Après des bombardements "terrifiants", Israël étend son offensive à Gaza, coupée du monde

samedi 25 novembre 2023.
 

Vendredi 27 octobre au soir, les forces armées israéliennes ont annoncé avoir « élargi leurs opérations au sol » dans la bande de Gaza. L’annonce a été précédée de bombardements d’une ampleur inédite sur l’enclave et d’une coupure massive des télécommunications. Le Hamas a fait état de « violents combats ».

C’était douze jours après les attaques du Hamas qui ont tué 1 400 personnes, causant stupéfaction et horreur dans la société israélienne. L’officier Yaron Finkelman, béret rouge attaché sous son galon de général de division, avait martelé lors d’une conférence de presse, en donnant des coups de main sur son pupitre : « Désormais, nos manœuvres vont ramener la guerre sur leur propre territoire. Nous allons les défaire sur leur propre territoire. »

« Eux » : le Hamas, et son « territoire », la bande de Gaza. Le parachutiste de formation, chef du commandement sud de l’armée israélienne (qui inclut la région de Gaza), avait encore averti : « Cela sera long, cela sera intense. »

Vendredi 27 octobre au soir, la menace semble avoir été mise à exécution. L’« attaque intégrée et coordonnée par voie aérienne, maritime et terrestre » contre la bande de Gaza, annoncée par les forces armées israéliennes depuis le 14 octobre, commence à prendre corps.

Pour visionner les images satellites de la bande de Gaza après ces bombardements, cliquer sur l’adresse Ci-dessous :

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« Dans la continuité des opérations militaires que nous avons menées ces derniers jours, les forces terrestres ont élargi leurs opérations au sol ce soir. L’armée israélienne travaille avec une force maximale sur tous les fronts pour atteindre les objectifs de la guerre », a déclaré en début de soirée Avichay Adraee, porte-parole arabophone de l’armée israélienne, sur X (ex-Twitter). Peu après 22 heures (21 heures, heure de Paris), le journal israélien Haaretz rapportait aussi que « des habitants de Gaza signalent l’entrée des forces israéliennes dans le nord de la bande de Gaza ».

Les Brigades Al-Qassam, la branche armée du Hamas, ont ensuite annoncé dans un communiqué être engagées dans « de violents combats » suite « à des incursions israéliennes au sol », à au moins deux endroits, au nord et au centre de la bande de Gaza. De son côté, l’armée israélienne a refusé de dire aux journalistes si l’opération en cours était le début d’une offensive de grande envergure.

« Nos troupes et nos chars sont à l’intérieur de la bande de Gaza. Ils tirent et sont en action. Mais nos troupes et nos chars étaient également à l’intérieur de la bande de Gaza hier », a déclaré à 22 heures (23 heures, heure de Paris), un porte-parole de l’armée, Nir Dinar.

Le Hamas, par la voix de l’un des membres de son bureau politique, Houssam Badran, a également appelé les Palestiniens de Cisjordanie à le soutenir, y compris par des violences armées. Des vidéos diffusées dans la soirée sur les réseaux sociaux montraient des manifestants défilant dans plusieurs villes de Cisjordanie, dont Ramallah.

L’ONU appelle à une « trêve humanitaire immédiate »

Au moment des premières annonces israéliennes, le secrétaire général de l’ONU António Guterres lançait cet appel sur les réseaux sociaux : « Je réitère mon appel à un cessez-le-feu humanitaire au Moyen-Orient, à la libération inconditionnelle de tous les otages et à la livraison de fournitures vitales à l’échelle nécessaire. Chacun doit assumer ses responsabilités. C’est un moment de vérité. L’histoire nous jugera tous. »

Peu après à New York, l’Assemblée générale des Nations unies adoptait une résolution non contraignante, présentée par la Jordanie, appelant à une « trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue » et exigeant que toutes les parties respectent le droit humanitaire international et la fourniture « continue, suffisante et sans entrave » d’approvisionnements et de services essentiels dans la bande de Gaza.

Le texte appelle également à la « libération immédiate et inconditionnelle » de tous les civils retenus en captivité et exige qu’ils soient traités humainement, conformément au droit international. La résolution ne mentionne pas spécifiquement les attaques terroristes du Hamas du 7 octobre.

La résolution a été adopté à 120 voix pour, 14 contre (Autriche, Croatie, République tchèque, Fidji, Guatemala, Hongrie, Israël, îles Marshall, Micronésie, Nauru, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Paraguay, îles Tonga et États-Unis) et 45 abstentions. Il a été fortement critiqué par Israël et les États-Unis, qui ont dénoncé l’absence de mention du Hamas.

« Honte à vous ! », a lancé l’ambassadeur israélien à l’ONU, qualifiant d’« infamie » le vote. « C’est un jour sombre pour l’ONU et pour l’humanité », a assuré Gilad Erdan, martelant que son pays utiliserait « tous les moyens » pour « débarrasser le monde du mal que représente le Hamas », et « ramener les otages chez eux ».

Quant à John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, il a refusé de commenter les annonces de l’armée israélienne, lors d’un entretien téléphonique avec des journalistes, a rapporté l’agence Associated Press. « Nous n’avons pas fixé de lignes rouges à Israël », a-t-il affirmé.

Dans la journée, les États-Unis s’étaient déclarés favorables à des « pauses humanitaires », pour laisser entrer l’aide dans la bande de Gaza. Mais le porte-parole du ministère des affaires étrangères israélien, Lior Haiat, a rejeté cette demande. « Israël est opposé à une pause humanitaire ou à un cessez-le-feu à ce stade », a-t-il déclaré, selon l’agence Reuters.

