De la Révolution française à la victoire de Cristina Kirchner en Argentine : le peuple souverain

samedi 3 novembre 2007.
 

Dimanche soir, c’était le jour du vote et du résultat de l’élection présidentielle en Argentine.

Je me trouvais dans la salle du "bunker" (sic) de l’équipe Kirchner à Buenos Aires. Je n’ai pas traîné après l’intervention de la super gagnante, Christina K. Auparavant j’avais fait une belle ballade autour d’un bureau de vote débordant de votants jusque loin dans la rue. A vrai dire beaucoup ne souriaient pas car l’organisation des bureaux a souffert du manque d’assesseurs bénévoles. Il y a eu de la pagaille. Et pour finir beaucoup de retard s’et accumulé dans les opérations de vote si bien qu’il a fallu permettre l’ouverture des bureaux au delà de dix huit heures. J’ai été bien surpris de voir qu’il existait des bureaux de vote pour les hommes et d’autres pour les femmes. Avec l’interdiction de la vente d’alcool la veille et le jour du vote, ce sera ma dose d’exotisme électoral. Sans oublier les affiches avec le poing et la Rose en soutien aux deux premiers candidats concurrents.

Ensuite des responsables de la loge maçonnique historique de Buenos Aires et de l’Amérique du Sud m’ont fait faire la visite du lycée central et des rues historiques alentour, là où s’est jouée la partition fondamentale de l’indépendance nationale à laquelle cette loge est très intimement liée. La totalité des héros de l’indépendance en étaient membres. La discussion avec mes guides nous ramène dans l’histoire longue. On y retrouve les Français.

En 1790 le vice roi espagnol interdit à Buenos aires l’importation d’esclaves de colonies ou de ports français. C’est la crainte de la contagion des idées révolutionnaires. En effet, part très méconnue de notre histoire, les noirs esclaves des colonies françaises, les « negros franceses », étaient alors la hantise de la bonne société du secteur. Ces hommes étaient en effet devenus des propagateurs de ce qu’ils appelaient alors « la loi des français » c’est-à-dire l’abolition de l’esclavage et l’instauration de la République....

Ni les changements d’alliances de toutes sortes entre les puissances européennes, ni les trahisons et les reniements du côté de la France, n’épuiseront l’indomptable énergie de ces insurgés qui n’avaient peur de rien. N’ont-ils pas même attaqué le Vénézuela pour y établir leurs principes ? Pour l’heure, les mesures prises n’empêchèrent pas la contagion. En 1795, Buenos Aires fut le théâtre de la « conspiration française ». Le jugement pour trahison révèle des crimes énormes aux yeux des puissants du lieu et de ce temps. En effet, il fut prouvé que des Français et des Italiens, au cours d’une cérémonie secrète, avaient levé leur verre pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Circonstance aggravante, ce crime fut commis devant leurs esclaves.. On savait aussi qu’une affichette avait été placardée proclamant pour bientôt une révolution qui rendrait tous les hommes égaux.

Le juge prouva également que l’un des Français avait appris à lire et à écrire à un de ses esclaves ! Et comme il était établi que le groupe révolutionnaire avait fait de la propagande parmi les esclaves, les noirs, les métis et même les indiens, la condamnation allait de soi. Le métis de l’équipe fut le plus lourdement frappé : 10 ans de prison tandis que les Européens furent expulsés et proscrits. Plus tard, l’impact de l’invasion napoléonienne en Espagne, en rompant le lien avec la métropole ouvrira le processus des indépendances nationales sur le continent.

Après la destruction de la marine espagnole à Trafalgar, 1600 anglais débarquent pour prendre Buenos aires, le vice roi s’enfuit et c’est un français, Jacques Liniers qui dirige la résistance finalement victorieuse.

A la deuxième tentative, 9000 anglais se présentent et sont mis en déroute par une population mobilisée jusqu’aux enfants, le grand fait fondateur emblématique de la nation argentine...

Je m’amuse de voir que les débats qui ont partagé tous les progressistes d’alors et qui se sont réglés à coup de fusil comme chez nous à coup de guillotine, ont la vie longue. Deux thèses confrontaient les indépendantistes : une monarchie constitutionnelle ou une République. La souveraineté populaire intégrale ou la souveraineté limitée ? Une version parmi d’autres de la scène fondatrice, celle qui a vu le roi Louis XVI faire voter par alignement des députés à sa droite et à sa gauche, les partisans et les adversaires du droit de veto. Une scène rejouée chaque fois qu’il est question du droit du peuple à disposer de ses décisions sans que lui soit opposé la primauté de la parole d’un roi, d’une commission européenne ou n’importe quelle instance qu’il n’ a pas élue. Le point de départ de l’idée de gauche et de droite est historiquement là.

LENDEMAINS D’ELECTION

A la soirée électorale, j’ai été content d’observer la présence de Ségolène Royal (un grand bonjour a son webmaster bien connu de nous) quand elle a été autorisée à monter sur la scène. C’est bien qu’on voit des Français de gauche ici dans ce moment. Elle a du mérite, parce que ce n’était pas gagné si on accepte de croire ce que dit le journal "la Nation" qui se moque de son enfermement au seizième étage dans l’attente d’être reçue « pour une photo" au dix huitième où s’était installée la famille Kirchner pour attendre les résultats.

Voila le genre de perfidies totalement mensongères, typiques de la presse éthique et indépendante locale. Elle a bien fait de s’incruster. Elle aurait pu, bien sûr, me convoquer pour meubler son attente et se donner la distraction de me lire de vive voix le communiqué fallacieux qu’elle a envoyé à la presse pour démentir les infos pourtant parfaitement exactes qu’elle a lues sur mon blog au sujet de sa conférence à Santiago. Il n’en a rien été.

Pour finir, nous étions, bien sûr, chacun à un bout de la salle, dans l’ordre juste : elle sur scène et moi contre un poteau. Je me sentais comme un iroquois au milieu de gens qui criaient et chantaient des chansons avec comme refrain "Peron ! Peron ! viva Peron !" ce qui n’est pas tout à fait ma tasse de thé. Mais bien sûr je sais bien que tout doit être mis en perspective historique et contextualisé à ce sujet. Surtout depuis que j’ai des amis personnels péronistes qui s’agacent de me voir si mal connaitre un phénomène politique que ma culture sommaire sur le sujet n’a pas clairement positionné.

Lundi matin, à Buenos Aires, j’ai passé deux heures et demi avec les grands mères des enfants argentins disparus pendant la dictature militaire. Je suis sorti de là en lambeaux. Puis j’ai déjeuné avec le procureur Strassera qui assumait le ministère public pendant le procès du général Videla. Ce Videla est un des voyous sanglants qui ont assassiné trente mille personnes en Argentine pour éviter le péril communiste et mettre en place la seule politique possible dont personne ne voulait. Strassera est un géant, selon moi. Je l’avais admiré depuis les bancs du public qui assistait au procès ici même à Buenos Aires quand j’accompagnais des femmes témoins à charge contre les militaires. A l’époque on pensait qu’il fallait accompagner pour qu’on évite de tuer ou d’enlever les témoins car cela avait encore cours alors même que la dictature était tombée. Et ces témoins, c’étaient "les nôtres à nous," celles qu’avec les socialistes de ma commune nous avions tirées quasi par miracle d’un camp d’extermination.

Jean Luc Mélenchon


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