Une pluie de missiles sur Gaza ne sera jamais une solution

dimanche 12 novembre 2023.
 

Par Yuval Abraham, jour­na­liste israé­lien. Il vit à Jérusalem et milite en faveur d’une justice durable. Revenant sur les derniers drames, il exhorte son État à ne pas recourir à la vengeance : la solution ne peut être que politique, autrement dit négociée.

L’actualité israélo-palestinienne occupe, à raison, tout l’espace médiatique et politique. Qu’ajouter ? Des paroles à même de nous aider à garder la tête hors de l’eau, peut-être. Yuval Abraham est un jour­na­liste israé­lien. Il vit à Jérusalem et milite en faveur d’une justice durable. Revenant sur les derniers drames, il exhorte son État à ne pas recourir à la vengeance : la solution ne peut être que politique, autrement dit négociée. Le dernier bilan en date fait déjà état de 11000 morts gazaouis et de plus de 20 000 blessés. Or une invasion terrestre est en vue et l’on redoute un embrasement régional. Nous relayons sa voix.

Mon estomac est en vrac. J’ai, ces dernières années, sévèrement critiqué la politique menée par Israël à Gaza : j’ai écrit abondamment sur le blocus qui étrangle le territoire et des amitiés sont nées avec des Palestiniens de Gaza. De ce point de vue, il est important pour moi d’écrire ici qu’il n’y a aucune justification au massacre inimaginable et brutal perpétré par le Hamas, soit l’abattage de familles entières, de centaines de jeunes gens lors d’une fête et d’enfants en bas âge. C’est un crime de guerre.

Je connaissais personnellement certaines personnes parmi les victimes et parmi ceux qui ont été enlevés, dont des activistes pacifistes et anti-occupation issus de cercles auxquels j’étais intimement lié, ou des amis d’amis de mon enfance, dans le Sud. Certains étaient des connaissances sur les réseaux sociaux. L’expérience atroce qu’ils ont endurée et qu’ils continuent d’endurer me tourmente et je ne peux pas me défaire de toute cette horreur. De mon point de vue, la priorité absolue est de négocier avec le Hamas pour assurer le retour des otages en toute sécurité — les femmes et les enfants avant tout — en échange de la libération de prisonniers palestiniens. Une attaque suscitée par vengeance causerait la mort de nombreux prisonniers israéliens, de milliers de civils palestiniens et aiderait le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui est responsable de la défaillance en matière de sécurité, à s’en sortir politiquement. Mais ça n’aiderait en rien les parents et les enfants dont les proches ont été enlevés, ni les deux collectivités nationales qui souhaitent survivre sur cette terre.

« La priorité absolue est de négocier avec le Hamas pour assurer le retour des otages en toute sécurité en échange de la libération de prisonniers palestiniens »

L’armée israélienne procède actuellement à des bombardements sur les bâtiments et les structures civiles à Gaza qui sont d’une ampleur inédite. Les ministres du gouvernement expriment ouvertement leur intention de vengeance, en touchant des civils innocents et réduisant à l’état de ruine des quartiers entiers. Procéder ainsi ne permettra pas d’atteindre l’objectif annoncé, c’est-à-dire « restaurer notre force de dissuasion » ou bien miner le Hamas. Au contraire, c’est l’effet inverse qui risque d’être produit. Comme ça a déjà été le cas à l’occasion de précédents assauts israéliens sur Gaza, c’est la population civile qui en supportera le poids, tandis que le Hamas sortira renforcé de ces actions et gagnera le soutien de la population touchée.

Un chemin qui nous fera tous souffrir

Lorsqu’une guerre est menée contre Gaza, Netanyahu adhère à trois principes fondamentaux ; ils ne semblent, cette fois, pas changer de manière significative. Le premier principe touche à la gestion du conflit. L’usage de la force militaire à Gaza fait l’impasse sur un objectif politique concret ou une vision à long terme pour le futur. C’est essentiellement une tactique menée à court terme pour affaiblir le Hamas, créer le chaos et offrir l’image d’une « victoire » à l’électorat israélien. Le deuxième principe est la préservation du Hamas en tant qu’organisation directrice à Gaza, car il empêche la créa­tion d’un État pales­ti­nien. Aussi longtemps que le Hamas restera au pouvoir, il n’y aura pas l’environnement propice à l’émergence d’un mouvement palestinien unifié comprenant à la fois Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem. C’est pourquoi certaines personnalités, comme le ministre des Finances Bezalel Smotrich, consi­dèrent le Hamas comme un atout : le contrôle qu’exerce le Hamas sur Gaza — et la politique israélienne de séparation — contribue à maintenir l’expansion des colonies en Cisjordanie occupée.

