur d’un think tank, voulant mettre fin au « protectionnisme de la PAC »… invité au meeting des Écologistes

Dans les nombreux intervenants invités au meeting des Écologistes, un certain Gaspard Koenig. Ce nom vous dit peut-être quelque chose. C’est l’un des chantres de l’ultra-libéralisme en France. En 2017, il est un fervent défenseur d’Emmanuel Macron. Dans une tribune publiée dans Le Monde, il ne tarit pas d’éloges à son sujet : « Si le président est un symbole, alors Emmanuel Macron remplirait cette fonction à merveille, lui conférant jeunesse, intelligence et ouverture ». Gaspard Koenig poursuit : « Emmanuel Macron n’est sans doute pas le messie du libéralisme, mais peut-être l’un de ses prophètes ».

En 2013, le philosophe fonde le think Génération Libre, qui veut en finir avec le « protectionnisme de la PAC » (Politique Agricole Commune européenne, ndlr). Gaspard Koenig veut également diviser par 100 le nombre de normes réglementaires et législatives dans notre pays. Si de nombreuses normes doivent changer dans ce pays, son désir est l’image du nom de son parti : « Simple ». Simplifier pour simplifier. Comprendre : démanteler les services publics. Il défend une remise en cause de l’impôt progressif sur le revenu, au profit d’un taux unique de 30%, payé au premier euro, combiné à un système de crédit d’impôts.

Gaspard Koenig ne dénonce pas le capitalisme ultra-libéral, il en est l’un des fervents défenseurs. Face à l’urgence écologique, il prône la réforme individuelle et la décentralisation, plutôt que la planification écologique. Le philosophe défend aussi la suppression de l’IFI, successeur de l’Impôt Sur la Fortune, supprimé par Emmanuel Macron.

L’ancien candidat à l’élection présidentielle a aussi été la plume de Christine Lagarde. Ex-présidente du Fonds Monétaire International (2011-2019), elle est aujourd’hui directrice de la Banque Centrale européenne. Elle a été plusieurs fois ministre sous Chirac et sous Sarkozy, notamment au ministère de l’Économie.

Les valeurs défendues par le fondateur de Génération Libre sont aux antipodes de celles portées par le programme de la NUPES, pourtant signé par les Écologistes (ex-EELV). Que signifie alors cette invitation inattendue de l’un des chantres de l’ultra-libéralisme de leur part ? Nul doute que les équipes organisatrices du meeting ont lu attentivement le CV de Gaspard Koenig qu’ils connaissent sur le bout des doigts. Le choix est parfaitement calibré politiquement.

Idéologiquement, cela signifie-t-il le retour de gauche dite « Hollandiste » ? Les Écologistes n’ont pas défendu le programme de la NUPES aux élections sénatoriales. Il est clair qu’ils ne comptent pas non plus défendre le programme de rupture, pourtant signé, aux élections européennes. Les insoumis ont pourtant multiplié les mains tendues, allant jusqu’à leur proposer la tête de liste aux élections européennes. En vain. Les Écologistes n’ont rien voulu entendre. Considérant les élections européennes comme « leur » élection, ils ont préféré partir seuls. Quelles sont donc les positions de leur tête de liste, Marie Toussaint ?

Le discours plombant et creux de Marie Toussaint, tête de liste des Écologistes aux élections européennes

Après plus de 2 heures 30 de meeting, la tête de liste des Écologistes, Marie Toussaint, monte (enfin) sur scène. À son pupitre, devant les drapeaux français et européens, elle reste stoïque. Pas une phrase plus haute que l’autre. Un ton aussi plat que la courbe sondagière de Yannick Jadot lors de l’élection présidentielle de 2022. La « douceur » en politique, tant vantée par la tête de liste. Nous y reviendrons.

Assez vite, Marie Toussaint dénonce brièvement la montée de l’extrême droite en Europe et son alliance avec la droite et les macronistes contre l’écologie. Dernier exemple en date : la prolongation de 10 ans par l’Union européenne de l’autorisation d’utilisation du glyphosate. Jusqu’ici, rien de troublant. Néanmoins, comment dénoncer avec autant de vigueur l’extrême droite, lorsque son parti a marché à ses côtés, le 12 novembre, participant de fait à sa réhabilitation ? Une marche qui « a été le lieu d’appels au meurtre, d’agressions contre des journalistes, de violences contre des manifestants pour la paix, de propos racistes insupportables contre les musulmans », comme le rappelle la députée insoumise Nathalie Oziol.

« Je veux demander quelque chose à Raphaël Glucksmann »

Après plus de 20 minutes, la cheffe de file des Écologistes aborde la question de la pauvreté. « Je propose que la lutte contre la pauvreté devienne enfin la colonne vertébrale du projet européen », explique-t-elle. Comment faire ? Créer « un droit de veto social, qu’aucune mesure portant atteinte aux conditions d’existence des 10% d’européennes et européens les plus pauvres ne puisse jamais être adoptée ». Comment faire moins concret que cela ? Blocage des prix ? SMIC ? Hausse des salaires ? Ces mots ne sortiront pas de sa bouche..

Plus largement, de qui parle-t-elle ? Des 10% d’européennes et européens les plus pauvres dans chaque pays ? Des 10% les plus pauvres dans toute l’Union européenne ? Est-elle au courant du dumping social au sein de l’Union européenne ?

Un peu plus tard, une phrase tombe de nulle part : « Je veux demander quelque chose à Raphaël Glucksmann (cheffe de file putatif du Parti Socialiste pour les élections européennes ? Ndlr) : peux-tu demander à Carole Delga (présidente PS de la région Occitanie) d’arrêter de soutenir l’A69 ? ». Après Bruno Le Maire demande, Marie Toussaint demande ?