Toutes les communications coupées à Gaza

L’« élargissement » annoncé des opérations militaires israéliennes fait suite à une journée de bombardements qualifiés de « sans précédent » par le Hamas, « les plus violents depuis le début de la guerre ». Ils auraient été menés aussi bien « par air, mer et terre », selon l’organisation islamiste – outre les bombardements effectués par son aviation, Israël est en mesure de frapper Gaza avec son artillerie massée autour de l’enclave et avec ses forces navales, qui mouillent au large des côtes.

En début de soirée, un autre signe avait laissé présager que le conflit entrait dans une nouvelle phase : les télécommunications ont été entièrement coupées dans la bande de Gaza. « Si vous nous entendez, envoyez ce message au monde : nous sommes maintenant isolés à Gaza. Nous n’avons pas de réseau téléphonique, nous n’avons aucune connexion internet. […] C’est vraiment terrifiant », a lancé le correspondant de la chaîne Al Jazeera à Khan Younès, Tareq Abu Azzoum, lors d’un de ses directs.

La rédaction de la télévision qatarie a précisé que son correspondant pouvait lui transmettre des images sporadiquement grâce à ses outils de communication satellitaire, mais qu’elle ne pouvait pas l’appeler directement en raison du black-out.

La coupure d’Internet a été confirmée par Netblocks, une organisation qui surveille la connectivité à Internet. « Les données du réseau en direct montrent un effondrement de la connectivité dans la bande de Gaza […] alors que des rapports font état de bombardements intensifs », a relevé l’ONG en fin d’après-midi, vendredi 27 octobre.

Des coupures de ce type sont généralement effectuées avant les opérations militaires de grande ampleur afin de contribuer à l’effet de surprise et de perturber l’organisation des forces adverses. Dans le cas de la bande de Gaza ce jour, elle a eu pour effet de perturber encore plus le travail de services de secours déjà débordés et manquant de matériel adapté : le Croissant-Rouge palestinien a annoncé avoir « complètement perdu le contact avec la salle des opérations de la bande de Gaza et toutes [ses] équipes qui y opèrent ».

« Nous sommes profondément préoccupés par la capacité de nos équipes à continuer à assurer leurs services médicaux d’urgence, d’autant plus que cette perturbation affecte le numéro central d’urgence “101” et gêne l’arrivée des véhicules ambulanciers vers les blessés », a ajouté l’association.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a également fait savoir qu’elle avait perdu le contact avec ses équipes et centres de santé sur place. « Ce siège me rend très inquiet pour leur sécurité et les risques immédiats pour la santé des patients vulnérables », a déclaré son directeur Tedros Ghebreyesu sur X (ex-Twitter).

Combats urbains souterrains et meurtriers

Cette intensification des opérations fait suite à trois semaines de bombardements aériens qui auraient d’ores et déjà causé plus de 7 000 morts, selon les autorités sanitaires de Gaza, contrôlées par le Hamas. Avant cette nouvelle étape, les forces armées israéliennes avaient déjà mené, deux nuits de suite, de brefs raids terrestres « ciblés » dans le nord et dans le centre de l’enclave palestinienne, mobilisant des troupes d’infanterie et incluant des chars.

Les troupes israéliennes ont déjà envahi à deux reprises la bande de Gaza : en 2009 lors de la deuxième phase de l’opération « Plomb durci », puis en 2014 lors de l’opération « Bordure protectrice ». Dans le premier cas, elles y avaient combattu durant quinze jours ; dans le second cas, pendant dix-neuf jours. Les deux avaient conduit à des milliers de morts palestiniens et des dizaines de morts israéliens.

L’offensive qui s’annonce pourrait être d’une tout autre ampleur. Israël aurait massé plusieurs centaines de milliers de soldats et plus de 300 chars autour de Gaza dans la perspective de cette invasion terrestre, dénombrait le 13 octobre John Spencer, titulaire de la chaire d’études sur la guerre urbaine du Modern War Institute (MWI) de l’académie militaire de West Point, aux États-Unis.

S’ils s’intensifient, les combats vont prendre la forme d’une opération dite de « contre-insurrection » en milieu urbain – une configuration qui pourrait s’avérer au désavantage de Tsahal, relèvent plusieurs analystes militaires (lire notre article). « C’est la configuration la plus compliquée » pour des armées régulières, pointe l’historien militaire (et chroniqueur pour Mediapart) Cédric Mas : « Très peu d’opérations de contre-insurrection en milieu urbain ont réussi. Et quand elles ont réussi, cela a toujours été avec un coût humain très lourd pour les civils. »

Outre les roquettes et les armes antichars que possède le Hamas, les unités israéliennes qui pénètreront dans la bande de Gaza risquent d’être également ciblées par des embuscades, des snipers, des engins explosifs improvisés et des attaques kamikazes.

Dernière particularité, sans doute déterminante, de la bataille qui s’annonce : le sous-sol de Gaza est parcouru de centaines de tunnels, jalonnés de bunkers, s’étendant sur des dizaines de kilomètres. Ce réseau pourra servir doublement aux combattants du Hamas : à des fins offensives, « pour manœuvrer les attaquants sous terre, et pour rester à la fois cachés et protégés afin de mener des attaques surprises », et à des fins défensives, « pour se déplacer entre les positions de combat afin d’éviter la puissance de feu de Tsahal et ses forces au sol », prédit encore John Spencer.

La rédaction de Mediapart


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