Le troisième principe revient quant à faire des dégâts collectifs infligés à Gaza une stratégie politique. Cette approche, que j’ai apprise des discussions que j’ai menées avec le personnel des renseignements lors des guerres précédentes à Gaza, inclut des actions telles que l’imposition d’un blocus, la destruction des immeubles résidentiels, la coupure de l’approvisionnement et de l’électricité pour des millions de gens et le ciblage de sites qui entraînent de nombreuses victimes civiles, dont des enfants et des familles. Bien qu’elle montre ostensiblement qu’une pression est exercée sur le Hamas, cette tactique vise avant tout à satisfaire le public israélien en créant le sentiment d’une victoire. C’est là un des objectifs centraux des opérations en cours à Gaza. Tout au long des années Netanyahu, ces trois principes ont détruit Gaza, mis en danger toute personne vivant dans l’enclave et, étonnamment, ont renforcé le Hamas : plus la population à Gaza est affaiblie, plus les murs de la prison sont hauts et plus le statut du Hamas est solide. Ces principes ont aussi encouragé les éléments les plus radicaux en Israël et produit d’immenses souffrances chez un nombre incalculable d’individus.

Il semble malheureusement que nous sommes en train d’emprunter la même voie, guidés par les mêmes politiciens responsables des défauts de sécu­ri­té dans le Sud. En cette occasion, l’opinion publique autorisera une ven­geance sans rete­nue et des tueries de masse à Gaza. Certains prétendent que, là, ce sera différent — avec des appels à « conquérir Gaza et renverser le Hamas ». À mon avis, ça n’arrivera pas. Une reconquête complète de Gaza prendrait cinq ans, comme l’a estimé l’armée dans une présentation au gouvernement en 2014. Cette entreprise impliquerait de tuer environ 20 000 agents du Hamas et de purger la bande de ses armes, ce qui se traduirait par des centaines de soldats israéliens tombés au combat et des milliers de victimes civiles à Gaza. Il en résulterait probablement un isolement international et une longue période de chaos. Au terme d’un conflit aussi sanglant, même si une guerre régionale n’éclate pas, on ne sait pas très bien qui gouvernera Gaza et il est presque certain que la situation en matière de sécurité continuera à se dégrader.

« Il n’y a pas de solution militaire à Gaza, parce que le problème de Gaza est politique. »

Aucun dirigeant israélien ne dit la vérité. Il n’y a pas de solution militaire à Gaza, parce que le problème de Gaza est politique : il s’agit de maintenir des millions de personnes en état de siège, dans une prison à ciel ouvert, sous un régime d’apartheid. Il est impossible de vaincre le Hamas parce que le Hamas est une force politique qui dirige la société palestinienne à Gaza, et que le principal carburant qui la soutient est l’oppression israélienne incessante. Il existe cependant une solution politique : elle implique des négociations directes avec le Hamas et l’Organisation de libération de la Palestine [OLP], la levée du blocus de Gaza, la souveraineté palestinienne et la connexion des habitants de la bande de Gaza avec le reste du pays. Il n’est pas possible d’y parvenir sans céder des terres en Cisjordanie et à Jérusalem, ce qui n’a donc pas été fait. Des négociations responsables, soutenues par la communauté internationale, sont susceptibles de réduire l’influence des factions les plus radicales du Hamas plus efficacement que les assassinats ciblés et la destruction des quartiers de Gaza ne pourront jamais le faire.

Israël et le Hamas ont déjà négocié par le passé, et ils le feront encore à l’avenir. Mais ils doivent négocier d’urgence, maintenant, avant tout pour sauver les personnes retenues en captivité et pour écarter les menaces militaires tangibles. Il y a quelques jours, j’ai vu à la télévision l’ancien ministre de l’Éducation Shai Piron exhorter les commentateurs des studios à faire preuve de modestie, à utiliser plus de points d’interrogation et moins de points d’exclamation. Je suis d’accord avec lui. Même les choses que j’ai écrites ici me semblent peut-être trop décisives, comme si tout était toujours clair et qu’il suffisait de faire ceci ou cela pour que les choses soient différentes. Je ne sais même pas si et comment écrire quoi que ce soit face à la mort horrible de tant de personnes autour de moi, et surtout avec l’inquiétude que j’éprouve pour l’avenir. Nous marchons toujours dans l’ombre d’un chemin qui créera de la souffrance pour nous tous. Et il me semble qu’il y a une autre voie.

Yuval Abraham

Ballast


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message