ÉVASION FISCALE : BERCY ENFONCE LA LANCEUSE D’ALERTE DE L’AFFAIRE UBS

samedi 23 septembre 2023.
 

Stéphanie Gibaud a permis à l’État de récupérer 1,8 milliard d’euros dans l’affaire UBS. Mais cette lanceuse d’alerte a tout perdu et vit au RSA. Bercy s’oppose pourtant fermement à ce qu’elle touche une indemnisation. Récit d’audience.

par Martine Orange

Il y a les paroles. Il y a même les textes. Et puis il y a les actes. L’audience du 13 septembre de la cour d’appel administrative de Paris a rappelé de nouveau l’écart qu’il peut exister entre les principes affichés et leur application. Le ministère des finances y présentait un recours pour obtenir l’annulation du jugement du tribunal administratif de Montreuil qui lui avait enjoint de reconsidérer la demande d’indemnisation présentée par Stéphanie Gibaud pour son aide dans le dossier UBS.

Avec Nicolas Forissier, Stéphanie Gibaud a été une lanceuse d’alerte essentielle dans cette affaire. Sans les informations précieuses qu’elle a données, une grande partie des pratiques de la banque suisse, ses démarchages illicites en France auprès des clients fortunés et les méthodes d’évasion fiscale pratiquées à grande échelle auraient été passés sous silence. Sans sa ténacité et celle de Nicolas Forissier, l’affaire UBS aurait été promptement enterrée, malgré leurs nombreuses alertes, notamment auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), peu encline à aller demander des comptes à une grande banque internationale.

L’affaire UBS s’est finalement terminée devant la justice. La banque suisse a été condamnée en décembre 2021 pour complicité de fraude fiscale aggravée et démarchage bancaire illicite. Le Trésor public y a gagné 1,8 milliard d’euros. Stéphanie Gibaud, elle, a tout perdu, son travail, ses amis, une partie de ses soutiens familiaux et parfois ses repères. Elle n’a plus jamais retrouvé de travail et vit avec le RSA. Alors qu’elle avait commencé à travailler avec la direction nationale des enquêtes fiscales dès 2015, elle avait demandé à avoir une rétribution puisqu’elle était sans ressources. Il lui avait été répondu que c’était impossible car à la différence des douanes, la direction des finances publiques ne rétribuait pas ses informateurs.

REFUS D’INDEMNISATION

Dans le cadre de la loi de finances 2017, cet oubli fut réparé. L’article 109 autorise désormais « l’administration fiscale à indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors qu’elle lui a fourni des renseignements ayant amené à la découverte d’un manquement [...] ou au Code général des impôts ». Et c’est au titre de cet article que l’avocat de Stéphanie Gibaud, Me Antoine Reillac, a présenté une nouvelle demande d’indemnisation, d’autant que la direction nationale des enquêtes fiscales a continué de lui demander à collaborer en 2017 et en 2018. Bercy a refusé. Pour justifier sa position, le ministère s’est appuyé sur un arrêté pris par le ministère du budget encadrant l’article 109 : les informateurs ne pouvaient être rétribués que s’ils avaient donné des renseignements à partir du 1er janvier 2017. Pas avant.

C’est cette lecture restrictive que le tribunal administratif de Montreuil a contestée en juillet 2022. « À la date de la décision attaquée, l’administration ne conteste pas qu’elle exploitait toujours les renseignements fournis par Mme Gibaud. Celle-ci est donc fondée à se prévaloir, par la voie de l’exception, de l’illégalité des dispositions de l’article 4 de l’arrêté du 21 avril 2017 [...] et à soutenir que le seul motif de la décision en litige, tiré de l’application de ces dispositions, est lui-même illégal », avaient tranché les juges administratifs. Sans se prononcer sur le montant de l’indemnisation – Stéphanie Gibaud réclame 3,8 millions d’euros –, ils avaient demandé au ministère de reconsidérer sa position et donné trois mois à Bercy pour le faire. Pour le ministère des finances, ce jugement est inacceptable. Et il a demandé son annulation devant la cour d’appel administrative de Paris.

UNE AUDIENCE EXPÉDITIVE

Le ministère a trouvé dans le rapporteur public, Alexandre Segretain, un soutien de poids. En un petit quart d’heure, le dossier fut expédié. Face aux juges administratifs, il a lu son rapport de façon à peine audible : ses arguments se veulent définitifs. La loi, selon lui, ne peut être rétroactive. Tout commence en 2017 et pas avant. Et même si Stéphanie Gibaud a continué de collaborer avec les autorités fiscales, elle n’a pas apporté des documents nouveaux dans le dossier.

En réponse, Me Antoine Reillac a tenté de rappeler l’ampleur de l’affaire UBS avant d’être rappelé à l’ordre par la présidente affirmant qu’il n’avait pas besoin de reprendre ses conclusions écrites. Pris de court, il a tout de même demandé ce que le ministère des finances entendait par documents et renseignements. Était-ce seulement des documents écrits ou des clés USB ? Les éclaircissements et les explications orales, comme en avait fourni Stéphanie Gibaud tout au long de 2017 et 2018, avaient-ils quelque valeur ?

Le ministère des finances, à l’inverse d’autres dossiers durant cette audience, n’avait pas jugé bon de se faire représenter. La cause pour lui semble entendue.

Cette courte saynète administrative en dit bien plus que de longs discours sur l’engagement de protection des lanceurs d’alerte, pourtant inscrit dans la loi, et sur la préoccupation de l’État de lutter contre l’évasion et la fraude fiscales. Il y a d’ailleurs des signes qui ne trompent pas. Les cellules de « dégrisement » censées permettre aux évadés fiscaux de régulariser leur situation ont disparu. Les dossiers d’évasion fiscale ont eux aussi disparu des écrans radars. Quant aux lanceurs d’alerte, loin d’être protégés, tout est fait au contraire pour les dissuader de dénoncer des pratiques illicites et de venir perturber le système. Le jugement a été mis en délibéré.


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