Du côté de L’insoumission.fr, ce projet écocidaire a fait couler beaucoup d’encre. Marie Toussaint s’y oppose parce qu’il n’est « pas compatible avec l’écologie, la lutte contre le dérèglement climatique, avec les pulsations du vivant ». Le caractère anti-social de ce projet d’autoroute est mis de côté par la tête de liste des Écologistes. À noter, un coût exorbitant du péage : 17 euros l’aller/retour pour 77 km, à comparer aux 3,40 € de l’A/R Albi Toulouse pour la même distance. Une erreur de la candidate ? Un révélateur de la difficulté pour les Verts à articuler lutte contre le dérèglement climatique, la justice sociale et la lutte anticapitaliste. Ce, même si ses représentants clament l’inverse.

De l’éloge de la « douceur » : pourquoi Marie Toussaint a tort

Vient alors l’éloge de la « douceur », tant vanté par la candidate. « Nous voulons que la vie de millions d’européens soit plus douce. La douceur, voilà notre horizon. À cette évocation, certains d’entre vous sourient en se disant : ‘elle continue avec son truc de la douceur’. Oui je continue et je ne fais que commencer ». Même certains de ses proches semblent lui avoir dit que ce crédo politique n’était pas une bonne idée.

« ‘Marie, le discours sur la douceur, il n’est pas adapté à la période’. Je réponds : ‘ne vous méprenez pas, il n’y a pas de meilleur moment pour parler de la douceur que quand la violence étend un voile spectral sur notre avenir. » affirme-t-elle. Tout cela sonne creux.

Veut-elle dire par là que la présence de Yannick Jadot à la marche du CRIF du 9 octobre où les extrémistes présents appelaient à « éradiquer Gaza et LFI » n’était pas l’éloge de la douceur souhaitée ? La déclaration de Marine Tondelier voulant « couper le twitter de Jean-Luc Mélenchon » était-elle une preuve de douceur ? Marie Toussaint érige donc « la douceur comme horizon » dans une société qui n’a rien de douce et qui appelle nécessairement à une radicalité à laquelle Marie Toussaint se refuse, préférant la caricaturer en « colère ».

La France compte 10 millions de pauvres, 4,1 millions de personnes mal-logées. 1 Français sur 2 saute des repas. Des assistés d’en haut toujours plus nombreux qui s’en mettent plein les poches. L’extrême droite est en roue libre dans notre pays et ère la nuit pour faire des ratonnades. La guerre fait rage au Proche-Orient. Des Palestiniens meurent chaque jour sous les bombes de l’armée israélienne.

Il est totalement déconnecté d’évoquer la « douceur » dans la période que nous vivons. L’heure est à la bataille culturelle contre l’extrême droite et le capitalisme, pas à la « douceur » de la bataille politique qui implique des rapports de force. En prônant la « douceur », Marie Toussaint illustre sa totale déconnexion avec ce que traverse le pays.

À la fin de son discours, deux autres propositions programmatiques sont présentées : la sortie des énergies fossiles, sans préciser quand, et la création d’un ISF (impôt sur la Fortune) climatique européen, sans plus de précisions. Si elle fustige notre « modèle économique » actuel, elle ne le nomme pas : le capitalisme.

Enfin, après plus de 3 heures de meeting, Marie Toussaint entame sa conclusion. « Écoutez la voix de vote conscience, écoutez les pulsations du vivant et mettez-vous en mouvement : demain nous appartient ! ». Pas d’envolée. Pas de haussement de voix ou de ton un tant soit pour motiver les troupes pour ce lancement de campagne. Dans Libération, un ancien socialiste rallié aux Écologistes se confie : « Les Écologistes ne savent définitivement pas faire campagne ! En principe, un meeting, c’est censé te galvaniser en tant que militant, on devrait sortir de là à bloc, là on est plombés ! ».

Éloge du développement personnel : des pratiques qui peinent à convaincre dans le rangs des écologistes

Sur les réseaux sociaux, difficile d’avoir échappé à ses images. Trois danseuses du groupe Booty Therapy sont venues faire un cours d’initiation aux spectateurs du meeting. Le spectacle n’a pas été du goût de tous les écologistes.

Sur Twitter, l’ancienne secrétaire nationale des Jeunes écologistes, Camille Hachez, fait part de sa consternation à la vue de ses images : « Alors à quel objectif tout cela répond ? Chercher le buzz ? Casser les codes et révolutionner les meetings politiques « boring » en mode startup ? Est ce que nous en sommes à considérer cela comme un échappatoire crédible, et abandonnons tout projet politique ? ». Face à la presse, une cadre écologiste se montre lui aussi peu convaincue : « J’ai dû mal à savoir ce que j’en pense sachant ce qu’il se passe en ce moment à Gaza… », rapporte Libération.

Au total, le décalage avec le moment politique que traverse le pays est flagrant. Ce meeting se voulait « moderne », une « pulsation ». Le résultat a surtout démontré le caractère hors-sol du parti ayant récolté 4% des voix à la dernière élection présidentielle. Des néo-nazis organisent des ratonnades contre les musulmans, défilent dans les rues avec le silence complice des autorités, 10 millions de personnes vivent dans une extrême pauvreté, l’effondrement climatique est commencé : quelle est la réponse d’EELV ? Une garden-party se voulant casser les codes mais les poursuivant de fait en ne changeant rien dans la méthode qui conduit à l’effondrement social et climatique.

Marie Toussaint a t-elle compris qu’il n’y a pas d’écologie possible en dehors d’une action anticapitaliste ? Non, elle ne propose aucune rupture pour préférer d’obscures mesures, telles qu’un « veto social » à l’échelle de l’UE. Un parti et une candidate qui ne sont pas la hauteur du moment politique que nous vivons.

Par Nadim Février


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