Questions sur la sémantique du mot « terroriste »

jeudi 2 novembre 2023.
 

Depuis l’attaque d’Israël par le Hamas le 7 octobre et l’ensemble des événements tragiques qui se sont succédé en Israël, à Gaza et en France, une question s’est imposée dans le débat public français : non pas « est-ce que le Hamas est un mouvement terroriste ? », mais « est-ce que le fait de ne pas condamner le mouvement terroriste qu’est le Hamas est un crime moral et politique, par conséquent inacceptable ? » (thématique du « problème de la gauche »).

La réponse positive est presque unanime et les rares personnalités publiques qui ont refusé, non pas de répondre à la question, mais d’en contester la formulation, ont été mises au ban de la pensée démocratique. Cette question et la réponse induite ont été d’emblée placées sous la législation de l’impératif moral, donc absolu : il est impossible de contester que le Hamas est un mouvement terroriste, ce qui implique de le condamner absolument.

Quiconque ne le fait pas dans ces termes adopte une position tout aussi absolument immorale et s’exclut de facto de la communauté démocratique. Ce caractère absolu, entre autres conséquences, aboutit à la prohibition de tout prolongement à la question, de toute prise en considération du contexte, de toute mise en perspective historique. Et pourtant. N’y aurait-il pas d’autres questions à lier à cette interrogation initiale ?

Existe-t-il des précédents historiques ? Peut-on séparer les moyens de la cause ?

Le Front de Libération National algérien devait-il en son temps être qualifié d’organisation terroriste ? L’African National Congress sud-africain devait-il en son temps être qualifié d’organisation terroriste ? Fallait-il s’en tenir strictement à cette condamnation sans mettre en regard, d’un côté, les causes défendues par ces organisations et, de l’autre, les politiques, respectivement coloniale et d’apartheid, contre lesquelles elles luttaient ?

Si l’on qualifie le Hamas d’organisation terroriste, comment faut-il qualifier l’État israélien ?

C’est un fait historique que l’État d’Israël s’est fondé en 1948 sur l’expulsion violente d’environ 750 000 Palestiniens de leur terre et de leurs foyers. À cette occasion, des massacres de civils ont été perpétrés (Deir Yassin), mais le déni et le recouvrement sont tels que c’est un euphémisme de dire que les études historiques sur ces événements ne sont pas encouragées (question subsidiaire : fallait-il en leur temps qualifier l’Irgoun et l’Haganah d’organisations terroristes et condamner de façon absolue leurs agissements sans prendre en compte le contexte et l’histoire ?). En tout état de cause, la qualification de nettoyage ethnique est la seule apte à rendre compte d’une opération militaire d’une telle ampleur.

Il est avéré qu’une politique de colonisation rampante, caractérisée par la destruction de biens palestiniens et le harcèlement systématique, est pratiquée en Cisjordanie et adoubée par l’État israélien, qui met son armée au service de la protection des colons agissants.

De plus en plus d’organisations internationales (Nations Unies, rapport Francesca Albanese daté 21 septembre 2022), non gouvernementales (Amnesty International, Human Right Watch, Jewish Voice for Peace), notamment israéliennes (Yesh Din, B’Tselem), emploient le terme « apartheid » pour qualifier la politique de l’État israélien à l’égard des populations palestiniennes.

Nettoyage ethnique, colonisation, apartheid : ces attributions doivent-elles conduire à qualifier l’État israélien de terroriste ?

Une dernière série de questions. Quand un président américain, conscient d’une impasse insoluble et meurtrière, prêt à affronter son propre camp, voire aller à l’encontre de ses propres convictions pour privilégier la négociation, la paix à long terme et l’avenir des peuples, empruntera-t-il le chemin pris en leur temps par un Bill Clinton ou un Charles de Gaulle pour trouver une issue durable à la question coloniale ? Quand un dirigeant israélien, conscient d’une impasse insoluble et meurtrière, prêt à affronter son propre camp, voire aller à l’encontre de ses propres convictions pour privilégier la négociation, la paix à long terme et l’avenir des peuples, empruntera-t-il le chemin pris en son temps par un Yitzhak Rabin avant d’être froidement assassiné ?

Enfin, pourra-t-on jamais combattre conjointement l’antisémitisme et l’islamisme tant qu’un État opprimera un peuple sans État par des politiques d’apartheid, de colonisation et de nettoyage ethnique ?

Laurent Cugny Professeur de musique et musicologie (Sorbonne Université)

Renaud Barbaras Professeur de philosophie (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)


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